Cette comédie signée Jean-Pascal Zadi et John Wax sorti le 8 juillet dernier commence par une scène qui donne le ton à l’ensemble du film. Le personnage campé par Jean-Pascal Zadi, qui porte son propre nom dans le film, est un acteur raté et un militant quelque peu déboussolé de la cause noire qui veut organiser une marche le 27 avril, jour anniversaire de l’abolition de l’esclavage en France. Dans son appartement et face caméra, derrière laquelle on devine en fait une équipe de télévision faisant un reportage sur lui, il tente maladroitement de briser la glace avec les techniciens avant d’enchaîner sur son discours d’appel à la manifestation. Son propos est empreint de fierté de l’homme noir (l’homme au sens masculin) blessé par l’Histoire et qui ne doit plus se laisser dominer. Et pendant son discours, dans une sorte de clin d’œil ironique fait au public, sa conjointe blanche rentre dans l’appartement et lui donne une série de consignes pour la gestion du foyer avant de repartir aussitôt. Devant l’air décontenancé du militant pris dans ses propres contradictions et qui tente dans la foulée de se donner l’air de l’homme qui sait ce qu’il a à faire, on devine le passionné dont les idées reposent sur une littérature visiblement mal digérée.
S’ensuit après la scène d’ouverture une série de rencontres avec des personnalités noires reconnues (jouant aussi leurs propres personnages dans la vraie vie) que Jean-Pascal Zadi tente avec un succès inégalé de faire adhérer à son projet de marche. Et c’est là une des faiblesses principales du film, à savoir le manque de distance entre la vie réelle et la fiction, ce qui nuit à la fois à décrire la réalité de ce que vivent les personnes noires en France et d’embarquer le spectateur dans la fiction. Par exemple, on est franchement gêné lors d’une scène où le militant redevenu momentanément acteur en recherche de rôle passe un casting avec Mathieu Kassovitz pour un film de révolte d’esclaves, et où le réalisateur de La Haine va d’une manière très humiliante et abjectement raciste lui signifier qu’il n’est pas « assez noir » pour son film. Dans d’autres scènes, Jean-Pascal Zadi rencontrera le comique Fary qui voit en lui une aubaine pour son propre projet de film et qui se sert visiblement de sa notoriété sur les réseaux sociaux (et aussi de sa naïveté, il faut bien le dire) pour servir ses propres intérêts. Entre les deux types de scène, il y a véritablement un mélange des genres où le dramatique se confond tragiquement avec le comique. Certes, il est possible de faire rire sur des atrocités de l’Histoire, comme l’a fait le génial Roberto Benigni dans son film « La vie est belle », et où le réalisateur italien joue le rôle d’un Juif pendant la Seconde Guerre mondiale qui va faire croire à son jeune fils que les camps de la mort dans lesquels ils se trouvent sont en réalité un parc d’attractions, afin de l’aider à passer cette épreuve terrible. Or, dans le film de Benigni, où on hurle littéralement de rire, on ne confond jamais le comique de situation avec le tragique du contexte, ce que n’a pas réussi à faire à sa mesure bien évidemment le réalisateur de « Tout simplement noir ».
L’autre travers du film est l’angle quasi-exclusivement bourgeois du point de vue. On navigue en réalité dans la sphère du jet set noir de France, mélangé au reste du showbiz hexagonal au sein duquel il est comme coopté. Les quelques personnes militantes de terrain sont peu mises en valeur, et la majorité des opinions que l’on entend sont celles de journalistes, de stars du rap et d’acteurs noirs célèbres. C’est comme si la voie de la réussite pour une personne noire en France est celle de la réussite individuelle et que le combat collectif pour une cause commune relève de l’anecdotique.
Les bons côtés du film, car il y en a, c’est de faire prendre conscience qu’être une personne noire en France ou ailleurs ne signifie pas parler pour toutes les personnes noires, et que le point de vue que l’on porte est nourri par sa propre histoire, sa propre trajectoire et son propre milieu social. Par ailleurs, on voit aussi que pour faire réussir une cause, il ne faut pas uniquement brandir un drapeau sans défendre des objectifs de lutte concrets. Dans le passé, ce qui a donné le succès que l’on sait aux luttes de Martin Luther King, de Mandela et de beaucoup d’autres, c’était la poursuite d’objectifs de lutte précis (la fin de la ségrégation raciale pour Martin Luther King, la fin de l’Apartheid pour Mandela). Et dans le présent, ce qui donne du souffle à la lutte du Comité Adama c’est l’avancée du combat judiciaire grâce au travail inlassable des personnes militantes en tête desquelles se dresse Assa Traoré. Et ce qui manquait visiblement au personnage dans le film, c’était un objectif de lutte mis à part la réussite de sa marche. Comme une leçon de militantisme pour les communistes que nous sommes, à savoir qu’il n’est pas efficace de se battre pour une cause sans définir des objectifs précis dont la conquête nous fera réaliser que nous sommes sur le bon chemin.
Rafik B, PCF Saint-Denis