La Riposte

L’impasse réformiste du NFP et les tâches des révolutionnaires

L’union de la gauche. Mais sur quelle base ?

Les crises que nous traversons aujourd’hui – sociale, écologique, économique et politique – ne sont pas de simples dysfonctionnements du capitalisme, susceptibles d’être rectifiées par des ajustements marginaux. Elle est une conséquence directe de la logique même du système. L’accumulation du profit prime sur les besoins humains et le respect de la planète. Les inégalités ne cessent de s’aggraver, plongeant toujours plus de gens dans la précarité et la peur de l’avenir.

Dans ce contexte, la victoirede  la gauche aux prochaines élections présidentielles et législatives est indispensable. Il faut balayer la droite et l’extrême droite. Cependant, une victoire électorale de la gauche ne sera vraiment salutaire que si elle est porteuse d’un projet radical de transformation. Avec le Nouveau Front Populaire, la gauche s’est rassemblée pour faire face au danger de l’extrême droite. De Hollande et Glucksmann à Poutou, l’alliance rassemble pratiquement toutes les tendances, mais nous sommes en droit de nous demander si cette alliance apporterait des changements positifs importants. Car si elle couvre un large spectre politique, son programme actuel ne constitue pas un projet de rupture avec le capitalisme.

Les exemples des gouvernements dits ‘de gauche’ en France, comme ceux de François Mitterrand, à partir de 1981, et de François Hollande en 2012, montrent bien les limites et les dérives de la gauche réformiste. Sous le premier mandat de Mitterrand, l’espoir était grand de voir la France s’engager sur une voie socialiste. Mais dès 1982-1983, le tournant de la « rigueur » en réponse aux pressions capitalistes (grève d’investissements, fuite de capitaux, fermetures, délocalisations, suppressions d’emploi) a trahi cet espoir. Le gouvernement socialiste-communiste a renoncé à poursuivre sa politique de réforme sociale, pour appliquer au contraire des mesures d’austérité draconiennes. Cette politique, censée stabiliser l’économie, a en fait renforcé les inégalités, conforté le pouvoir des capitalistes et préparé la voie aux politiques néolibérales qui allaient suivre.

Le gouvernement de François Hollande a prolongé et aggravé cette politique capitaliste. Élu avec un discours de campagne promettant de s’opposer aux puissances financières – « mon ennemi, c’est la finance » –, une fois élu, Hollande a rapidement mis en place des réformes favorisant les grandes entreprises, telles que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), une aide fiscale massive qui a coûté des milliards d’euros sans bénéfices significatifs pour les travailleurs. Le projet de Loi Travail, plus communément appelé la « Loi El Khomri », a marqué un coup dur pour les droits des travailleurs, facilitant les licenciements et réduisant considérablement la protection des salariés. Au lieu de réduire les inégalités, ces mesures ont renforcé le pouvoir du patronat et affaibli la position des travailleurs, les plaçant dans une précarité accrue.

Ces deux exemples montrent bien que même les gouvernements de gauche, lorsqu’ils choisissent la voie réformiste et s’alignent sur le capitalisme, ne parviennent ni à protéger les travailleurs ni à réduire les inégalités. En vérité, le qualificatif « réforme » est trop gentil, puisqu’il s’agissait de « réformistes sans réforme », de gouvernements, au contraire, de régression sociale, consolidant les inégalités en adoptant des politiques qui favorisent les entreprises au détriment des classes populaires. En conséquence, ils détournent une partie des travailleurs de la gauche et les repoussent directement vers un vote d’extrême droite ou vers l’abstention. Loin d’être une solution, des gouvernements ‘de gauche’ de ce genre ne sont ni une alternative au capitalisme ni un rempart contre l’extrême droite. De plus, et comme le mandat Hollande l’a montré, ils peuvent faire reculer les droits sociaux en criminalisant l’action syndicale et les droits démocratiques en prolongeant indéfiniment l’état d’urgence promulgué au lendemain des attentats de novembre 2015.

Il devient dès lors impératif de rompre avec cette vision d’une « gauche de gestion » pour envisager une gauche, qui ne se contente pas de gérer le capitalisme, mais qui lutte, au contraire, pour construire une société réellement socialiste, dans laquelle l’économie et l’État sont au service de tous.

En définitive, une victoire de la gauche est nécessaire pour répondre aux besoins fondamentaux des classes populaires — logement, emploi, santé, éducation, sécurité sociale — et de lutter contre l’urgence climatique, mais l’expérience nous enseigne qu’elle ne pourra accomplir cette tâche que si elle est prête à rompre avec le système capitaliste pour véritablement défendre les intérêts de la majorité. La victoire de la gauche n’est pas une simple question électorale. La « victoire » qui nous intéresse, est celle qu’il faut remporter contre l’ordre établi, contre le capitalisme, pour la libérer la société des inégalités et des injustices imposées par le capitalisme.

L’idée d’une union de toute la gauche est souvent vue comme une solution pour contrer la droite et l’extrême droite. Ce type d’union semble rassurant et porteur d’espoir, surtout dans un contexte de montée des inégalités et de crise sociale. L’union fait la force, en théorie. Mais dans la pratique, derrière cette apparence de force, l’union de toutes les tendances de gauche peut mener à des compromis programmatiques qui finissent par affaiblir la lutte des classes et détourner le mouvement de sa portée anticapitaliste. Au sein de la gauche, il y a des milliers de militants qui aspirent à un changement révolutionnaire de la société, mais lorsque cette gauche radicale, marxiste ou révolutionnaire, se trouve, de fait, en alliance avec des tendances réformistes et sous la direction de chefs de parti qui n’envisagent aucunement de mettre en cause le pouvoir capitaliste, elle risque de se retrouver contrainte de faire des concessions qui l’éloignent de ses objectifs de transformation de la société.

Les partis et tendances réformistes, prônant des changements graduels et superficiels dans les limites du système capitaliste, sont largement majoritaires, actuellement, au sein du NFP. Ceci leur permet d’imposer leurs priorités et leurs lignes politiques. Ni le PCF, ni LFI, ni le PS, au niveau de leurs instances dirigeantes, ne remettent en cause la propriété capitaliste des grandes entreprises qui dominent l’économie. C’est cette propriété capitaliste qui constitue la source de l’exploitation et de l’oppression dans la société. Or, historiquement, les alliances de gauche, sur la base de programmes laissant intact le pouvoir capitaliste, ont mené à la marginalisation et l’étouffement des revendications les plus radicales. Si la gauche révolutionnaire accepte l’abandon de son projet de rupture pour se plier aux exigences d’une cohésion autour d’une « politique de gestion », ne menaçant pas réellement le système en place, cela ne peut que conduire à des contre-réformes et de nouvelles régressions sociales.

Prenons, par exemple, les alliances au sein du Front populaire en 1936 ou l’Union de la gauche dans les années 1980 en France. Ces coalitions ont certes permis des avancées sociales importantes, comme les congés payés et la réduction du temps de travail, mais elles se sont rapidement heurtées aux limites du réformisme. C’est que ces réformes, bien que positives en soi pour les travailleurs, n’ont pas remis en question la structure capitaliste de la société. Au contraire, en un sens, elles ont stabilisé le système en répondant aux besoins immédiats de la classe ouvrière, mais sans s’attaquer aux racines de l’exploitation. Le pouvoir économique et politique est resté concentré dans les mains des élites capitalistes, et la dynamique de profit et d’accumulation n’a pas été altérée. Et puis, à la première occasion, les réformes acquises ont été supprimées. La revanche capitaliste après la grève générale et le Front Populaire de 1936 a mené directement au régime pétainiste.

Aujourd’hui, au regard de la gravité de la crise sociale actuelle, le programme du Nouveau Front Populaire (NFP) est très loin du compte. Les réformes proposées sont très éloignées des revendications de la CGT, il est même moins revendicatif que celui de la CFDT. L’augmentation de salaire proposée pour le SMIC ne compense même pas la perte de pouvoir d’achat des dix dernières années, compte tenu de l’inflation. Les travailleurs seront les grands perdants de cette carence. Le risque est alors de transformer la gauche en simple force de gestion, cherchant à humaniser le capitalisme sans jamais le remettre en cause. Et bon nombre de travailleurs, voyant que cette gauche « unie » ne change pas radicalement leurs conditions de vie, finiront par se détourner d’elle, voire se tourner vers des partis populistes ou d’extrême droite qui, eux, promettent des transformations radicales, bien qu’illusoires.

En somme, l’union de toute la gauche, lorsqu’elle est dominée par des forces réformistes, tend inévitablement vers des revendications modérées, compatibles avec le capitalisme. Cette stratégie ne mène pas à une transformation de la société, mais à un renforcement du statu quo. Pour être réellement au service des travailleurs et des opprimés, la gauche doit s’affranchir de cette logique et envisager une stratégie de rupture. Nous devons exiger une union de forces, mais une union engagée dans un projet de renversement du capitalisme.

Les conditions d’une réussite de la gauche et d’une transformation de la société

Pour qu’un véritable changement social puisse s’opérer, les militants de gauche révolutionnaires doivent nécessairement s’unir entre eux, d’abord, pour préserver leurs idées et leur programme, et pour combattre, par la force de leurs arguments et en s’appuyant sur l’expérience historique du mouvement ouvrier, pour armer la gauche d’une politique authentiquement anticapitaliste, dont l’axe principal doit être de lier la mise en œuvre d’un programme audacieux et radical de réforme sociale à la nécessité impérieuse de mobiliser la population pour l’expropriation de la classe capitaliste, jetant les bases d’un passage à une économie démocratique planifiée dans l’intérêt de l’ensemble de la population.

En disant que les éléments révolutionnaires au sein de la gauche doivent s’unir entre eux, nous ne voulons pas dire qu’il faut créer un énième « parti révolutionnaire ». Parmi les exigences de la situation actuelle, il y a le besoin de surmonter autant que possible les divisions organisationnelles et d’éviter d’en créer d’autres. Cependant, ce qui nous paraît indispensable, c’est de mettre en relation et d’organiser le plus grand nombre possible de militants révolutionnaires dans le cadre des organisations existantes, pour permettre le partage de leurs expériences, l’analyse collective de l’actualité – nationale et internationale – et la définition de prises de position et d’un programme pour faire avancer le mouvement dans son ensemble. Ceci implique, inévitablement, une critique sérieuse des idéologies réformistes. Elle implique aussi, dans le domaine international, de s’opposer aux logiques « campistes » qui se traduisent par des attitudes complaisantes envers le régime de Poutine ou celui de la Chine, ou alors, à l’inverse, par une solidarité avec l’OTAN et les puissances dites occidentales. La gauche doit défendre une politique internationaliste qui se bat contre toutes les oppressions, d’où qu’elles viennent. Voilà, en somme, le projet que défend La Riposte et auquel elle invite tous les militants qui s’y retrouve à participer activement.

Ancrage dans les luttes locales et syndicales

Pour qu’une collaboration révolutionnaire soit efficace et ne reste pas purement théorique, elle doit être solidement enracinée dans les luttes locales et syndicales. C’est au cœur des entreprises, des quartiers populaires, et des mouvements sociaux que se joue la mobilisation des classes populaires, et c’est là que nous devons démontrer la pertinence de nos idées et notre engagement au service des travailleurs. Ignorer ces luttes du quotidien serait de nous couper des réalités concrètes de ceux que nous voulons défendre.

Ancrer notre travail militant dans les luttes locales permet non seulement de renforcer les mouvements en cours, mais aussi d’y diffuser une perspective anticapitaliste d’émancipation collective. En participant activement aux combats pour des conditions de travail dignes, pour des salaires justes, pour des services publics accessibles et contre la précarité, nous démontrons que notre démarche n’est pas déconnectée des réalités ou purement idéologique. C’est en soutenant les luttes concrètes et en construisant des solidarités locales que nos idées révolutionnaires gagnent en crédibilité et en légitimité aux yeux des travailleurs.

Le syndicalisme a un rôle crucial dans cette stratégie. Les syndicats, par leur ancrage dans le monde du travail favorisent la mobilisation les travailleurs et l’organisation de la lutte des classes. Une démarche révolutionnaire doit chercher à renforcer les organisations syndicales combatives, en soutenant leurs actions tout en apportant une vision politique plus large, orientée vers la transformation de la société. Il est essentiel que cette collaboration reste fondée sur des principes de solidarité et de respect de l’autonomie des syndicats, afin d’éviter toute instrumentalisation.

En somme, en s’ancrant dans les luttes locales et syndicales, les révolutionnaires deviennent acteurs du quotidien des travailleurs, liant la perspective d’une rupture avec le capitalisme aux combats concrets.

Dans cette dynamique, il est essentiel de rappeler l’importance de l’indépendance des syndicats vis-à-vis des partis politiques, en s’inspirant des principes énoncés dans la Charte d’Amiens de 1906. Ce texte fondateur du mouvement ouvrier français souligne que les syndicats doivent rester autonomes dans leurs actions et dans leur organisation, sans être subordonnés aux partis politiques. Les syndicats doivent conserver leur rôle de moteur des luttes sociales, agissant directement sur le terrain et au service des revendications concrètes des salariés. Ils doivent aussi se débarrasser de leurs oripeaux cogestionnaires avec le patronat, qui sont le pendant syndical du réformisme politique.

Les enjeux écologiques au cœur de notre lutte

L’urgence écologique est aujourd’hui l’un des enjeux les plus importants auxquels nous faisons face. Crise climatique, pollution, destruction de la biodiversité : ces phénomènes sont les conséquences directes d’un système capitaliste fondé sur la course effrénée au profit et sur l’exploitation des ressources naturelles sans considération pour les générations futures. Pour la gauche révolutionnaire, la question écologique ne peut pas être secondaire ou traitée comme un problème à part ; elle doit être intégrée au cœur même de son projet de transformation sociale.

Loin des approches superficielles qui cherchent à « verdir » le capitalisme en promouvant des solutions technologiques ou de petits ajustements de marché, il faut poser la question écologique en termes de rupture avec la logique capitaliste. Le capitalisme repose sur une croissance sans fin, incompatible avec les limites écologiques de notre planète. La transition écologique, dans ce cadre, ne peut être qu’une transition anticapitaliste, qui permettra un changement radical du mode de production et de consommation.

Pour cela, il est indispensable de revendiquer un contrôle démocratique et collectif des ressources naturelles et des moyens de production, afin de les soustraire à la logique du profit privé. Cette gestion collective permettrait de développer une économie fondée sur la durabilité, l’équité et la satisfaction des besoins réels, en opposition à la logique d’accumulation et de gaspillage qui caractérise le capitalisme. Cela signifie prioriser des secteurs tels que les énergies renouvelables, les transports en commun, l’agriculture durable et de proximité, et la rénovation écologique des bâtiments.

L’intégration des enjeux écologiques dans la lutte révolutionnaire implique une réflexion sur la justice climatique. Les classes populaires, souvent les plus exposées aux impacts environnementaux, sont les premières victimes des conséquences de la crise écologique, alors même qu’elles en sont les moins responsables. En mettant la question de la justice climatique au centre de son programme, nous pouvons construire des alliances solides avec les communautés les plus touchées par les pollutions industrielles, le dérèglement climatique et la précarité énergétique.

Enfin, il est essentiel de rejeter les solutions individualistes et culpabilisantes, souvent promues par les discours écologistes traditionnels, qui détournent l’attention des véritables responsables de la crise : les grandes entreprises et le système capitaliste lui-même. L’écologie doit être comprise comme une lutte collective et politique, et non seulement comme une série de « petits gestes » individuels. C’est uniquement par une mobilisation collective et par des actions politiques radicales que nous pourrons éviter le désastre écologique et construire une société respectueuse des écosystèmes et de la vie humaine. La lutte pour la justice sociale et celle pour la justice environnementale sont indissociables. Ce combat commun, centré sur la justice climatique, la gestion collective des ressources et l’abandon de la logique de profit, doit être une priorité pour construire un monde durable et équitable pour les générations présentes et futures.

Pour une communication populaire et accessible, hors du « spectacle » politique

Il est essentiel de développer une communication claire, accessible, et ancrée dans le quotidien des gens. Trop souvent, les discours de la gauche restent confinés à un langage technique, académique ou empreint de concepts éloignés des réalités concrètes, ce qui crée une distance avec la population. Il faut briser cette barrière en adoptant une communication compréhensible par tous. Dans un contexte où la politique est devenue un spectacle médiatique, dominé par des débats superficiels et des slogans vides de sens, il est crucial de proposer une alternative qui parle sincèrement aux travailleurs. La gauche révolutionnaire doit s’appuyer sur des médias indépendants, des publications locales, et des réseaux sociaux pour diffuser des messages qui tranchent avec la politique-spectacle En valorisant des témoignages, des histoires concrètes, et en donnant la parole directement aux travailleurs et aux militants de terrain, elle peut développer un discours ancré dans les luttes réelles et les préoccupations immédiates des gens.

Nous avons besoin d’une politique de communication percutante et systématique sur les nouveaux médias et réseaux sociaux. Ceux-ci sont devenus des outils de communication incontournables, permettant de toucher un large public, en particulier les jeunes, qui sont souvent éloignés des canaux médiatiques traditionnels. Cette approche implique une présence active et coordonnée sur toutes les plateformes populaires : Facebook, Twitter, Instagram, YouTube, TikTok, et autres. En investissant massivement ces espaces, nous pouvons concurrencer les discours dominants et réformistes, et y diffuser des messages clairs au service de notre cause. Par la diffusion de messages en temps réel, réagissant rapidement aux événements pour contrer la propagande capitaliste, il est possible d’ancrer le discours révolutionnaire dans l’imaginaire collectif, en ne laissant aucun espace à l’indifférence. Il s’agit non seulement d’informer, mais aussi de former, en expliquant les idées de lutte des classes, de justice sociale et de rejet du capitalisme. Cette communication doit être dynamique et créative, en utilisant des vidéos percutantes, des graphiques explicatifs, et des témoignages poignants. Cette communication doit être interactive et participative : il ne s’agit pas simplement de transmettre un message, mais de créer un espace où chacun peut s’exprimer, partager ses idées et ses expériences, et contribuer ainsi à construire le projet révolutionnaire.

Fabien LECOMTE