Alors que le Projet de Loi de Finances pour 2021 est attendu pour la fin décembre, et bien qu’il s’accompagne d’un plan de relance de 100 milliards d’euros sur 2 ans, on ne compte plus le nombre d’élus de tous bords qui se sont exprimés pour en contester les différents articles à l’occasion des débats à l’Assemblée.
Pas assez vert pour les uns, une bombe à retardement pour les autres[1], censé préparer l’avenir d’après le gouvernement… Ce plan de relance semble agglomérer tout le spectre politique contre lui. Pourtant, un sondage[2] pour Le Figaro et France Info indique que près de 71 % des répondants jugent que ce serait «un bon plan de relance».
Au-delà des sondages, que contient le plan de relance ?
Au total, ce sont 100 milliards d’euros qui seront mis sur la table sur les deux ans à venir, dont 40 via la Commission Européenne qui mutualise les dettes entre états européens pour la première fois. Trois priorités (écologie, compétitivité, cohésion), vingt thèmes (économie circulaire, mer, souveraineté technologique, culture, Ségur de la santé, …), soixante-huit mesures, 296 pages. Des chiffres faits pour impressionner, mais qui cachent un enjeu de répartition des richesses.
500 millions sont proposés pour la rénovation énergétique des logements sociaux. En première lecture, cela ressemble à une bonne mesure : grâce à cette rénovation des ménages modestes pourront réduire leur consommation énergétique pour se chauffer. Rappelons-nous cependant que le budget du Ministère de la Cohésion des territoires a fondu de 18,3 milliards d’euros en 2018 à 15 milliards d’euros en 2020 par la baisse de loyers imposés aux organismes gérant ces logements[3]. Loin d’annoncer un droit au logement décent, le plan de relance confirme la trajectoire d’économies sur ce poste ainsi que le mauvais état des logements sociaux. Le budget d’avant-crise étant déjà insuffisant pour entretenir les logements sociaux, le plan de relance renvoie donc aux calendes grecques le droit à un logement décent.
300 millions sont adossés aux travaux de rénovation des réseaux d’eau (pour colmater les fuites d’un réseau vieillissant et pour lesquelles les communes manquent de fonds pour financer les travaux) et moderniser les stations d’épuration. Ce financement est le bienvenu, mais il ne saurait masquer ni la faillite de l’État stratège dans le domaine de la gestion de l’eau ni l’aberration de l’OPA de Veolia sur Suez qui annonce le passage de la marchandisation de l’eau à sa financiarisation. L’eau est un bien commun, sa gestion devrait être organisée dans une régie publique dirigée démocratiquement par les salariés et les usagers eux-mêmes.
226 millions sont prévus pour le recyclage et le réemploi du plastique. Bien que nos océans et nos décharges en soient remplies, les décennies passées à nous répéter à grands renforts de publicité qu’il faut trier nos déchets pour les recycler permettent aux industries pétrolières et gazières (fournisseurs du plastique à travers la fabrication des polymères) de se faire subventionner alors qu’elles-mêmes n’ont pas d’espoir de parvenir à recycler cette matière… Ce subventionnement vise-t-il simplement à éviter le bannissement du plastique ? A nous laisser croire que la solution aux problèmes de pollution résiderait dans l’injonction à mettre le « plastique vert » dans la « poubelle verte » ? Pourtant, comme le rappelle le reportage (en Anglais non sous-titré) « Plastic Wars »[4], sorti en pleine crise du COVID, les industriels misent sur notre dépendance aux prix bas, et cherchent à nous maintenir dans la facilité du tout jetable. Souhaitons-nous vraiment poursuivre dans cette voie sans issue ?
Il serait possible d’égrener chaque mesure de cette façon pour mettre en évidence l’absence de cohérence, de stratégie industrielle. Tout cela permettra-t-il seulement de parer au plus pressé ? La réponse est clairement non : un grand nombre d’aides ne sont que de des incitations fiscales qui viendront augmenter les effets d’aubaine pour les entreprises. L’ampleur des suppressions d’emploi annoncées (au 15 septembre, la DARES[5] recense déjà 394 PSE et 3185 licenciements collectifs pour motif économique : Airbus prévoit 15 000 licenciements, Brigdestone ferme son usine de Béthune et laisse 863 salariés et leurs familles sur le carreau, …) appelle à un plan de relance d’une autre nature, plus juste socialement et fiscalement dans les limites actuelles du système capitaliste.
Si les actionnaires pourront se réjouir des aubaines créées par le plan de relance, ce dernier oublie les salariés : aucune mesure sociale contraignante, aucun contrôle de l’utilisation des fonds. La CGT ne s’y est donc pas trompé en donnant un diagnostic acerbe de ce plan qui « ne sert pas le développement de l’emploi »[6]. Thomas Piketty ne s’y trompe pas non plus lorsqu’il dénonce l’absence de réponse à la demande des citoyens pour plus de justice sociale[7].
Sans répondre à la crise sanitaire et économique qui nous secoue depuis le mois de mars, le plan de relance poursuit dans la théorie du ruissellement qui a montré son inefficacité, les 100 milliards mis en avant ne seront financés :
– ni par les entreprises pour lesquelles le volet compétitivité à lui seul prévoit 20 milliards de baisse d’impôt de production sur 2 ans sans contrepartie pour l’emploi,
– ni par les administrations publiques qui restent toutes sommées de réduire leurs dépenses. Qui peut croire qu’il n’y a « aucune raison d’interrompre les suppressions de lits et de postes »[8] à l’hôpital alors que leur manque est une cause de nos difficultés actuelles
Reste un troisième acteur pour payer la note : les ménages via la TVA, la TICPE, les impôts sur le revenu… Jusqu’à quel point ces contributeurs consentiront-ils à l’impôt alors que de nombreux autres y ont déjà renoncé ? Le rapport du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité publié le 8 octobre[9] nous apprends que la suppression de l’ISF et l’instauration de la « flat tax » a permis l’explosion des revenus des 0,1 % les plus riches et des distributions de dividendes en France. Il y a là de quoi alimenter le débat bien au-delà de décembre, en passant à côté de l’essentiel : le plan mis en débat n’a de relance que le nom.
Au lieu de relance, il s’agit plus d’un plan de continuité dans les politiques ultra-capitalistes que nous connaissons depuis le début des années 80. La perspective de faire payer en même temps les baisses d’impôts des entreprises, les cadeaux fiscaux aux 0,1 % les plus aisés et la casse du service public au prolétariat, ce qui est inacceptable.
Manuel Joriatti, PCF Nord (59)
[1]https://www.lepoint.fr/politique/les-oppositions-critiquent-un-plan-de-relance-trop-tardif-et-pas-assez-vert-03-09-2020-2390277_20.php
[2]https://www.lefigaro.fr/politique/les-francais-approuvent-le-plan-de-relance-20200904
[3]https://www.lepoint.fr/economie/les-organismes-hlm-choques-par-le-budget-2018-qui-detruit-le-logement-social-27-09-2017-2160331_28.php
[4]https://www.youtube.com/watch?reload=9&v=-dk3NOEgX7o
[5]https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/dares_tdb_marche-travail_crise-sanitaire_15_septembre_.pdf
[6]https://www.lesechos.fr/economie-france/social/plan-de-relance-le-compte-ny-est-pas-pour-la-cgt-1242715
[7]https://www.capital.fr/economie-politique/thomas-piketty-critique-le-plan-de-relance-reclame-une-hausse-des-salaires-1379586
[8]https://www.sudouest.fr/2020/04/05/hopital-de-nancy-tolle-apres-des-propos-du-directeur-de-l-ars-sur-des-fermetures-de-lits-7389454-10861.php
[9]https://www.strategie.gouv.fr/evaluation/comite-devaluation-reformes-de-fiscalite-capital