Le 20 août 2020 marque le 80e anniversaire de l’assassinat de l’internationaliste révolutionnaire Léon Trotski. Avec Vladimir Ilitch Lénine, Trotski était le principal dirigeant et représentant international de la révolution russe de 1917. C’est lui qui, le 7 novembre (le 25 octobre sur le calendrier occidental), annonce au nom du Comité militaire révolutionnaire le renversement du Gouvernement Provisoire et dirige la défense de Petrograd contre l’offensive des Cosaques contre-révolutionnaires. Au gouvernement soviétique, il occupe le poste de Commissaire aux Affaire Etrangères et prône la fin du carnage impérialiste commencé en 1914. C’est Trotski toujours qui mène les négociations de Brest-Litovsk au nom du Gouvernement Soviétique pour mettre fin aux hostilités. En tant que Commissaire du Peuple à la Guerre, Trotski a joué un rôle décisif dans la défense de la République Soviétique, pendant la guerre civile et dans la défaite de l’intervention militaire d’une large coalition de puissances étrangères, dont la France, pour les dirigeants desquelles il était nécessaire de noyer la révolution dans le sang.
Résolument internationalistes, Lénine et Trotski comprenaient et expliquaient franchement aux travailleurs du monde entier que la démocratie soviétique ne pouvait pas se maintenir sans l’extension internationale de la révolution socialiste, et notamment dans les pays les plus économiquement et socialement avancés de l’Europe occidentale. L’épuisement de la révolution dans un pays arriéré et dévasté par des années de guerre et de blocus économique a acculé le régime révolutionnaire à faire des concessions aux intérêts capitalistes dans le cadre de la Nouvelle Politique Economique (NEP). Il fallait gagner du temps dans la perspective de victoires révolutionnaires possibles au-delà de ses frontières. Mais les défaites subies en Europe, et notamment celle de la tentative révolutionnaire de 1923 en Allemagne, ont inauguré une période de contre-révolution et de stabilisation capitaliste à l’Ouest, condamnant la révolution russe à l’isolement et à l’épuisement qui ont préparé le terrain au développement de la contre-révolution bureaucratique. Au cours des années 20, Trotski s’est battu vaillamment pour défendre la démocratie soviétique et une politique révolutionnaire internationaliste, face à l’émergence du régime bureaucratique incarné par Staline, qui a ordonné son exil à Alma-Ata (Kazakhstan) en janvier 1928. En Turquie (à partir de février 1929), et puis successivement en France, en Norvège et finalement au Mexique, Trotski n’a jamais abandonné ce combat. Tout au long de ces années d’exil et jusqu’au jour de son assassinat, les écrits et les discours de Trotski constituent un véritable trésor théorique, historique et programmatique et méritent d’être étudiés par tous ceux qui, de nos jours, souhaitent un dénouement révolutionnaire de l’impasse dans laquelle le capitalisme a mené l’humanité.
Les « procès de Moscou » sont souvent cités, à juste titre, pour illustrer la nature contre-révolutionnaire du régime stalinien. Entre 1936 et 1939, pratiquement tous les membres du Comité Central de l’époque de Lénine vivant en URSS – dont par exemple Zinoviev, Kamenev, Smirnov Piatakov, Sojoknikov, Toukhatchevski, Boukharine, Rykov et Rakovsky – ont été massacrés. Mais les victimes de ces « procès », dont les noms et les parcours nous sont connus, ne doivent jamais faire oublier les centaines de milliers de communistes « de base » qui ont été fusillés dans les camps de concentration du régime stalinien. Il fallait, du point de vue du régime stalinien, exterminer en masse tous les éléments révolutionnaires au sein de la société, ainsi que leurs parents, leurs enfants, leurs amis et même, dans bien des cas, des individus dont le seul « crime » étaient d’être des voisins ou de vagues connaissances des condamnés.
Malgré les calomnies de Staline et de la bureaucratie, Trotski reste l’une des plus grandes figures historiques du mouvement ouvrier international. En 1940, Staline – en alliance, à l’époque, avec Hitler, et avec, à la clé, le partage et la « disparition » de la Pologne – ne pouvait se permettre de laisser Trotski en vie plus longtemps. Après une première tentative d’assassinat en mai 1940, avec l’entrée nocturne d’un groupe d’hommes armés jusqu’à dans la chambre de Trotski et de sa femme Natalia, et pendant laquelle son petit-fils, âgé alors de 14 ans, a reçu une balle de mitraillette dans son pied, une nouvelle tentative a été organisée au mois d’août.
Le petit-fils en question, Esteban (Sieva) Volkov, qui vit encore à Coyoacan, non loin de l’ancienne maison de son grand-père, nous a expliqué qu’après cette première attaque, certaines choses ont été modifiées dans la maison. « On a installé une porte métallique, de nouvelles fenêtres et des tours de surveillance pour les gardes. Trotski était un peu sceptique quant à l’utilité réelle de tout ce travail. Il était persuadé que la prochaine attaque ne serait pas du même genre. Et il avait raison. Personne n’aurait pu imaginer que « Jackson » [Ramon Mercader], le compagnon de Sylvia Ageloff [une secrétaire], et qui ne s’intéressait pas à la politique – un homme d’affaires généreux, qui sympathisait avec les gardes, etc. – était en réalité un agent de la police secrète de l’URSS. Et finalement, c’est lui qui est parvenu à accomplir la volonté de Staline.
Le 20 août, je revenais de l’école par la rue de Vienne, une rue assez longue, et lorsque j’arrivais à trois intersections de la maison, j’ai remarqué que quelque chose se passait. Je me suis mis à courir ; j’étais angoissé. Plusieurs officiers de police se tenaient devant la porte, qui était ouverte. Une voiture était là, mal garée. En entrant, j’ai vu Harold Robbins, l’un des gardes, qui tenait un revolver et était très agité. Je lui demandai : « Que se passe-t-il ? ». Il me répondit : « Jackson, Jackson… ». Je n’ai pas compris immédiatement, et continuais à marcher. Je vis alors un homme, tenu par deux policiers et dont le visage ruisselait de sang, criant et en larmes… C’était Jackson.
En entrant dans la maison, je réalisais ce qui venait de se passer. Natalia et les gardes étaient là. Je me souviens de ce détail : même à cet instant, malgré son état, Trotski a refusé que son petit-fils assiste à la scène. Cela montre la grande qualité humaine de cet homme. De même, il eut la présence d’esprit de recommander de ne pas tuer Jackson, disant qu’il était plus utile vivant. Mais les gardes ont tout de même frappé Jackson… »
Dans cette même maison, aujourd’hui, le Musée Léon Trotski, quelques mois avant son assassinat, plus exactement le 27 février 1940, Trotski avait rédigé quelques lignes dans son journal, auxquelles on fait souvent référence sous la désignation de « testament ». Les voici :
« Ma haute (et sans cesse montante) pression sanguine trompe mon entourage sur mon réel état de santé. Je suis actif et capable de travailler, mais l’issue est manifestement proche. Ces lignes seront publiées après ma mort.
Je n’ai pas besoin de réfuter une fois de plus ici les stupides et viles calomnies de Staline et de ses agents : il n’y a pas une seule tâche sur mon honneur révolutionnaire. Je ne suis jamais entré, que ce soit directement ou indirectement, dans aucun accord en coulisse, ou même négociation, avec les ennemis de la classe ouvrière. Des milliers d’opposants à Staline sont tombés victimes de semblables fausses accusations. Les nouvelles générations révolutionnaires réhabiliteront leur honneur politique, et agiront avec les bourreaux du Kremlin selon leurs mérites.
Je remercie chaleureusement les amis qui me sont restés loyaux à travers les heures les plus difficiles de ma vie. Je n’en nommerai aucun en particulier faute de pouvoir les nommer tous. Cependant, je me crois justifié à faire une exception pour ma compagne, Natalia Ivanovna Sedova. En plus du bonheur d’être un combattant pour la cause du socialisme, le destin m’a donné le bonheur d’être son époux. Durant les presque quarante ans de notre vie commune elle est restée une source inépuisable d’amour, de grandeur d’âme et de tendresse. Elle a subi de grandes souffrances, surtout dans la dernière période de notre vie. Mais je trouve quelque réconfort dans le fait qu’elle a connu aussi des jours de bonheur.
Pendant quarante-trois années de ma vie consciente, je suis resté un révolutionnaire ; pendant quarante-deux de ces années, j’ai lutté sous la bannière du marxisme. Si j’avais à tout recommencer, j’essaierais certes d’éviter telle ou telle erreur, mais le cours général de ma vie resterait inchangé. Je mourrai révolutionnaire prolétarien, marxiste, matérialiste dialectique, et par conséquent un athée irréductible. Ma foi en l’avenir communiste de l’humanité n’est pas moins ardente, bien au contraire elle est plus ferme aujourd’hui qu’elle n’était au temps de ma jeunesse.
Natacha vient juste de venir à la fenêtre de la cour et de l’ouvrir plus largement pour que l’air puisse entrer plus librement dans ma chambre. Je peux voir la large bande d’herbe verte le long du mur, le ciel bleu clair au-dessus du mur et la lumière du soleil partout. La vie est belle. Que les générations futures la nettoient de tout mal, de toute oppression et de toute violence, et en jouissent pleinement. »
Greg Oxley PCF/La Riposte.
Le 18 août 2020.