Lorsque le ministère des Affaires étrangères a annoncé accorder une immunité au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, malgré la signature et la ratification de la France du Statut de Rome qui a créé la Cour Pénale Internationale, le voile a été complètement levé sur l’hypocrisie qui caractérise cette république.
Sur le site France Diplomatie, on peut lire : « La France respectera ses obligations internationales, étant entendu que le Statut de Rome exige une pleine coopération avec la Cour pénale internationale (CPI) et prévoit également qu’un État ne peut être tenu d’agir d’une manière incompatible avec ses obligations en vertu du droit international en ce qui concerne les immunités des États non-parties à la CPI. De telles immunités s’appliquent au Premier ministre Netanyahou et aux autres ministres concernés et devront être prises en considération si la CPI devait nous demander leur arrestation. »
En fait, la France invoque le prétexte que l’État d’Israël n’est pas signataire du Statut de Rome (voir liste des pays signataires, dont l’État de Palestine d’ailleurs), pour se retirer de ses engagements face au mandat d’arrêt émis par la CPI. Or, lorsqu’un mandat d’arrêt a été émis par la CPI à l’encontre de Vladimir Poutine, le ministère des Affaires étrangères n’a pas appliqué d’immunité au président russe, alors que la Fédération de Russie ne fait pas non plus partie de la liste des signataires.
Le ministère des Affaires étrangères ajoute dans son communiqué : « Conformément à l’amitié historique qui lie la France à Israël, deux démocraties attachées à l’État de droit et au respect d’une justice professionnelle et indépendante, la France entend continuer à travailler en étroite collaboration avec le Premier ministre Netanyahou et les autres autorités israéliennes pour parvenir à la paix et à la sécurité pour tous au Moyen-Orient. ».
D’autres dirigeants ont déjà été visés par un mandat d’arrêt émanant de la CPI : avant Vladimir Poutine, Laurent Gbagbo, ancien président de la Côte d’Ivoire, incarcéré d’ailleurs pendant 7 ans avant d’être acquitté en 2019, Omar El-Béchir, président du Soudan, visé par deux mandats en 2009 et 2010, Moummar Kadhafi en 2011, alors président de la Libye. Et avant la CPI, le Tribunal pénal international avait fait arrêter en 2001 Slobodan Milosevic, ancien président de la Serbie. Est-ce que l’amitié qui pouvait lier la France à ces différents pays a été invoquée pour appliquer l’immunité à ces dirigeants inculpés ?
Voici ce qu’a publié fièrement le ministère des Affaires étrangères en mars 2023 pour lutter contre l’impunité (sic !) : « La France prend note de l’émission par la Cour pénale internationale de mandats d’arrêt contre Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie et Maria Lvova-Belova, Commissaire russe pour les droits de l’enfant. La Cour estime qu’il existe suffisamment d’éléments pour établir leur implication dans la déportation et le transfert d’enfants ukrainiens. La Cour, qui a ouvert son enquête le 2 mars dernier à la demande d’une quarantaine d’États, dont l’ensemble des États membres de l’Union européenne sous présidence française de l’UE, agit en toute indépendance. Elle estime que ces actes constituent des crimes de guerre et ne peuvent à ce titre rester impunis. »
Sur le site France Diplomatie, on peut en effet lire : « Fidèle à son engagement de longue date pour lutter contre l’impunité, la France continuera d’apporter son appui à l’indispensable travail de la justice internationale pour assurer que les responsables de tous les crimes commis en Ukraine rendent des comptes. Elle apporte son plein soutien à la CPI, ainsi qu’aux juridictions ukrainiennes qui concourent à cet objectif. »
Mais aujourd’hui la Cour estime qu’à Gaza, l’État d’Israël commet des crimes de guerre (entrave à l’aide humanitaire où la famine est utilisée comme méthode de guerre), des crimes contre l’humanité (des civils ont été délibérément visés par l’armée israélienne alors qu’elle prétend combattre le Hamas) et qu’il y a un risque génocidaire et, après avoir subi des pressions énormes pour ne pas émettre de mandats d’arrêt, l’a tout de même fait. L’amitié ne peut pas couvrir ce genre d’actes. Et même si cet ami historique accuse la CPI d’antisémitisme, notre ministre des affaires étrangères peut se rendre à Gaza constater ce que son ami a fait, si son ami daigne lui autoriser l’accès à Gaza, chose qu’il refuse aux journalistes depuis le 8 octobre 2023.
Nous ne voulons pas, nous, être complices par notre silence ou notre indifférence. La France veut bien lutter contre l’impunité, mais pas quand il s’agit de ses amis ! Et l’argument qui consiste à prétendre qu’il faudrait conserver un lien avec Netanyahou pour pouvoir peser dans les négociations ne tient pas. En quoi la France pèse-t-elle dans les décisions de Netanyahou ? D’ailleurs le fait de lui accorder l’immunité va le conforter dans la croyance qu’il peut tout faire sans être inquiété d’une façon ou d’une autre.
Les belles paroles sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de la part des dirigeants français, apparaissent pour ce qu’elles sont aujourd’hui : de belles paroles. Les belles paroles sur les “démocraties attachées au Droit” sont inaudibles lorsque des colonisations ont lieu, avec le renfort des forces armées israéliennes, lorsque les Juifs et les Arabes n’ont pas le même statut en Israël, lorsque la terreur est programmée avec autant de préméditation et sans distinction aucune dans un pays voisin comme le Liban, etc.
Les dirigeants français pensaient-ils que la CPI ne s’attaquait qu’à des responsables, chefs de guerre ou chefs d’État d’Afrique, ou qu’elle était au service de l’Occident ou de ses intérêts contre des adversaires tels que la Russie ? Et que des mandats d’arrêt ne cibleraient jamais des alliés des pays occidentaux ?
En tout état de cause la France va encore perdre du terrain dans bon nombre de pays, notamment du Sud, qui se réjouissaient du fait qu’enfin la CPI osait lancer des mandats d’arrêt contre des alliés des pays occidentaux.