Les démonstrations de force militaire ne sont que l’extension de la guerre économique que se livrent les États entre eux. Le contrôle des ressources est un facteur primordial pour s’imposer dans la hiérarchie des puissances économiques et imposer sa domination sur les autres États. Inéluctablement, un État qui aspire à développer sa puissance économique afin de se hisser aux meilleurs rangs des super puissances ne peut être qu’un État belligérant. C’est la raison pour laquelle, tant que régnera le capitalisme, c’est-à-dire un monde basé sur la concurrence, la paix sera tout bonnement impossible. La guerre, les démonstrations de force militaire et les conflits armés sont une nécessité pour les États afin de se développer et assouvir leurs supériorités. Les conflits économiques et militaires entre les États sont et seront aggravés encore par la crise économique post Covid19, contractant l’économie et accentuant la guerre économique pour conquérir les parts de marchés en diminution. Lorsque que ces États prônent la paix et la démocratie, cela n’est que pur mensonge. Il en est de même pour toutes les organisations (politiques, syndicales, ONG, associations…) qui revendiquent « la paix » mais qui ne remettent pas en cause la structure même du capitalisme, c’est-à-dire la propriété privée des moyens de production et la division en classes de la société qui en résulte. Au mieux, cela relève de l’utopie et d’une tentative de panser les plaies causées par le capitalisme.
On assiste depuis quelques semaines à une montée des tensions entre la France et la Turquie qui trouve son expression sur le terrain militaire. Jusqu’à présent, la France pesait relativement lourd sur le bassin méditerranéen mais elle se voit de plus en plus concurrencée par la Turquie qui ne cache pas ses ambitions impérialistes, c’est-à-dire d’étendre sa sphère d’influence et son contrôle économique en l’occurrence pour la suprématie sur le bassin méditerranéen. Cette tension au caractère militaire a trouvé son apogée autour de l’île de Kastellorizo au sud-est de la Turquie. Cette île est un territoire grec, or elle se trouve à environ 3 kilomètres des côtes turques. Selon le droit de la mer, l’espace maritime d’un État s’étend à 12 milles nautiques à partir des côtes, soit environ 22 kilomètres. Cela crée des zones de conflit sur l’espace maritime qui opposent la Turquie et la Grèce qui possède de nombreuses îles sur la côte ouest et sud-ouest turque et bien souvent à une distance inférieure à ces 12 milles. C’est la raison pour laquelle la Turquie n’est pas signataire de la Convention Internationale sur le Droit de la Mer qui permettrait un partage de l’espace maritime entre les États et qui signifierait alors pour elle un empiétement du territoire grec sur le sien.
Kastellorizo et Turquie (source : OpenStreetMap)
On estime à 3000 milliards de mètres cubes de gaz enfoui dans la zone orientale de la Méditerranée. Cette énorme réserve de gaz attire les convoitises et génère immanquablement tensions et conflits entre États pour le contrôle des sources d’énergie. C’est la raison pour laquelle la Turquie prospecte la Méditerranée pour mettre la main mise sur ces réserves en violant l’espace maritime grec autour de l’île de Kastellorizo. Ceci n’a d’ailleurs pas manqué de provoquer un accrochage entre un navire de guerre turc d’un côté et grec de l’autre. En effet, les navires de forage et de recherche sismique turcs sont escortés militairement afin de les protéger, démontrant le caractère belliqueux et expansionniste de la Turquie. Ceci a provoqué une intervention de la Marine française afin de « venir en aide aux Grecs » car selon Macron « ce serait une grave erreur que de laisser notre sécurité en Méditerranée aux mains d’autres acteurs ». Il faut comprendre dans ces propos qu’il s’agit pour l’État français de conserver un certain contrôle de la Méditerranée afin d’assurer la prospérité du capitalisme français qui entre en conflit avec le capitalisme turc. Pourtant, ces trois pays sont des membres permanents de l’OTAN, alliance héritée de la Guerre Froide entre l’URSS et les États-Unis et au profit de ces derniers mais qui ne résiste pas aux rivalités des États entre eux indépendamment des visées américaines.
La situation politique turque
Pour mieux comprendre la situation, il faut revenir brièvement en arrière et situer la politique étrangère de la Turquie. Dans la guerre qui est menée en Syrie, des puissances impérialistes s’affrontent dont notamment la Russie et la Turquie. Le régime de Bachar el-Assad est un allié de Poutine, lui permettant ainsi de conserver une position géostratégique sur la Méditerranée, essentielle pour les intérêts russes notamment en ce qui concerne les ressources en hydrocarbures et leur acheminent. Aussi l’intervention russe a pour objectif de maintenir le régime actuel. Pour la Turquie, son intervention en Syrie et son soutien aux groupes d’extrême-droite islamistes visait à réduire au maximum les milices kurdes (YPG) implantées dans les zones frontalières turques et syriennes. L’émancipation et la revendication d’un territoire autonome kurde représentent une entrave pour la stabilité du régime d’Erdogan, raison de la persécution des kurdes par ce dernier. Les groupes islamistes sont à la fois engagés contre Bachar el-Assad et les Kurdes Syriens, d’où le soutient à leur égard d’Erdogan. Ce qui en résulte c’est l’opposition militaire entre la Russie et la Turquie sur la question syrienne. Néanmoins, la Russie a de fortes implications économiques en Turquie, vitales pour les intérêts économiques russes, notamment dans le secteur de l’énergie. C’est la raison pour laquelle la réaction de Poutine a été mesurée lorsque l’armée turque a abattu un avion de chasse russe à la frontière turco-syrienne en 2015.
Cette situation de dépendance mutuelle entre la Russie et la Turquie amène cette dernière à rechercher une plus grande indépendance vis-à-vis de la Russie. La consommation en gaz de la Turquie dépend à 100% d’importations dont 70 % proviennent de Russie. Pour le moment, les coûts d’extraction des réserves se situant au large de l’île Kastellorizo sont supérieurs aux coûts d’importation pour les Turcs qui ne possèdent pas encore les moyens et les compétences pour son exploitation. Cependant, il y a une volonté de contrôler ces ressources qui représentent un moyen d’affirmer « l’indépendance et la puissance » de la Turquie. Cette posture d’Erdogan résulte également d’une stratégie de politique intérieure. Erdogan mène une politique pro-capitaliste, ce qui l’a conduit à mettre en place des mesures antisociales. Il a par exemple licencié plus de 150 000 fonctionnaires depuis le coup d’état avorté de 2016 afin d’effectuer les purges « nécessaires » et de répondre aux impératifs du capitalisme. Cette politique alimente la contestation et menace sa position. Pour conserver le pouvoir, l’AKP, le parti dont Erdogan est le président, est en alliance avec le MHP, parti ultra-nationaliste. La posture de puissance indépendante et belliqueuse d’Erdogan vise à flatter l’égo de l’électorat du MHP et à faire émerger le sentiment nationaliste anti-occidental qui rôde au sein d’une partie du peuple turc depuis le démembrement de l’empire Ottoman par les Alliés à leur profit à la suite de la Première Guerre Mondiale. Cela à l’avantage d’unir les Turcs derrière la bannière nationaliste au profit de la division de classe de la société capitaliste.
Le développement du complexe militaro-industriel est un élément d’importance concernant les visées impérialistes de la Turquie. Erdogan et les capitalistes turcs ont une politique de développement de l’industrie d’armement afin d’avoir une armée équipée des dernières technologies et d’être moins dépendante des pays producteurs d’armes. Par exemple la Turquie développe ses propres drones militaires dotés de mitrailleuses et ayant fait leurs preuves en Libye. C’est une avancée majeure alors qu’elle dépendait de la technologie israélienne auparavant et fait partie dorénavant des quatre pays (États-Unis, Chine, Israël et Turquie) capables de produire ce type de drone.
La France et la Turquie
L’intervention française en « soutient » aux Grecs par l’envoi de deux frégates et deux avions de chasse Rafale n’est pas le premier accrochage militaire entre les deux pays. Déjà en janvier une frégate française menant une mission pour l’OTAN avait été illuminée par trois fois par un radar de conduite de tir d’un navire de guerre turc escortant un cargo soupçonné de contenir des armes en direction de la Libye. Depuis la chute de Mouammar Kadhafi, la Libye est en proie à une guerre opposant le Gouvernement d’Union Nationale libyen (GNA) au maréchal Khalifa Haftar. Or la Turquie depuis un certain moment s’implante de plus en plus en Libye en soutenant le GNA tandis que la France en sous-main soutient le maréchal Khalifa Haftar. Jusqu’à présent la Libye était sous l’influence de l’impérialisme français mais ce dernier perd pied au profit de la Turquie. Par exemple, la Turquie a conclu un accord de limitation des frontières maritimes avec la Libye, purement artificiel, mais qui permet aux Turcs de mener des expéditions de recherche en hydrocarbures dans cette zone. Cet accord résulte du soutien militaire des Turcs au profit du GNA.
Quel que soit le terrain, les deux pays vont se mener une lutte de contrôle géostratégique dont le degré de violence sera tributaire du niveau de tension entre les deux pays et de l’intensité de la lutte des classes à l’intérieur de chacun. Le Liban en est une autre illustration depuis l’explosion du stock de nitrate d’ammonium, où sous couvert d’une pseudo-solidarité et après avoir pavané dans les rues de Beyrouth, Macron a envoyé 750 soldats permettant de déployer son armée. Longtemps sous influence française, le Liban fut sous mandat français et ce dernier compte bien conserver cette influence en le faisant savoir notamment en direction de la Turquie dont Erdogan n’a pas manqué d’accuser Macron de colonialisme : « ce que Macron et compagnie veulent, c’est rétablir l’ordre colonial ».
Tant que le capitalisme imposera sa domination en tant que système, tensions, conflits et guerres seront à l’ordre du jour entre les grandes puissances dans les zones périphériques (pour le moment) et dans des régions stratégiques en termes de ressources énergétiques. Lorsque l’armée française intervient ce n’est jamais pour « la liberté et la démocratie » mais bien pour y défendre des intérêts économiques. L’aggravation de la situation économique ne fera qu’exacerber les tensions qui existent déjà. La France et la Turquie montrent les muscles pour un nouveau partage du monde. La classe capitaliste est responsable des massacres et de la guerre. Tant que celle-ci aura les instruments économiques et militaires du pouvoir entre les mains, le monde ne pourra être en paix. La lutte contre la guerre va de pair avec la lutte contre la classe capitaliste et pour son expropriation. Cela passe par le désarmement économique et militaire de la classe capitaliste par l’appropriation collective et démocratique des leviers stratégiques de l’économie et des moyens militaires étatiques aux mains des vrais producteurs de richesses : les travailleurs. C’est la seule possibilité qui ouvrira la voie à la paix dans le monde.
Gauthier HORDEL PCF Rouen
Article très instructif, qui résume bien les luttes d’intérêts divergents entre les différentes puissances capitaliste de la Méditerranée. Quelques bémols toutefois, résumer guerre et capitalisme et engagement militaire et envie de puissance est un peu simpliste. La guerre pré-existe au Capitalisme et même à la propriété privée. Les Capitalistes font les guerres comme moyen de mener leurs politiques impérialistes et pour défendre leurs intérêts. La montée des tensions en Méditerranée est la resultante du replis Americain. Les puissances de second ordre montrent les dents afin d’étendre leurs zones d’influence. L’envie de puissance n’est que la cache sex nationaliste des intérêts des bourgeoisies nationales. La France se drape dans ses grands principes droit de l’hommistes quand la Turquie invoque l’empire Ottoman. Seuls les imbéciles avalent ces mensonges. Le prolétariat n’a aucun intérêt dans ce jeu de puissance, mais sa voix est atone, et ses membres déboussolés. Nombreux sont ceux qui ne savent plus que penser surtout quand ses organisations historique sont en mort cérébrale depuis des années maintenant.