Le juteux business de l’armement

Depuis des années, les économies des pays européens stagnent. Les inégalités se creusent et une partie importante de la population vit dans la précarité. Certes, la période post-COVID s’est caractérisée par un rebond économique en 2021, correspondant à un rattrapage de 2020. Mais à partir de 2022, elle s’essouffle de nouveau. La croissance économique de la zone euro n’était que de 0,4 % en 2023. L’inflation mine le pouvoir d’achat des travailleurs, des étudiants et des retraités. La contraction économique accroît les rivalités entre les États. La concurrence économique entre et multinationales attise les tensions dans les relations internationales. Les conflits militaires et les guerres se multiplient et s’intensifient.

Il y a pourtant un secteur qui voit ses profits augmenter considérablement : l’industrie de l’armement. Les tensions internationales lui ouvrent des opportunités. Les dépenses militaires augmentent. Selon les données publiées par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les budgets de la défense des pays européens s’élèvent à 552 milliards d’euros en 2023, chiffre record depuis la Guerre froide. La France ne fait pas exception. La loi de programmation militaire adoptée à l’Assemblée nationale et au Sénat prévoit une enveloppe de 413 ,3 milliards d’euros entre 2024 et 2030. Sans aucun doute, les guerres en Ukraine et au Proche-Orient sont un facteur majeur dans l’attribution de ces budgets.

L’Union européenne au service de l’industrie de l’armement

L’industrie de l’armement profite grassement des dépenses militaires. De plus, elle est largement subventionnée. Selon l’ENAAT (regroupement d’une vingtaine d’ONG) et la Transnational Institute, les programmes de défense européens ont attribué 576 millions d’euros de subventions à ce secteur, notamment à travers deux programmes : l’action préparatoire sur la recherche en matière de défense (PADR) et le programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (EDIP). La France capte près de 30 % de ce budget. Par ailleurs, le Fonds européen de la défense octroie une enveloppe de 8 milliards d’euros pour soutenir les industries de l’armement. Clairement, il y a une forte collusion entre les industriels de ce secteur et les institutions européennes, où les groupes de travail sont composés pour moitié de représentants de grandes entreprises telles que Airbus, Thales, Safran ou Dassault, qui œuvrent pour leurs propres intérêts. Sous couvert du Programme de défense européen, les institutions européennes sont au service du capital. Les capitalistes de la France et de l’Allemagne, pays qui sont les principaux piliers de l’UE, sont les principaux bénéficiaires des subventions.

Nom Pays Financement (million €)
Leonardo Italie 28,71
Indra Espagne 22,78
Safran France 22,33
Thales France 18,64
Airbus France, Allemagne, Espagne 10,17
Saab Suède 10,07
Hensoldt Allemagne 8,12
Fraunhofer Allemagne 8,07
KMW+Nexter Defense Systems France, Allemagne 6,90
GMV Espagne 6,24
Intracom Grèce 6,10
Milrem Estonie 5,92
Diehl Allemagne 5,32
TNO Pays-Bas 4,66
Bittium Finlande 3,26

Tableau 1 : les plus grands bénéficiaires du PADR et EDIP

(source : https://enaat.org/wp-content/uploads/2022/03/FanningtheFlames.pdf)

Le marché international des armes

Les activités de fabricants d’armes ne se limitent pas à fournir du matériel pour les États de l’Union européenne, ils en exportent massivement. Les trois premiers exportateurs d’armes au monde sont les États-Unis, la France et l’Allemagne. La Russie a perdu sa place de deuxième à cause de l’embargo sur les importations d’armes en provenance de la Russie. Les pays du Moyen-Orient sont les clients principaux de l’industrie de l’armement européenne, et particulièrement celle de la France. L’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis et le Qatar représentaient un quart des exportations, de 2016 à 2020. L’Arabie saoudite, l’Égypte et les Émirats arabes unis ont été impliqués dans la guerre au Yémen et sont susceptibles d’avoir utilisé des armes françaises pour commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Bien que l’ONU ait alerté sur cette situation à maintes reprises, les pays exportateurs ne veulent rien changer. Sous sa fausse apparence d’indépendance, l’ONU ne peut faire autrement que de soutenir (ou de laisser faire) les grandes puissances qui constituent des piliers de l’organisation. La France et les États-Unis sont les principaux fournisseurs d’armes au Moyen-Orient. L’ONU n’a aucun moyen d’empêcher ou de sanctionner les ventes d’armes sans le soutien des pays membres.

Lorsqu’il s’agit d’intérêts aussi importants, « la paix, la démocratie ou la liberté » si souvent utilisées contre des pays considérés comme ennemis (par exemple la Chine) sont balayés d’un revers de main. L’État d’Israël massacre la population palestinienne et libanaise sous couvert de lutter contre le Hamas et le Hezbollah. La Cour pénale internationale l’accuse de crimes de guerre et potentiellement de crimes contre l’humanité. Et pourtant, aucune sanction sérieuse n’est mise en place contre Israël. Des entreprises françaises ont été épinglées par l’ONG Disclose pour l’exportation du matériel de guerre vers Israël. C’est le cas de Thales qui a récemment livré, avec l’accord de l’État français, des transpondeurs pour des drones israéliens qui bombardent des civils à Gaza. L’État français est doublement responsable dans cette affaire, en tant que « contrôleur douanier » dans le cadre de la réglementation concernant les exportations et aussi en tant qu’actionnaire principal, détenant autour de 26 % du capital de l’entreprise. Les intérêts économiques passent avant toute autre considération.

Année Montant (en million €)
2008 3 172,80
2009 3 726
2010 3 783
2011 3 778,20
2012 3 379,10
2013 3 880,60
2014 4 045,40
2015 6 201,50
2016 7 121
2017 6 730,90
2018 6 966
2019 9 925,80
2020 4 306,70
2021 11 094,70
2022 7 662,70

Tableau 2 : valeurs des livraisons d’armes facturées par la France

(source : https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/290724.pdf)

Les intérêts capitalistes avant tout

Dans ce contexte très « favorable », les profits des entreprises impliquées dans l’industrie de l’armement sont en hausse et les dividendes versés aux actionnaires, eux aussi, augmentent. Le Tableau 3 donne un aperçu des performances financières de trois des principales entreprises du secteur.

  2021 (en €) 2022 (en €) 2023 (en €)
Safran Cours de référence 107,66 116,92 159,46
Dividende par action 1,35 1,35 2,908
Thales Cours de référence 74,80 119,30 133,95
Dividende par action 2,36 2,94 3,40
Dassault Aviation Cours de référence 95 158,20 179,20
Dividende par action 2,49 3 3,37

Tableau 3 : cours de l’action et dividende (source : zonebourse)

Les profits sont faramineux. Thales va verser plus de 700 millions d’euros à ses actionnaires, dont une partie à l’État actionnaire. En 2023, ces versements ont absorbé 70 % de son résultat net consolidé, ne laissant que 30 % de ses profits, charges déduites, à l’entreprise. Ce niveau de rémunération des actionnaires pourrait même menacer le développement de Thales sur le long terme. Le travail salarié, qui est à l’origine de la création et de l’accumulation du capital, se voit ainsi spolier pour enrichir une minorité de capitalistes, de gros actionnaires. L’État, en étant actionnaire de Thales et de Safran, a voté les augmentations des dividendes. En régime capitaliste, l’État est un instrument au service du capital. Il œuvre pour les intérêts de la classe capitaliste et se comporte comme un capitaliste. C’est ce qui caractérise entre autres la politique internationale de la France. Dans l’affaire des drones israéliens, il est à la fois juge et partie. L’État n’œuvre pas pour l’intérêt général. Les travailleurs ne sont que des instruments pour générer des profits, et les financements publics de l’UE, entre autres, contribuent grandement à l’enrichissement des actionnaires.

Quelle position sur l’industrie de l’armement ?

La CGT Thales planche sur la question de l’industrie de l’armement depuis déjà quelque temps. Elle y défend notamment la diversification des activités pour s’orienter vers des activités socialement utiles, au détriment des productions militaires. Thales et Safran ont des activités qui ne relèvent pas directement du domaine militaire, comme celle de l’exploration spatiale. Par exemple, la CGT Thales a activement participé à des projets concernant la technologie du médical. Les salariés de ces entreprises ont de hauts niveaux de qualification. Leur connaissance et leur expérience pourraient être mises à contribution non pas pour alimenter la guerre et générer des profits pour les capitalistes, mais pour résoudre les problèmes qui se posent à l’humanité. La CGT Thales s’est exprimée concernant la vente des transpondeurs à l’Israël, en s’opposant fermement à tout commerce avec un État qui mène une guerre à caractère génocidaire. Ces prises de position sont justes et nous ne pouvons que les soutenir. Elles tranchent avec une forme de syndicalisme qui flirte avec la collaboration de classe, par étroitesse d’esprit. Des syndicats qui se limitent uniquement aux questions de l’emploi et des augmentations des salaires, ne prends pas en compte le caractère stratégique et potentiellement problématique de l’entreprise dans laquelle ils travaillent. Il ne suffit pas de réclamer une répartition des richesses plus favorable aux salariés, en se félicitant des bonnes perspectives de négociation salariale liées au contexte international. Il faut penser le problème de façon globale, avec une approche internationaliste, au lieu de se limiter au cadre de l’entreprise.

La vente des armes ne concerne pas que des exportations. Les ventes destinées à la « défense nationale » sont, elles aussi, importantes. La France est une puissance impérialiste dont une part non négligeable de son PIB provient d’activités économiques à l’étranger. Parmi les nombreuses entreprises françaises implantées en Afrique, le groupe Bolloré exploite à grande échelle les ressources du continent, au détriment des populations locales. Pour assurer la sécurité de ces entreprises et défendre leur position stratégique, l’armée française est très présente en Afrique de l’Ouest et centrale, notamment dans ses anciennes colonies. Aujourd’hui, près de 10 000 militaires sont répartis entre Djibouti, le Gabon, la Côte d’Ivoire et le Tchad. En juillet 2023, un coup d’État militaire a chassé les forces armées françaises du Niger. La France a réalisé de nombreuses interventions militaires, officiellement ou non, sur le continent africain, pour protéger ses intérêts stratégiques et ceux des grands groupes capitalistes. L’État français n’est pas neutre. Il ne défend pas l’intérêt général. Sous le capitalisme, il est nécessairement au service du capital. Ainsi, les armes dont la production est destinée à l’appareil militaire français ne sont pas plus « éthiques » que celles destinées aux pays étrangers.

Pour toutes ces raisons, l’industrie de l’armement devrait être nationalisée sans indemnisations pour les gros actionnaires et placée sous contrôle démocratique. Cela nécessite une transition révolutionnaire du capitalisme vers le socialisme, c’est-à-dire la socialisation de l’ensemble des moyens de production et d’échange. À la place d’un État au service des capitalistes, comme la République actuelle, nous avons besoin d’un État qui défend les intérêts des travailleurs et de la masse de la population, un État qui mettra fin à la politique impérialiste de la France. C’est uniquement de cette manière que la force du salariat puisse être mobilisée pour répondre aux besoins de la société. La transformation socialiste de la société est un objectif dont il faut convaincre les salariés de l’industrie de l’armement et l’ensemble des travailleurs, pour préparer l’avènement d’une nouvelle société, en rupture avec l’impérialisme, libérée de l’exploitation capitaliste et de la guerre.

Gauthier HORDEL

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