En 2018 et 2019, Boeing a fait la « une » de l’actualité avec deux catastrophes successives impliquant des 737 MAX de la compagnie indonésienne Lion Air et puis d’Ethiopian Airlines. Le documentaire Downfall (Netflix) retrace l’histoire et les causes de ces événements tragiques, démontrant sans appel la responsabilité des dirigeants de Boeing.
Boeing était le fleuron de l’industrie aéronautique mondiale durant des dizaines d’années. Réputée pour sa capacité d’innovation et la fiabilité de ses appareils, faisaient la réputation, l’entreprise a été le leader mondial de l’industrie aéronautique, avec 10 000 appareils en service à travers le monde. Pendant des années, ingénieurs, techniciens et ouvriers étaient fiers d’arborer les couleurs d’une entreprise célèbre et prestigieuse. Seulement quatre mois ont séparé l’accident de Lion Air de celui d’Ethiopian Airlines. Dans les deux cas, les boîtes noires ont révélé qu’une sonde située sur l’avant de l’avion et permettant de mesurer l’angle d’inclinaison du nez de l’avion était défectueuse, enregistrant des valeurs erronées. Cette unique sonde est connectée à un système de correction automatique de trajectoire contrôlé par un logiciel dénommé MCAS. Pour l’accident indonésien, la boîte noire a également révélé un problème d’indication d’altitude. La correction automatique de vol a lutté contre ce qu’il pensait être un cabrage de l’avion et a fait piquer l’avion vers le bas. Or, il se trouve qu’en l’absence de données exactes d’altitude, le système ne comprend pas qu’il envoie l’avion, avec son personnel naviguant et ses passagers, dans une chute mortelle. Les pilotes recevaient une série d’alarmes contradictoires qu’ils n’ont pas eu le temps d’analyser. Ne comprenant pas la réaction de l’avion, ils n’ont pu le redresser. À cette époque, aucun pilote du 737 MAX n’avait connaissance de l’existence du MCAS et de la possibilité de le désactiver.
Ultérieurement, Boeing a dû reconnaître que les pilotes n’étaient pas informés que le 737 MAX disposait du système correction automatique de trajectoire MCAS et de la possibilité de le désactiver si nécessaire. Cependant, bien que les pilotes d’Ethiopian Airlines se soient retrouvés avec la même anomalie que les Indonésiens et qu’ils aient effectivement déconnecté le MCAS, ils n’ont pas réussi non plus à redresser l’avion. L’expertise a démontré qu’ils ne disposaient que de 10 secondes, une fois les alarmes enclenchées, pour comprendre que le problème venait d’un défaut de sonde envoyant des données erronées au MCAS et qui faisait plonger l’avion vers le bas. Toute la stratégie de Boeing lors de ces deux accidents a été de tenter de discréditer les pilotes afin de leur faire endosser la responsabilité des catastrophes. L’enquête menée par un journaliste du Wall Street Journal a révélé que derrière les affirmations calomnieuses de Boeing se cachait une autre réalité. L’entreprise est sérieusement concurrencée par Airbus depuis des années au point d’avoir perdu sa position de leader sur le marché de l’aviation civile et des gros-porteurs. Le 737 MAX devait aider Boeing à revenir à la première place en signant de nombreux contrats avec les compagnies aériennes.
Lorsqu’un constructeur met sur le marché un nouvel avion, il doit respecter des règles imposées par la FAA (Federal Aviation Administration), qui effectue une série de contrôles pour vérifier que l’appareil répond à des exigences bien précises. Parmi ces règles, il y a l’obligation de former les pilotes sur le nouvel appareil, grâce à des simulateurs de vol. Or, l’enquête a révélé que Boeing a dissimulé l’ampleur des changements pour faire passer le 737 MAX non comme un nouvel appareil, mais comme une simple modification du 737. De cette façon, Boeing est passé au travers de ses obligations qui lui ont permis d’éviter le développement de simulateurs et la formation des pilotes. Parmi les changements majeurs que Boeing a dissimulés, il y avait les nouveaux moteurs du 737 MAX, qui sont plus lourds que les anciens. Or, le fuselage du 737 n’a pas été modifié et les ingénieurs ont été obligés de placer les moteurs plus en avant. Cette nouvelle position engendrait un cabrage de l’avion vers l’avant. Le système MCAS a été implanté précisément pour corriger ce défaut. Habituellement et par mesure de sécurité, les avions sont équipés de deux sondes de mesures d’inclinaison, mais par souci d’économie il a été « imposé » aux ingénieurs d’en supprimer une.
Alors que Boeing a fondé sa réputation sur la qualité et la sécurité de ses avions, quelles sont les circonstances qui l’ont poussé à renoncer à la culture existante au sein de l’entreprise, au point de mettre la vie du personnel navigant et des passagers en danger ? Indéniablement, c’est la course au profit qui est responsable. En 1996, Boeing rachète l’entreprise McDonnell Douglas, qui était le quatrième constructeur aéronautique de l’époque. Selon les salariés de Boeing, c’est à partir de cette opération que la politique de l’entreprise commence à changer. Beaucoup d’entre eux rejettent la faute sur l’entreprise absorbée, qui aurait imposé des méthodes radicalement différentes. Désormais, les résultats à court terme, les rentrées d’argent rapide et la satisfaction des actionnaires sont devenus les objectifs principaux. Dans les années 80 et 90, l’économie se transforme. Les taux de profit du secteur industriel ralentissent, ce qui incite les investisseurs et les entreprises à se tourner vers le secteur financier. Celui-ci assure une rentabilité des investissements plus importante que le secteur productif, mais qui crée au passage des bulles spéculatives. Les entreprises du secteur industriel cherchent à créer de la valeur en jouant sur la valeur des actions pour assurer un rendement plus élevé. Le rachat de McDonnell Douglas par Boeing pour former un géant de l’aéronautique et attirer de nouveaux investisseurs est un des révélateurs de cette transformation économique. Par la suite, la qualité de construction des avions est passée au second plan, car elle génère des surcoûts. La productivité est augmentée et se fait au détriment de la rigueur nécessaire dans le processus de production des avions. Le management au sein de l’entreprise se transforme. L’innovation a pour seul objectif l’augmentation des profits. Les procédures réglementaires sont bâclées et les employés sont désorientés. Pour eux, Boeing n’est plus synonyme d’innovation, de qualité et de sécurité. L’entreprise est devenue une machine purement financière.
Les stratégies mises en œuvre par les entreprises démontrent que sous le capitalisme, le moteur de l’activité économique est la recherche de profit maximum. Depuis les années 70, nous vivons dans un système de crise permanente et de ralentissement économique plus ou moins prononcé. Dans ces conditions, tout ce qui fait obstacle aux profits est minutieusement détruit. Que ce soient les conquêtes sociales, la lutte contre le réchauffement climatique ou, comme ici, la qualité de construction des avions, elles ne sont plus qu’autant d’obstacles à la rentabilité à court terme. Les capitalistes agissent en toute impunité et les 347 morts de deux crashs n’ont que peu de valeur face à leurs intérêts. Le pouvoir économique de ce type d’entreprise est bien trop important. Les familles des victimes, ayant voulu faire reconnaître la culpabilité de Boeing, ont pu en faire l’expérience. Boeing a tout mis en œuvre pour remettre en service ses 737 MAX et éviter un procès. Tant que le capitalisme régnera, nous serons systématiquement soumis aux intérêts « supérieurs » de la classe dominante. C’est un exemple parmi tant d’autres de la nécessité de mettre un terme définitif à la propriété capitaliste des moyens de production.
Gauthier Hordel