Les résultats des législatives confirment un processus à l’œuvre depuis déjà un moment. Une polarisation de la société qui s’observe dans le vote avec la montée de la gauche, de l’extrême droite et un affaiblissement des partis classiques dit de « gouvernement ». L’autre pan de cette polarisation est un rejet de la politique qui s’exprime dans l’abstention (53,77%) et les votes blancs et nuls (3,53%). Macron sort affaibli avec 245 sièges contre 350 en 2017 et ne lui permet donc pas d’avoir une majorité absolue. Même si il a la majorité relative, celle-ci est bien trop faible et devra s’appuyer sur Les Républicains et pourquoi pas sur le RN en quelques circonstances. Mais les LR sont divisés sur l’attitude à avoir envers la majorité présidentielle mais peut lui permettre de négocier des postes au ministère.
La NUPES a réalisé une percée si l’on considère le nombre de sièges. Au total, elle gagne 131 sièges dont plus de la moitié revient à LFI qui représente l’élément moteur de la coalition de gauche. Mais il faut relativiser ce résultat car elle n’a pas mobilisé autant d’électeurs que ce qu’avait réalisé uniquement Mélenchon lors de l’élection présidentielle. Cependant, d’une part la gauche réalise un bien meilleur score que les législatives de 2017 ; si elle était partie divisée elle aurait perdu des sièges et d’autre part l’accord de coalition a permis de tirer vers la gauche le PS tiraillé entre la droite et la gauche en échange de compromis notamment sur l’abandon des quelques nationalisations dans le secteur de l’énergie et financier. Cette coalition a eu pour conséquence de mettre de côté une minorité dissidente qui n’a pas encore franchi le pas de rejoindre Macron et qui va errer avant de se résoudre. ? Quoi qu’il en soit, il s’agit aussi bien pour le PS et le PCF de jouer la sauvegarde de l’appareil en se garantissant un certain nombre d’élus négocié avec le poids lourd en l’occurence LFI. Le centre de gravité de ce bloc se situe plus à gauche que ne l’était l’ensemble des différents groupes de gauche au parlement en 2017. Le PS était le plus important et constitué d’éléments qui tiraient encore « un bilan globalement positif » de la présidence Hollande. Cependant il ne faut pas exclure le fait qu’à la première occasion, sous la pression des évènements, le PS et EELV reprendront la place qui est la leurs : l’aide droite du réformisme.
De l’autre côté, Le RN a considérablement progressé passant de 8 sièges en 2017 à 89 aujourd’hui. L’incapacité du système capitaliste et des forces politiques qui représentent les intérêts du capital tel Renaissance (Ex LREM) a enrayé le déclin économique et social et provoque une montée du mécontentement qui s’exprime en partie par les canaux de l’extrême droite. Le RN use de la rhétorique nationaliste, antimondialisation, antisystème pour se présenter comme l’alternative au déclin et à la politique de Macron sans pourtant ne jamais remettre en cause l’ordre social existant. En temps normal, les capitalistes ne sont pas enclins à aider l’extrême droite à arriver au pouvoir. Il représente une menace trop importante pour la stabilité sociale, en provoquant potentiellement des mobilisations massives. Cependant l’histoire l’a démontré à plusieurs reprises, en cas de dernier recours, ils peuvent l’utiliser car garant de des intérêts du capital lors de crises révolutionnaires. Les capitalistes et leurs médias ont affolé l’opinion publique en pointant du doigt la NUPES qui si elle était au pouvoir provoquerait inévitablement le chaos. Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef s’est exprimé à plusieurs reprises en ce sens. Une première fois contre Mélenchon lors des présidentielles et par la suite contre la NUPES lors des législatives. Il y a des éléments de vérité, mais il faut les comprendre comme des menaces à peine dissimulées. Toute politique de progrès social représente un obstacle aux intérêts du capital, aux profits capitalistes. Un gouvernement qui voudrait appliquer une telle politique aurait une opposition farouche de la part des capitalistes. C’est par la grève des investissements, les licenciements, les locks out, le refus d’honorer des commandes de l’état… que les capitalistes provoqueraient le chaos et ils en feraient peser la responsabilité sur ce gouvernement.
La stratégie de Macron lors de la campagne de la présidentielle et des législatives face à la « montée » de la gauche a été conforme avec ce qui a été décrit précédemment. La NUPES a été dépeinte comme une coalition de partis rangés derrière « le programme de Mélenchon » considéré comme radical, d’extrême gauche donc un « danger pour la république ». Cette qualification qui n’a rien d’objective et rationnelle a été accompagnée d’un tissu de mensonges comme la pseudo-fascination de Mélenchon envers Poutine et autres absurdités. Pour finir cette tentative de discrédit, la NUPES et le RN sont renvoyés dos à dos comme des extrêmes se rejoignant. C’est dans l’ordre des choses, l’inverse aurait été surprenant.
Enfin le « front républicain » a volé en éclat dès lors qu’il ne sert plus les intérêts de Macron ou de manière générale les défenseurs du capital. 63 circonscriptions ont vu un duel NUPES contre RN. Dans plus de 50 d’entre elles, Macron et ses sbires n’ont donné aucune consigne de vote. Cette stratégie a permis de renforcer considérablement le RN à l’Assemblée Nationale et de tenter la division de la gauche. Par exemple, Roussel serait plus respectable que Bompard etc. En tout état de cause pour Macron l’opposition de la gauche passe par le renforcement du RN. Cette position trouve confirmation dans l’appel du pied du ministre de la justice Dupond-Moretti vers le RN lors de la soirée électorale du second tour dans « l’intérêt de la France » qu’il faut comprendre dans l’intérêt du capitalisme français.
Le soi-disant extrémisme de la NUPES
Si l’on cherche à caractériser le programme de la NUPES de façon objective et rationnelle, on s’aperçoit assez rapidement qu’il ne s’agit pas d’un programme révolutionnaire, c’est-à-dire en rupture avec le capitalisme mais de réformes sociales qui ne remettent pas en cause la propriété capitaliste. Il est indéniable que l’application de la plupart des mesures représenterait un progrès pour la vaste majorité de la population. En définitive au sein de la NUPES, LFI et le PCF représentent l’aile gauche du réformisme.
Il est bien entendu que ces réformes font obstacles aux profits capitalistes donc à l’enrichissement des grandes fortunes. Cependant l’économie capitaliste n’est pas en bonne santé. La stagnation économique, le ralentissement de la croissance a repris son cours, celui de la période pré Covid. La reprise économique de fin de Covid n’a été qu’une très courte parenthèse. Cette situation rend encore plus intolérable pour les capitalistes toutes politiques de réformes sociales au profit des travailleurs. Au contraire, afin de préserver leurs intérêts, les capitalistes exigent la destruction de toutes les conquêtes du passé, imposant la précarité et la régression au nom de la compétitivité.
Bien que le programme de la NUPES mentionne des pôles publics – les quelques nationalisations ont été abandonnées sur demande du PS et EELV – l’essentiel des moyens de production et d’échange reste dans les mains des capitalistes. C’est là pourtant que réside le pouvoir qui leur permet d’organiser le sabotage économique.
Les principaux leaders de l’aile gauche du réformisme, Mélenchon, Roussel et autres ont une approche keynésienne de l’économie. Ils prétendent pouvoir améliorer la situation économique en substituant au dogme libéral de la politique de l’offre (s’en remettre au marché pour réguler l’économie) par la politique de la demande. En d’autres termes, d’une part augmenter le SMIC, inciter à l’augmentation des salaires pour relancer la consommation et donc la croissance. D’autre part, elle consiste à lancer des investissements publics sur le marché permettant de répondre à une demande sociale et d’apporter de l’activité aux entreprises moyennant quelques contraintes sociales et environnementales. Rien ne garantit que les entreprises joueraient le jeu, tant qu’elles sont propriétaires de ses moyens de production. Pour ce qui concerne l’économie, nous avons démontré à plusieurs reprises que ce n’était pas la consommation qui tirait l’économie mais les taux de profits. Bien entendu la consommation est un préalable mais c’est la faible rentabilité des investissements dans le secteur productif qui est la cause de la stagnation économique, d’où l’impasse des recettes keynésiennes de relance pour enrayer les crises économiques.
Pour un certain nombre d’électeurs et de militants, le bloc de gauche représente un espoir de peser contre la politique de Macron. Mais pour que son programme puisse devenir une arme de transformation sociale, le programme de la NUPES ou de ses composantes doit s’inspirer davantage des analyses marxistes plutôt que keynésienne. La seule manière de rendre pérenne les réformes de progrès social est de briser la mainmise des capitalistes sur l’économie pour éviter toute tentative de sabotage, ce qui ne signifie ni plus ni moins la socialisation des moyens de production et d’échange sous le contrôle démocratique des travailleurs pour ce qui concerne les secteurs clés de l’économie. Du point de vue du capital, de telles mesures sont plus radicales que la simple taxation des profits mais du point vue de l’ensemble des salariés ces mesures ne sont que justice.
De toute évidence, si Macron parvient à une coalition avec les LR, ce qui est absolument nécessaire pour les capitalistes pour sortir d’une situation de blocage, lui et ses alliés poursuivront une politique de régression sociale. L’inflation, la stagnation économique, la guerre en Ukraine, les problèmes autour de l’énergie, le réchauffement et dérèglement climatique sont autant d‘éléments qui vont pousser à l’instabilité sociale et à une crise majeure à un moment ou un autre sous l’apparente passivité des travailleurs.
Macron est un stratège et tacticien intelligent du capital. Il est parfaitement conscient de la situation. Il sait que durant son quinquennat, il devra affronter des situations de crises sociales. Il a l’expérience des gilets jaunes et des mobilisations syndicales par exemple contre la réforme des retraites avortée pour cause de Covid. Ce contexte conditionne toute sa stratégie : il tente de diviser les travailleurs entre eux (fonctionnaires, salariés du privé et chômeurs), flirt avec les idées nationalistes et agite le spectre communautariste en montant les gens les uns contre les autres suivant leurs origines (loi contre le séparatisme, islamo gauchisme, utilisation du vocable d’extrême droite …) et renforce l’arsenal de répression en donnant des gages à la police pour mater la révolte.
Dans ce contexte la lutte contre les conséquences du capitalisme et la politique de Macron prendra des formes extra parlementaires, la passivité latente sera brusquement rompue. La NUPES mais surtout ses composantes les plus à gauche (LFI et PCF) mais aussi la CGT auront de grandes responsabilités. Elles seront poussées sur leur gauche par la force motrice des évènements. Leur renforcement dépendra de leur attitude. Il est possible qu’elles tendent à s’opposer mais si elles empruntent le chemin qui leur est tracé alors elles auront des appuis solides dans la contestation. Sous le poids des évènements, elles devront renforcer leurs programmes avec des mesures plus décisives contre le capitalisme et plus en phase avec la réalité. Un tel programme dans un tel contexte sera aussi un outil plus efficace pour se débarrasser du poison nationaliste.
Gauthier HORDEL
Bonne analyse. Oui, il faut un PCF qui renoue avec la classe ouvrière
et la CGT qui renoue avec la lutte de classe.
Objectif : le SOCIALISME.