Entretien avec Pascale Jourdan, secrétaire générale des syndicats CGT des hôpitaux de Marseille.

La politique de logique de rentabilité et de coupes budgétaires a effectivement contribué au démantèlement de l’hôpital public depuis plusieurs années. Les conséquences de cette politique sont nombreuses, et nous allons maintenant les examiner avec Pascale Jourdan.

Effectivement, la destruction de l’hôpital public ne date pas d’hier. En tant qu’infirmière en bloc opératoire pendant 33 ans, Pascale a une expérience directe de cette évolution. Elle explique : “Au début de ma carrière, en 1984, j’ai travaillé huit ans dans le privé, puis j’ai réintégré l’hôpital public où j’ai trouvé des conditions de travail merveilleuses par rapport au privé.” Cependant, les choses ont rapidement commencé à se dégrader : “À partir des années 90, on sent les politiques de santé entrer en vigueur.” Le premier effet de ces politiques a été la diminution du personnel soignant : “On a commencé à réduire les effectifs, à ne plus prévoir un pourcentage de personnel supplémentaire en cas d’absences, ce qui a conduit à des équipes très restreintes.”

Effectivement, le manque d’effectifs ressenti dès les années 90 s’est aggravé depuis. Une étude menée par la Fédération Hospitalière de France en 2022 révèle que 99 % des hôpitaux publics en France souffrent d’une pénurie de personnel soignant. Ce manque d’effectifs a de nombreuses conséquences.

Évidemment, l’une des conséquences est le surmenage du personnel avec un emploi du temps irrégulier. De plus, récemment, les soignants sont passés aux horaires de 12 heures d’affilée, ce qui ne laisse pas le corps indemne. “À la CGT, nous avons toujours été contre les 12 heures pour la bonne raison que des études, dont celle de l’IMRS, ont démontré les effets néfastes sur la santé des travailleurs et travailleuses.” Malheureusement, c’est souvent le personnel qui les réclame, la raison étant de “venir le moins souvent au travail, pour être le moins souvent confronté à des situations de travail pénibles et à des conditions de travail déplorables.”

Des effectifs supplémentaires de soignants permettaient de faire face aux absences en cas d’arrêt maladie, mais aussi de les aider à leur retour, de les faire reprendre en douceur en leur permettant de travailler en double. Ce n’est plus possible et fréquemment, le retour au travail est très compliqué pour ces personnes : “On ne peut plus prendre soin des agents, qu’ils soient en bonne ou en mauvaise santé. Et d’ailleurs, quand tu es en mauvaise santé, la plupart du temps, c’est un parcours du combattant pour reprendre. Si en plus, on a des restrictions médicales, en fin de compte, c’est souvent la mise en invalidité, mise à la retraite anticipée pour des raisons de santé avec des pensions décotées.” Dernièrement, un dispositif a été mis en place, le PPR (Procédure de Préparation de Reclassement), pour permettre au personnel de trouver un nouveau poste au cas où il serait jugé inapte à reprendre son ancien. Mais pour Pascale Jourdan, ce n’est pas efficace : “On va lui faire une formation pendant un an sur des postes d’agents administratifs. Et au bout du compte, s’il n’y a pas de poste, une fois le processus terminé, il se retrouve sans aucune alternative de reclassement.” La finalité, c’est que des soignants se forcent à travailler malgré leurs maladies afin d’éviter d’être poussés à la sortie.

De plus, à cause de l’effectif réduit, les agents ne peuvent plus suivre de formations pour évoluer professionnellement ou même entamer une reconversion, ce qui était considéré comme un acquis de la fonction publique hospitalière. L’organisation collective pour défendre de meilleures conditions de travail devient de plus en plus compliquée. “On vit dans une société de plus en plus individualiste. Quand nos ancêtres ont gagné les congés, après leur journée de travail, ils faisaient des assemblées générales, ils décidaient ensemble. Mais maintenant, avec les services de 12 heures, il est difficile de demander aux personnes de rester. On organise des assemblées générales dans les halls des hôpitaux de temps en temps, mais il y a de moins en moins d’agents car ils sont dans leur service et ils n’ont même plus cinq minutes pour se libérer et venir écouter les informations que nous leur donnons.”

De plus, concrètement, le droit de grève est presque inapplicable dans l’hôpital public, explique Pascale : “Le manque d’effectifs fait que dès que tu te déclares gréviste, on t’assigne.” Sans la capacité d’exercer ce droit fondamental, il est difficile de pouvoir se défendre face à la casse de l’hôpital public et à l’intrusion de la logique capitaliste de rentabilité. Par exemple, l’instauration de la T2A (tarification à l’activité) illustre parfaitement cette dérive capitaliste. Il s’agit de fixer une limite de dépense pour l’hôpital pour chaque acte qui a lieu : par exemple, une fracture du pied coûte en moyenne 200 €, donc il ne faut pas dépasser ce coût. Elle a été mise en place pour contraindre les hôpitaux à “maîtriser” leurs coûts, en d’autres termes, à réduire au maximum les dépenses. Cette politique est d’autant plus intolérable qu’il s’agit de la santé des êtres humains. Bien évidemment, imposer un budget strict dans un domaine aussi imprévisible que les soins entraîne des dérives, comme nous l’explique Pascale : “Un exemple, il est arrivé que les services de gériatrie qui n’avaient pas assez de moyens pour les personnes âgées essaient de se fournir auprès du service de l’enfance qui refusait pour les mêmes raisons. Voilà à quoi peut mener cette politique qui n’a d’autre objectif que de calquer les méthodes du secteur privé sur l’hôpital public.” La situation pourrait encore s’aggraver si le nouveau gouvernement maintient l’objectif de l’ancien gouvernement de réaliser une économie de 600 millions d’euros.

L’hôpital public ne peut en effet être géré selon les règles de rentabilité du capitalisme. Parmi les solutions pour redresser la situation, il y a les revendications de la CGT, telles que l’effacement de la dette des hôpitaux, un investissement massif pour rouvrir les lits, les hôpitaux et les maternités fermés, ainsi que la fin du numerus clausus afin de permettre le recrutement de davantage de médecins. Il est également proposé que les agents hospitaliers prennent en main et gèrent démocratiquement l’hôpital public, car ils possèdent une connaissance “du terrain”, des difficultés et des propositions à faire valoir. Cependant, il est nécessaire de lutter contre tous les gouvernements qui dictent leurs règles, détruisent les services publics et soumettent de plus en plus d’activités publiques aux lois du profit et au “libre” marché capitaliste.

CLP

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