L’année dernière, dans la nuit du 29 octobre, les forces de sécurité pakistanaises du CTD (Département de lutte contre le terrorisme) ont fait irruption dans une maison de la ville reculée d’Absar, située à dix minutes en voiture de la ville de Turbat, dans la province agitée du Baloutchistan au Pakistan, saccageant la maison et interrogeant ses habitants. Quand ils sont partis, ils ont emmené Balaach, 22 ans, en détention.
Le 21 novembre, le CTD a déposé une plainte contre Balaach, le déclarant membre d’un groupe séparatiste militant baloutche, et l’a présenté au tribunal local. Le tribunal a accordé au CTD une détention provisoire de 10 jours. Mais dès le lendemain, à minuit, le 22 novembre, Balaach, ainsi que trois autres jeunes baloutches, a été tué « lors d’une opération antiterroriste », selon la version du CTD. Les forces de sécurité ont affirmé que Balaach avait été tué par des tirs.
Cependant, cet incident a enragé les habitants de Turbat, qui ont entamé un sit-in dans le centre-ville, auprès des corps des personnes tuées. Des milliers de personnes ont participé au sit-in, exigeant la fin des « disparitions forcées » et des exécutions extrajudiciaires par les forces de sécurité. Les corps ont finalement été enterrés, mais le sit-in s’est transformé en une longue marche vers la capitale provinciale, Quetta. La marche s’est rendue dans de nombreuses villes du Baloutchistan, où il y a eu des rassemblements massifs de protestation. Après leur court séjour à Quetta, les marcheurs se sont dirigés vers Islamabad. En cours de route, ils ont organisé des rassemblements à Kohlu, à Sakhi Sarwar et dans d’autres villes.
Initialement, la police a interdit le sit-in devant le Club national de la presse, à Islamabad, mais les manifestants, dirigés par une femme médecin, Mahrang Baloch, ont finalement réussi à le faire. La protestation s’est poursuivie jusqu’au 23 décembre. La dirigeante du mouvement, le Dr Baloch, a appelé à un rassemblement de masse, pour le 27 décembre, à Quetta. Le jour du rassemblement, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester contre les disparitions forcées.
Pendant ce temps, des rassemblements de masse ont eu lieu à travers le Baloutchistan, en soutien au sit-in à Islamabad et contre les atrocités commises par la police. Des centaines de milliers de personnes ont participé à ces rassemblements, dont un grand nombre de femmes. Pendant plus d’une décennie, l’État a délibérément laissé carte blanche aux « escadrons de la mort » dans les villes et villages baloutches. Ces escadrons de la mort sont composés d’éléments criminels chargés de saboter l’activisme politique radical, et d’enlever, torturer et tuer des militants politiques. Finalement, pour la quatrième fois dans l’histoire du Baloutchistan, le peuple s’est soulevé contre l’oppression nationale et l’exploitation, mobilisant des centaines de milliers de jeunes.
Pour écraser ce soulèvement armé, l’État a lancé une opération militaire brutale en assignant les différentes régions du Baloutchistan à divers groupes criminels pour « rétablir l’ordre ». Par exemple, la région de Jhalawan a été remise au criminel notoire Shafique Mengal et celle de Sarawan a été attribuée à Siraj Raisani. Ces groupes sont qualifiés d’« escadrons de la mort » par la population locale. Ils disposent de leurs propres cellules de torture où les travailleurs politiques baloutches enlevés sont brutalement torturés et leurs corps mutilés. En 2014, une fosse commune a été découverte dans la ville isolée de Tootak, au Baloutchistan, contenant environ deux cents corps décomposés. Il s’agirait des corps de ceux qui ont été torturés à mort dans les cellules de Shafique Mengal.
Il y a quatre ans, en mai 2020, un incident similaire s’est produit dans la ville de Turbat, lorsque des nervis ont fait irruption dans une maison et tué une femme du nom de Malak Naz, dont la fille a été grièvement blessée dans l’attaque. À l’époque, des manifestations avaient éclaté, au cours desquelles le Comité Baloch Yakjehti (Comité de solidarité baloutche) a vu le jour et dans lequel les jeunes femmes baloutches jouent un rôle prépondérant. Depuis, les femmes baloutches jouent un rôle de premier plan dans le mouvement contre l’oppression gouvernementale. Il s’agit d’un développement très positif, compte tenu de la nature patriarcale et archaïque de la société baloutche.
Le mouvement actuel est une continuation des luttes de 2020, mais à une échelle plus grande. Les revendications immédiates du mouvement concernent la récupération des personnes disparues et le démantèlement des escadrons de la mort et de la CTD. Mais cette campagne de masse fait partie intégrante d’un mouvement plus large contre l’oppression nationale des Baloutches qui existe depuis la création de l’État pakistanais.
Hassan Jan, Pakistan.