Donald Trump n’a pas perdu de temps pour mettre en pratique son agenda politique. Avant son intronisation, nous ne pouvions qu’émettre des spéculations sur le degré auquel il mettrait en œuvre sa rhétorique loufoque destinée à fanatiser ses plus fervents partisans.
Mais maintenant qu’il est installé dans le Bureau Ovale, nous pouvons déjà y voir plus clair. Tandis que son Administration, dans un souci de communication, tente d’atténuer ses brutales diatribes d’intimidation, le politique qu’il va mettre en œuvre, tant sur le plan intérieur qu’extérieur, apparait de manière évidente.
Entouré et soutenu par les plus riches, les plus puissants, les plus réactionnaires et les plus dangereux éléments de la classe dirigeante américaine – des gens tel Elon Musk – Trump s’est engagé dans des coupures d’une ampleur inédite dans les dépenses publiques en termes d’aides sociales, de santé, d’éducation, menaçant de manière directe et immédiate la sécurité et la qualité de vie de dizaines de millions de personnes.
Sa politique de déportation de masse des immigrants, par des méthodes brutales violant les plus élémentaires pratiques légales sont déjà utilisées, séparant des familles et détruisant nombre de vies.
Ces traitements cruels et discriminatoires ne sont pas réservés aux seuls migrants. En accord avec les préjugés les plus rétrogrades des plus fervents partisans de Trump, nombre d’Américains sont mis à l’index en raison de leur genre. En un instant, la reconnaissance et le statut légal des citoyens trans et non binaires a été aboli.
Le retour des Bibles à l’école
Le retour au pouvoir de Trump s’est suivi d’un déferlement de directives réactionnaires ciblant à la fois les enseignants et les écoliers. En Oklahoma, où même avant son élection les écoles avaient pour instruction de fournir des exemplaires de la Bible, de nouvelles directives sont promues afin de faire passer dans la loi le remplacement des enseignants « suspectés de conduite inappropriée », et pour la suppression de tous les chapitres évoquant la lutte pour les droits civils dans les livres et les cours d’Histoire.
Sont également en cours d’élaboration de nouvelles listes de livres interdits dans les écoles et les bibliothèques publiques. On demande également aux écoles de fournir à l’Administration le « statut migratoire » de tous leurs étudiants, n’excluant pas que cela puisse servir de base à des descentes de police dans les établissements scolaires eux-mêmes en vue d’expulsions immédiates.
De telles procédures s’assimilent à de sombres précédents historiques. Dans l’Europe occupée par les nazis, les écoles devaient fournir le listing de leurs étudiants juifs. Au moment où ces directives avaient été promues, peu imaginaient que cela mènerait à leur déportation et leur assassinat. Rien dans toute l’Histoire, avant ou depuis, n’a atteint l’horreur qu’a représenté le nazisme.
Comparer Trump à Hitler, c’est atténuer le jugement que l’on peut porter à ce dernier. Néanmoins, le premier acte de Trump en tant que Président a été de gracier tous les participants à la tentative de coup d’Etat du Capitole du 6 janvier 2021, dont bon nombre sont des militants fascistes et racistes organisés.
Stratégie classique : diviser pour mieux régner
Selon Trump, la persécution et la déportation de masse des migrants aura pour conséquence plus de travail et plus de ressources pour ceux qu’il appelle « les nôtres ». En réalité, les seuls qui en bénéficieront sont ceux qui détiennent déjà trop de richesses et de pouvoir. Dans les jours suivant son intronisation, Trump a signé un décret ayant pour conséquence de stopper, avec effet immédiat, tous les financements fédéraux aux programmes sociaux et de santé publique pour tous les Etats.
Le décret présidentiel stipulait que toutes les agences fédérales devaient « suspendre temporairement toutes les activités liées au versement de toute aide financière fédérale ». Des milliers de milliards de dollars sont ainsi gelés sur décret exécutif. De même, l’accès en ligne à Medicaid a été désactivé pendant plusieurs heures.
L’idée de Trump semble être d’interrompre toutes les subventions fédérales aux dépenses sociales afin d’obliger les Etats à renégocier leur financement en échange d’une suppression de tous les programmes qui ne lui plairait pas. En attendant, des millions de personnes âgées, malades, handicapées ou pauvres sont privées de ressources essentielles à leur survie.
Le blocage des financements pour les soins de santé, s’il avait été maintenu, aurait directement menacé la santé, et dans certains cas la vie, de nombreuses personnes. Le tollé provoqué a été tel, dans l’opinion publique, dans les institutions, et dans la classe politique (aussi bien chez les Démocrates que chez les Républicains), qu’après seulement deux jours de tentatives pour reformuler le mémo dans l’espoir d’apaiser la colère et la crainte généralisée, le décret a finalement purement et simplement été annulé.
Bien que les décrets présidentiels gelant toute aide extérieure et mettant fin au programme de Diversité, Equité et Inclusion soient restés en vigueur, Trump a dû faire marche arrière. Mais il n’en restera pas là. Ce décret montre le cap vers lequel veut se diriger Trump en matière de dépenses publiques. Il tentera désormais de garder ce cap mais de manière moins brutal – et certains diront – moins stupide.
Hausse des tarifs douaniers
L’un des éléments les plus médiatisés de la campagne de Trump est sa politique de protectionnisme. Trump affirme que des tarifs douaniers élevés et punitifs envers ses partenaires commerciaux étrangers – en particulier contre la Chine, le Canada et le Mexique – stimuleront l’économie américaine, sauveront des filières de production et créeront massivement des emplois. En réalité Trump n’a pas le monopole de ce type de politique.
L’Administration Biden a non seulement maintenu, mais également accru les droits de douane contre la Chine. Le protectionnisme peut, pendant une période limitée, permettre de protéger une économie nationale. Dans un pays dont le niveau général de développement économique est bien inférieur à celui des grandes puissances, par exemple, cela peut aider au développement interne de certains secteurs qui autrement auraient été balayés par des concurrents étrangers beaucoup plus solides.
Cependant, dans le cas des Etats-Unis, nous n’avons pas affaire à une économie fragile et émergente, mais à celle la plus puissante sur la planète. Opter pour des tarifs protectionnistes contre ses principaux partenaires commerciaux vise, dans ce cas, à préserver la position des Etats-Unis dans le commerce mondial, celle-ci ayant été sérieusement mise à mal durant les dernières décennies.
Alors que les Etats-Unis représentent environ un quart du PIB mondial, leur part dans le commerce mondial ne se situe qu’autour de 10 à 11%. Les mesures de hausse des tarifs douaniers et d’interdiction des exportations de certains produits vers la Chine ont eu un impact significatif sur le volume des échanges entre les deux pays.
La valeur totale des importations américaines de marchandises chinoises a diminué de 20% entre 2018 et 2023. Mais cela n’a pas eu pour effet d’améliorer la position commerciale des Etats-Unis. D’une part, cela a contraint la Chine à diversifier ses accords commerciaux afin de réduire sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis. D’autre part, cela l’a également incité à développer ses propres technologies afin de réduire ses besoins en importation.
L’un des principaux enjeux de cette guerre commerciale est l’émergence des technologies liées à l’Intelligence Artificielle. Elles revêtent une importance cruciale pour toutes les grandes puissances, non seulement en raison de ses potentialités économiques, mais aussi en raison de son importance tant dans le contrôle et la manipulation des communications que dans ses implications sur le plan militaire.
Importance stratégique primordiale de l’IA
Les récents développements ont mis en lumière l’importance stratégique primordiale de l’IA dans la lutte entre les grandes puissances, ainsi que les limites des mesures de restrictions commerciales et de hausses de tarifs douaniers. Les grandes entreprises technologiques américaines ont récemment annoncé que des milliers de milliards de dollars d’investissement étaient nécessaires pour le développement de puces électroniques et de centres de données. Ceux-ci nécessiteront d’énormes ressources énergétiques pour fonctionner. La société mère de Google, Alphabet, s’est engagé à investir 65 milliards de dollars dans l’IA rien que pour l’année 2025.
Et pourtant, une entreprise chinoise relativement modeste et inconnue jusqu’ici, Deepseek, a réussi à produire un système d’IA rivalisant avec ceux des géants américains pour un investissement dérisoire en comparaison (6 millions de dollars selon eux).
Cette surprenante annonce a entrainé une chute brutale de la valeur boursière de toutes les entreprises américaines impliquées d’une manière ou d’une autre dans l’IA. NVIDIA, le principal fournisseur de puces, a perdu 589 milliards de dollars en une seule journée (17% de sa valeur), ce qui en fait la plus forte chute boursière de l’histoire sur 24h. Et pourtant, ces puces électroniques font partie des produits concernés par les sévères restrictions d’exportations vers la Chine mise en place depuis le premier mandat de Trump.
La question se pose de savoir comment s’y est pris Deepseek : ont-ils contourné les restrictions pour obtenir des puces américaines ? Ont-ils développé leurs propres puces ? Ou ont-ils trouvé un moyen de s’en passer ? Cela en dit long sur les limites des politiques protectionnistes et de restrictions commerciales. De fait, en lui refusant sa propre production, les Etats-Unis ont incité la Chine à développer la sienne qui, si l’on en croit les affirmations de Deepseek, aurait un coût infiniment moindre.
Le protectionnisme pose d’autres problèmes. En général, les guerres commerciales ont tendances à obstruer et disloquer les canaux du commerce international, et mènent donc à une contraction du commerce mondial. En outre, les taxes imposées sur les biens de consommation, les fournitures industrielles et les matières premières importées entrainent une hausse des prix et une baisse de la rentabilité.
Il est difficile de prédire avec exactitude quelle tournure prendra la politique commerciale belliqueuse de Trump. Mais il est cependant clair qu’elle ne se révèlera pas le « remède miracle » comme il le prétend pour l’économie américaine.
Le retour de Trump au pouvoir aura également un impact majeur sur la scène diplomatique mondiale. Ses scandaleuses déclarations sur le « nettoyage » de Gaza – c’est-à-dire la déportation massive ou l’annihilation de toute une population – pourraient nous amener à nous interroger sur sa santé mentale. Il pourrait également tenter de régler la guerre en Ukraine en permettant à la Russie de conserver une grande partie du territoire de son voisin.
On peut également évoquer sa tentative d’annexer le Groenland. Trump, y compris du point de vue de l’impérialisme occidental, peut être considéré comme un électron libre, mais c’est un électron libre qui concentre un pouvoir considérable entre ses mains.
Aux Etats-Unis, les travailleurs qui s’opposent à un impérialisme d’intimidation et belliciste, aux encouragements et au soutien apporté aux éléments fascistes et nationalistes extrémistes de la société, ainsi qu’aux politiques vicieuses, anti-démocratiques, racistes et discriminatoires, devront s’organiser, se mobiliser, protester et lutter contre Trump et ses consorts milliardaires. Y compris en dehors des Etats-Unis, la mobilisation de masse n’est pas moins importante. Il n’y a pas d’autres moyens pour mettre fin à cette folie réactionnaire.
Greg OXLEY