Des salariés de deux magasins Biocoop ont dû faire grève pour un meilleur salaire et une reconnaissance en tant que travailleurs « de première ligne » face à la pandémie du Covid-19.
À la différence de leurs collègues de Monoprix, leur lutte concernait une entreprise au sein de laquelle on ne s’attendait pas à ce genre de mobilisation. Au début des années 80, des consommateurs et des producteurs, animés par une volonté de soutenir une agriculture et une consommation biologiques de qualité, se sont réunis en coopératives, notamment dans les groupements régionaux Intercoop et Biopaïs. Les coops organisent leur première rencontre nationale en 1986 et cela débouche sur la création de Biocoop. Cependant, dès 1993, le réseau accueille des structures non coopératives. Avec 40 magasins au départ, on en est aujourd’hui à près de 200, dont la majorité (près de 70%) est composée de magasins franchisés.
Les deux magasins en grève étaient des magasins franchisés appartenant à la même patronne, Christine Chalom. Depuis la Normandie, elle fait la pluie et le beau temps des salariés, essentiellement des étudiants aux contrats précaires. Les salaires pratiqués sont très bas, les deux jours consécutifs de repos ne sont pas toujours respectés, managers harceleurs et licenciements abusifs.
Durant cette crise sanitaire, les magasins Biocoop font partie des magasins considérés comme vitaux. Les salariés sont allés travailler au risque de leur vie pour des salaires tournant autour du SMIC. À la fin du premier confinement, non contente de ne pas avoir verser de primes Covid aux salariés (alors que ses magasins sont très rentables) Christine Chalom leur apprend sans ménagement qu’elle va prendre sa retraite et vendre ses deux magasins. Pour maximiser le rendement de cette opération, elle décide de sortir du réseau Biocoop qui aurait pu reprendre les magasins. En plus, en attendant de les vendre, elle annonce que les magasins vont ouvrir les dimanches. C’en est trop pour les salariés. Le 9 juillet, ils se sont mis en grève avec le soutien de SUD Commerce. Pendant les vacances, quatre journées de grève ont été organisées avec succès. Christine Chalom est restée inflexible et la direction de Biocoop est restée sourde aux appels des salariés. Après quelques tentatives infructueuses de négociation, Catherine Chalom, elle est devenue plus agressive en convoquant les salariés à des entretiens préalables au licenciement et en infligeant des mises à pied.
Biocoop, une coopérative sans éthique
Face à cette grève, la direction de Biocoop a soutenu Christine Chalom. Dans les faits, Biocoop n’a plus grand-chose d’une entreprise « coopérative ». Depuis une dizaine d’années, on est passé d’une direction issue du monde du bio à une direction issue des écoles de commerce et de la grande distribution, à l’image d’Éric Bourgeois (ex-Carrefour) et Claire Bourdon (ex-Lagardère). Biocoop aujourd’hui, en chiffres, c’est 58 millions d’euros de fonds propres, 711 millions d’euros de chiffres d’affaires et 5 millions d’euros de résultat net.
Biocoop a supprimé la grille évolutive des salaires qui permettaient d’évoluer selon son niveau d’expérience et d’avoir des augmentations de 5%. De nombreuses grèves ont eu lieu à travers la France. À Chambéry en septembre 2011, les grévistes réclamaient l’application de la législation du travail. En novembre 2017, la moitié des 60 salariés des quatre magasins à Laval, dénonçant une trop grande charge de travail, des pressions psychologiques, des écarts de salaires importants et des relations tendues avec la direction. Et face au non-respect des accords de fin de conflit, ils ont dû reprendre la grève. À Carpentras, en novembre 2018, une grève a eu lieu contre des licenciements abusifs, le non-respect de la grille des salaires et la non prise en compte des demandes des salariés concernant l’organisation des élections des délégués du personnel. Après une courte trêve, un nouveau mouvement de grève débute dans le même magasin en janvier 2019, avec les mêmes revendications.
Les magasins bio une escroquerie écologique sociale ?
C’est dans ce contexte qu’on a appris la mise en faillite de l’un des concurrents de Biocoop, Bio C’bon, et que dans la foulée le premier tentait de racheter le second.
Bio C’Bon était le troisième distributeur de bio, derrière Biocoop et Naturalia (qui appartient au groupe Casino), avec158 magasins, 40 points de vente à l’étranger et 1 500 salariés. Tout cela construit sur du sable, au moyen d’opérations financières spéculatives. Résultat : 226 millions euros de déficit. Finalement, c’est le groupe Carrefour qui a racheté l’entreprise. Apparemment, on ne fait pas d’omelette bio sans casser des œufs, c’est-à-dire en supprimant des emplois et en minimisant sur les normes sanitaires.
Une grève dure et en partie victorieuse
Le groupe PCF à la mairie du 11e arrondissement de Paris n’a pu faire passer son vœu de contestation de la situation et est passé à l’échelon supérieur de la Mairie de Paris, où il a dû faire face à l’opposition d’EELV qui soutient Biocoop.
Le 21 octobre, trois grévistes ont été licenciés. En retour les grévistes ont décidé, le week-end suivant, d’occuper le magasin. Ils ont dû quitter les lieux, face à une procédure en référé peu avant le deuxième confinement. Leur combativité a en partie payé, car l’abandon du travail le dimanche a été accordé.
La prise de position des Verts, qui se sont opposés au vœu porté par le PCF, montre que “l’écologie politique” est une escroquerie liée au patronat des magasins bio. L’arrière-boutique des magasins bio montre que le soi-disant « capitalisme vert » est un capitalisme comme tout le reste.
J. S. Boisrond (92)