Une seule et même rengaine circule dans les médias et réseaux sociaux : « l’union de la gauche, c’est pour quand ? ». Il est légitime de se poser la question… et absolument nécessaire d’y répondre. Selon le site « primaire populaire », il y aurait 270 000 personnes qui réclament une primaire pour l’unification de la « gauche ». En théorie, la primaire vise à rassembler les forces derrière le candidat élu. Mais celle organisée par le PS avant la dernière élection présidentielle n’a absolument pas aboutie à cet objectif. Pour la droite du PS, une primaire n’a d’intérêt que si le résultat est conforme à leurs objectifs. Bien que Benoît Hamon soit arrivé en tête de la primaire socialiste de 2016, il a immédiatement été trahi par l’ensemble des candidats, qui ont appelé a voté Macron par la suite. Il a fini à 6 % aux élections et le traitement médiatique de l’affaire a fait qu’on ne retiendrait de lui que sa revendication d’un revenu universel et qu’il mangerait des kebabs. C’est la preuve que la primaire ne garantit pas l’union de la gauche. Peut-on imaginer un seul instant que Hidalgo ou les dirigeants du Parti Socialiste mènent campagne pour Mélenchon ou Roussel si l’un de ces derniers sortait vainqueur de la primaire ? Par ailleurs, rien ne garantit non plus que les électeurs supposés de chaque candidat voteraient pour le gagnant. Encore une fois, si le candidat du PS n’est plus en lice, sa base électorale va-t-elle voter en bloc pour Mélenchon ou Roussel ? La politique ne se réduit ni à des calculs simplistes ni à des sondages. Avant même de se poser la question de la primaire comme méthode, il faut d’abord se poser celle de son objectif.
Historiquement, deux courants principaux ont existé au sein de la gauche. Le courant réformiste rejette la nécessité d’une rupture avec le capitalisme et se borne à tenter de l’aménager, par exemple par une augmentation des salaires, des réformes fiscales, des allocations sociales, de nouvelles lois ou encore des modifications constitutionnelles. Pour cette composante de la gauche, le rôle de l’État se limite à trouver un compromis entre les classes. Concernant les problèmes écologiques, les réformistes veulent trouver des solutions, mais sans toucher au système capitaliste.
De l’autre côté, il y a une gauche anticapitaliste et communiste qui aspire à une rupture révolutionnaire avec le capitalisme. Son objectif est de remettre en cause le pouvoir des capitalistes par l’expropriation de la propriété privée des moyens de production et sa mise sous contrôle démocratique. La socialisation de la propriété capitaliste et sa gestion démocratique permettraient de mettre un terme à la division de la société entre exploiteurs et exploités, entre riches et pauvres. De cette manière, l’intérêt des travailleurs et la préservation de l’environnement seraient au cœur de la nouvelle organisation sociale.
À ces deux courants réformiste et révolutionnaire, il faut ajouter un troisième qui existe maintenant depuis au moins une quarantaine d’années, celui du contre-réformisme, c’est-à-dire d’une « gauche » dont l’adhésion au capitalisme est tellement forte qu’elle accepte de démanteler les réformes sociales du passé et imposer la régression sociale pour augmenter les profits des capitalistes. Elle accepte, aussi, de cautionner les pillages et les guerres impérialistes. Ce dernier courant domine les instances dirigeantes du Parti Socialiste, dont les orientations politiques recoupent largement celles des partis de droite. Les dirigeants du PS sont des agents conscients de la classe capitaliste.
La direction du PS est favorable à une « primaire » dans l’espoir d’éliminer d’avance la concurrence des partis de la gauche réformiste et récupérer les suffrages de leurs sympathisants. Ce serait une victoire des contre-réformistes sur la gauche réformiste et révolutionnaire. Et dans le cas où un candidat se situant sur la gauche du PS l’emporterait, le résultat ne serait pas une union, car le PS refuserait de le soutenir. Quant aux projets de Montebourg ou des Verts, ils s’inscrivent, tout comme celui d’Hidalgo, dans une logique politique purement capitaliste.
Le problème est que le PCF et la FI qui se présentent comme une alternative à l’austérité imposée par le capitalisme n’ont pas convaincu les masses de la justesse de leurs programmes. Jean-Luc Mélenchon relaye la colère et le ressentiment face aux injustices et humiliations que le capitalisme inflige, mais son programme ne contient pas de mesures décisives contre le capitalisme. Il se limite à une succession de réformes sociales qui ne remettent pas en cause le pouvoir des capitalistes. Par exemple, sous la rubrique intitulée « mettre au pas la finance », la mesure la plus forte est celle d’une taxe sur les transactions financières. Ainsi, le but annoncé dans le titre ne trouve pas de traduction concrète. Il en va de même pour toutes les autres rubriques. À chaque fois, la montagne accouche d’une souris. Les travailleurs, les chômeurs, les jeunes, les retraités sont effectivement en colère. Ils veulent un changement. Mais les promesses, les grandes phrases, ils en ont l’habitude. Et surtout, ils savent, parce qu’ils le vivent tous les jours, qui tient les rênes du pouvoir dans le pays. Ils savent qui a le pouvoir dans les entreprises. Et ils savent que menacer les intérêts de cette classe, toucher à ses profits par des taxes ou d’autres impositions tout en laissant son pouvoir intact est une politique vouée à l’échec, tout simplement parce que, sous le règne des capitalistes, une entreprise insuffisamment rentable est condamnée à disparaître.
Quant au programme défendu par Fabien Roussel, on y retrouve, au fond, la même ambiguïté. Les quelques nationalisations proposées sont positives, mais n’entameraient le pouvoir capitaliste que de façon marginale. Parmi les propositions les plus radicales que l’on entend dans les meetings se trouve la taxation des bénéfices. Fabien Roussel dit qu’on « prendra tout » au-dessus 500 000 euros de bénéfice annuel. Cette formule peut paraître plutôt révolutionnaire, mais elle soulève des questions importantes. Prenons un groupe comme Carrefour, qui fait plus de 300 millions d’euros par trimestre. Si Fabien Roussel lui prenait « tout » – ou même la moitié ! – ses investisseurs risqueraient de s’en détourner et fermer ses portes. Ils ont le pouvoir de le faire. C’est la réalité du système. Et dans ce cas, qu’est-ce qu’on fait ? On nationalise Carrefour ? Et si oui, pourquoi ne pas le dire d’emblée ? Car cela changerait tout. Les salariés du groupe qui entendent que ses bénéfices seront massivement, voire totalement, versés au Trésor Public savent pertinemment ce qui les attendrait dans ce cas, et ils ne le verraient pas comme un progrès. Mais si l’entreprise était nationalisée, transformée en un service public, avec des garanties pour l’emploi, les salaires et les conditions de travail des travailleurs, ce serait une tout autre affaire. Par ailleurs, on ne comprend pas pourquoi les capitalistes faisant 500 000 euros de bénéfices seraient épargnés. Souvent, les pires exploiteurs, ce sont les soi-disant « petits » patrons.
Dans les faits, dans le programme du PCF, comme dans celui de France Insoumise, et malgré les différences qui existent entre les deux, il s’agit d’apporter des retouches superficielles au capitalisme, sans toucher au système d’exploitation lui-même, qui est laissé intact. Autrement, pourquoi ne pas dire clairement, comme un point clé de notre programme, que « nous, les communistes, à la différence des réformistes, nous supprimerons la propriété privée des moyens de production », en expliquant comment l’expropriation des capitalistes transformerait les conditions d’existence de la masse de la population. En clair, les programmes actuels du PCF et de France Insoumise cherchent la mise en œuvre de réformes sociales et politiques dans le cadre du capitalisme, et de ce point de vue, on peut comprendre que des sympathisants des deux organisations regrettent qu’elles ne fassent pas alliance. Les différences de programme sur des réformes mineures (par exemple différence du SMIC de 100 euros) ne paraissent pas être une justification suffisante pour ne pas s’unir. Pour le parti Communiste, il doit trancher la question de savoir s’il est un parti réformiste ou révolutionnaire. La question de l’union est tenue essentiellement dans cette question. Si nous sommes réformistes, unissons-nous. Et si nous sommes révolutionnaires, disons-le clairement et montrons-le par un programme explicitement révolutionnaire.
Si le programme du PCF était clairement révolutionnaire, mais minoritaire dans un premier temps, il pourrait, dans certaines circonstances, faire le choix d’accorder un soutien critique à un mouvement réformiste de gauche, sans nécessairement trahir ses propres principes. Mais il faudrait absolument, dans ce cas, expliquer inlassablement et sans la moindre ambiguïté la différence entre ses propres objectifs révolutionnaires et les ambitions limitées des réformistes. Mais ce n’est pas ce qui a été fait en 2012 et en 2017, où la direction du PCF s’est mise à la remorque de Mélenchon, au profit exclusif de ce dernier. Et pourtant, il y en a qui voudraient renouveler cette expérience calamiteuse. Pour Marie Georges Buffet, qui n’en finit pas d’être un électron libre, la question est tranchée : « Le seul espoir de la gauche », dit-elle, « est un accord PCF, FI sur la candidature de JL Mélenchon avec un accord pour les législatives (…) ». Peu importe, pour elle, que les communistes aient voté à 70 % pour une candidature communiste. Peu importe si son texte politique a été massivement rejeté par la même occasion. L’ancienne secrétaire nationale appelle tout le monde à se ranger derrière Mélenchon en échange d’une poignée d’élus aux législatives, pour gérer le capitalisme. La méthode a déjà subi deux échecs consécutifs, en 2012 et en 2017, d’où son rejet par la majorité des militants communistes.
En résumé, compte tenu du caractère contre-réformiste du programme du PS et les faiblesses programmatiques de la gauche réformiste, c’est peut-être déjà trop tard pour 2022. Après plusieurs passages au pouvoir du PS – et parfois avec la participation du PCF – les travailleurs ont tiré certaines conclusions, car ils ont été trahis à chaque fois. C’est un boulet que traîne le PCF. Et son programme présidentiel – dont les militants communistes, n’ont pas participé à son élaboration mais qu’ils découvrent dans les médias ou dans les meetings – n’est pas clair. Sommes-nous révolutionnaires ou réformistes ? Les tracts et affiches de campagne ne permettent pas de nous distinguer de la politique réformiste de Mélenchon. Reprenons le travail à la base : travaillons à l’élaboration d’un programme communiste, qui explique pourquoi et comment il faut en finir avec le capitalisme. Ceci clarifierait la question des alliances susceptibles de faire avancer notre cause et sur quelles bases programmatiques. Les élections présidentielles et législatives ne sont qu’une facette de la lutte. Indépendamment du résultat du scrutin, la lutte doit se poursuivre dans les entreprises et dans la rue. Mais là aussi, la question du programme est primordiale.
Fabien Lecomte. PCF et CGT 86.
Un tout petit bémol, sur la manière de tordre les chiffres…
**********************************************************
“Les communistes” ont voté ROUSSEL pour la fonction suprême…
A 70%…
Sauf que… 50% des “adhérents à jour de leurs cotises”
(suivant la formule consacrée !)
N’ont pas pris part à ce scrutin…
70 x 50/100 = ?
Si même les chiffres se mettent à être contre-révolutionnaires… 😉