Jeudi 6 août, le Ministère de l’Agriculture a affirmé par communiqué vouloir permettre aux cultivateurs français de betteraves de faire comme certains de leurs concurrents de l’Union Européenne, à savoir utiliser une dérogation permettant de contourner un règlement communautaire interdisant les néonicotinoïdes. Le projet de loi a été présenté hier jeudi 3 septembre en Conseil des Ministres. Ces insecticides, synthétisés chimiquement et reproduisant les effets d’un insecticide très ancien, la nicotine contenue dans le tabac, produisent le même effet de perte d’orientation et de paralysie des insectes tout en étant plus puissants et plus stables que leurs aînés. Ils constituaient un avantage par rapport aux insecticides dérivés du chlore et du phosphate utilisés à l’époque car l’effet de ces derniers sur les plantes disparaissait dès que les pluies les dispersaient dans le sol. Cela voulait dire qu’ils devaient être appliqués régulièrement et constituaient un coût supplémentaire pour les exploitations agricoles devenues gigantesques du fait des conséquences de la Politique Agricole Commune (PAC) qui bénéficie davantage aux exploitations de très grande taille. Et la “solution” proposée via les néonicotinoïdes, par son caractère systémique, à savoir par sa capacité à entrer durablement dans les vaisseaux internes des plantes, n’avait pas besoin d’épandages répétés. Et son côté beaucoup plus toxique à l’encontre des insectes a fini par séduire le marché.
Or depuis le début des années 2000, les études scientifiques concordent pour dire que cette nouvelle classe d’insecticides, même appliquée par enrobage des semences comme exigé aujourd’hui pour pouvoir bénéficier de la dérogation, avait comme effet la disparition d’un grand nombre de populations d’insectes pollinisateurs sauvages et domestiques, et en premier lieu celles des abeilles. Et selon ce communiqué de l’ONU datant du 20 mai 2018, les abeilles et autres pollinisateurs “permettent d’améliorer la production alimentaire de 2 milliards de petits agriculteurs dans le monde”. C’est dire la dangerosité pour la sécurité alimentaire au niveau mondial d’un tel type de produit, en plus de ses effets dévastateurs sur la biodiversité.
En effet, cette étude de Greenpeace publiée en 2017 montre un consensus de la plupart des recherches scientifiques sur une telle dangerosité des néonicotinoïdes sur la biodiversité. D’un côté, une infime partie de l’insecticide enrobé pénètre véritablement les vaisseaux de la plante, et le reste est dispersé dans le sol à travers l’écoulement produit par la pluie, et finit par être absorbé par les plantes à fleurs présentes dans les alentours, touchant de manière mortelle les insectes pollinisateurs. Autre problème, plus immédiat, ce produit décime l’écosystème du sous-sol, en plus du labour dont nous parlerons plus bas. Les vers de terre, alors qu’ils ne sont pas visés par l’insecticide censé s’attaquer aux pucerons en surface, sont éradiqués. L’effet est double. D’un côté, ce petit animal d’apparence anodine est un élément indispensable pour aérer la terre et permettre la remontée des nutriments naturels des plantes. La disparition des vers de terre nuit ainsi à la fertilité des sols (ce qui pousse à l’utilisation d’engrais chimiques…). Par ailleurs, sa disparition cause la diminution drastique de ses prédateurs naturels que sont les mulots, chauve-souris, taupes et oiseaux. Les seuls éléments du vivant encore présents aux abords de ces exploitations gigantesques sont uniquement ceux voulus par l’agro-business, la nature n’y devenant plus que l’ombre d’elle-même.
Ces produits étaient à juste titre interdits depuis décembre 2018 dans toute l’Union Européenne, et la France avait voté une loi dans le même sens en 2016, entrée en application en septembre 2018. Or c’est Barbara Pompili qui avait présenté le projet de loi en 2016 en tant que députée écologiste sous le gouvernement Valls / Hollande. Devenue depuis membre de LREM et puis ministre de l’environnement à la faveur du dernier remaniement ministériel, elle a dû effectuer le service après-vente de son propre reniement, puisqu’elle a publié une série de tweets justifiant ce retour des néonicotinoïdes alors qu’ elle-même mettait en garde contre toute idée de dérogation 4 ans plus tôt. C’est dire l’efficacité du travail de sape effectué par le lobby des betteraviers français, la Confédération Générale des planteurs de Betteraves (CGB). Partant d’une épidémie de jaunisse apportée par une partie des pucerons plus nombreux cette année du fait des pics de chaleur, les betteraviers se plaignent d’une baisse de rendement de 30 à 50% de leurs betteraves et prétextent l’absence d’alternatives aux néonicotinoïdes pour demander cette dérogation pour la campagne 2021. Or il n’en est rien puisqu’une alternative existe comme le montre ce tweet de Greenpeace France.
Le gouvernement aurait beau jeu de démontrer son engagement écologique en faisant appel à cette alternative chimique, qui présente au moins l’avantage de ne pas tuer les insectes pollinisateurs si elle n’est pas appliquée sur les plantes en floraison, et de voir ses effets disparaître aux prochaines pluies. On pourrait imaginer faire appliquer cette alternative chimique tout en mettant en place une série de mesures de bio-protection des plantes comme la plantation de haies entre les parcelles de terrain, l’allongement de la rotation des cultures et l’arrêt du labour. En effet, des expérimentations ont montré que le fait de parcelliser les terrains et séparer les parcelles par des haies vives permet de faire prospérer les prédateurs des pucerons sans mettre en danger la plantation. De plus, l’allongement de la rotation des cultures, à savoir le fait de transférer un type de culture d’une parcelle à une autre sur un plus grand nombre de parcelles (et donc de cultiver consécutivement plusieurs types de plantes sur une même parcelle) permet de prévenir l’apparition des herbes envahissantes et des pucerons. Enfin, l’arrêt du labour des terrains permettrait, outre une économie de carburant pour les paysans et pour notre couche d’ozone, ralentir l’érosion des sols de laisser les vers de terre vivre et travailler le sous-sol ce qui comme on l’a vu permettra de préserver la fertilité de la terre tout en se passant des engrais chimiques. Ce qui est à l’inverse des intérêts des industries du secteur chimique, dont la vente de produits « phytosanitaires » représente un marché très lucratif. Ce secteur est très bénéficiaire des méthodes agricoles qui appauvrissent les sols rendant l’agriculture toujours plus dépendante de la chimie de synthèse
Force est de constater que c’est l’option chimie de synthèse qui a été choisie, avec tous les dangers que cela comporte. En effet, cette « solution » des néonicotinoïdes est adoptée pour faire face à une épidémie de pucerons amenés par des pics de chaleur. Or il n’a échappé à personne que les pics de chaleur vont devenir de plus en plus fréquents pour les années à venir, et les autres secteurs agricoles mettent déjà la pression sur le gouvernement pour avoir droit à leurs propres dérogations quant à l’utilisation des néonicotinoïdes. Et connaissant l’oreille attentive portée par le président et son premier ministre aux jérémiades des puissants, nul doute que ces dérogations seront elles aussi accordées. Le danger est grand, car les lois de l’offre et de la demande sur les marchés mondiaux de matières agricoles obéissent à des logiques de court-terme, tandis que celles de la transition écologique nécessitent d’adopter un horizon plus lointain fait de recherche sur le fonctionnement de la nature, d’expérimentations et d’adaptations. Et la nécessité de préserver les quelque 46000 emplois déjà soumis à de fortes turbulences comme actuellement sera l’argument massue des grands secteurs agricoles en général et celui des betteraviers en l’espèce.
Or il se trouve que la branche de la betterave à sucre est en crise depuis 2019 déjà, avant l’épidémie de pucerons de cet été. La première cause est la levée des quotas européens qui ont fait baisser les prix et donc diminué les marges des producteurs. Par ailleurs, la concurrence brésilienne productrice de sucre de canne en plus grande quantité et meilleur marché n’est pas de nature à faciliter la tâche aux producteurs hexagonaux et plus généralement européens. Des destructions d’emplois ont déjà eu lieu hors épidémie de jaunisse, c’est la viabilité économique du secteur qui est en jeu. Certes, les lobbyistes de la CGB a fait valoir le rôle que les géants du secteur peuvent jouer dans la protection sanitaire par la réorientation de leurs activités dans la production de gel hydro-alcoolique issu du sucre des betteraves. Cela nous fournit en réaction une excellente raison de prôner la nationalisation des usines de raffinage et des grandes exploitations agricoles, sous contrôle démocratique des salariés et sans indemnisation des gros actionnaires et exploitants agricoles.
Rafik B, PCF Saint-Denis
Petite participation à votre article : plasticienne j’ai réalisé une série sur la mortalité des abeilles par la pollution des substances chimiques et les pesticides utilisés dans l’agriculture, dont ces tristement fameux néonicotinoïdes. A découvrir : https://1011-art.blogspot.com/p/vous-etes-ici.html