Loin de favoriser l’entente et la coopération, la crise sanitaire et économique liée au Covid-19 a donné l’occasion une nouvelle fois de montrer les rivalités qui existent entre les États, particulièrement entre les deux plus grandes puissances économiques mondiales : les États-Unis et la Chine. Le dernier coup d’éclat de Donald Trump en matière de politique internationale a été d’annoncer la suspension de la contribution américaine à l’OMS1 sous prétexte que celle-ci serait beaucoup trop complaisante envers la Chine, ennemie déclarée des États-Unis depuis l’élection de Donald Trump. Cet effet d’annonce répond à plusieurs objectifs. L’élection présidentielle aura lieu au mois de novembre prochain et il s’agit pour l’actuel président d’assurer sa réélection. Les États-Unis sont empêtrés dans une crise sanitaire et économique. La première puissance économique mondiale est la plus durement touchée par le virus. Au moment où sont écrites ces lignes, il y a officiellement près de 100 000 morts liés au Covid-19. Sur le plan économique et social, c’est un désastre. Le chômage est arrivé à son niveau le plus élevé de son histoire avec près de 35 millions de chômeurs. Il s’agit d’une situation très compromettante pour Trump, qu’il ne veut pas endosser sous peine de peser lourdement contre lui dans la prochaine campagne présidentielle. Pourtant, il est clair que sa gestion de la situation a été déplorable, minimisant dans un premier temps la dangerosité du virus exposant les Américains à une situation catastrophique.
Il ne s’agit pas ici d’accuser uniquement son comportement et ses décisions mais de remettre en cause tout un système, davantage préoccupé par l’aspect économique et les profits capitalistes. En effet, la mise en place d’un système de protection face à une pandémie reposant sur le service public ne répond pas aux objectifs des gouvernements dont le rôle est d’œuvrer pour les intérêts des capitalistes. C’est cette attitude globale de la plupart des gouvernements du monde entier qui nous a conduit en partie dans la situation qui est celle d’aujourd’hui. Donald Trump, comme les autres dirigeants, ne pouvait pas ignorer le rapport établi en 2018 par l’OMS concernant la menace d’une pandémie potentielle. Mais les intérêts économiques et la rentabilité à court terme pèsent plus lourd dans les décisions politiques que les questions de santé publique. Or, aujourd’hui, Donald Trump accuse l’OMS de « mauvaise gestion » et de complaisance envers la Chine, dont cette dernière serait la source de la pandémie, en qualifiant le Covid-19 de « virus chinois ». Embourbé dans sa gestion calamiteuse, il tente de retourner la responsabilité vers d’autres, l’OMS et la Chine. Il s’agit d’un procédé on ne peut plus classique de la basse politique.
L’OMS au cœur des enjeux économiques
La déclaration de Donald Trump de suspendre sa contribution pour l’OMS a suscité une vague de réactions, d’indignation de la part des chefs d’États, du milieu politique et de leurs commentateurs. L’OMS est vue comme une organisation défendant une « noble cause », s’élevant au-dessus de tout intérêt particulier, celle de la santé de la population de la planète. Cette organisation est née suite à la pandémie de grippe espagnole en 1918 avec ses 50 millions de morts dans le monde. Face à une telle situation, il y avait, à juste titre, nécessité d’une coordination internationale mais aussi de manière plus générale celle d’améliorer la santé des populations les plus pauvres, les premières victimes du capitalisme. L’OMS est une organisation des Nations Unies. Elle dépend et est victime des intérêts des États membres. Même si son objectif principal est l’amélioration de la santé pour tous, elle ne peut le faire dans une totale indépendance sans que cela nuise aux intérêts des financeurs, soit des États et/ou des firmes pharmaceutiques qui bénéficient entre autres du soutien des États.
Le mode de financement de l’OMS démontre parfaitement la relation de dépendance qui la lie avec ses financeurs. 21 % de son budget provient des États membres contre 79 % de donateurs privés, c’est-à-dire des versements volontaires pour des actions précises. Parmi ces donateurs privés, nous y trouvons des États; c’est d’ailleurs cette part de financement que Donald Trump voudrait suspendre; des industriels, des ONG, etc. Cela signifie que la politique de l’OMS est « influencée » par ses donateurs et lorsqu’on y trouve des industriels intervenant de façon indirecte en finançant des ONG qui elles-mêmes sont donatrices à l’OMS, il est évident que certains sujets deviennent délicats à traiter pour l’OMS. Par exemple, il est connu que Monsanto (avant d’être racheté par Bayer) finançait l’ONG ILSI2 à hauteur de 1 million de dollars. Cela permettait à la firme de venir faire de l’ingérence dans les orientations d’études de l’OMS. C’est la raison pour laquelle, malgré les nombreuses études par des autorités scientifiques locales qui ont démontré l’impact de l’herbicide glyphosate sur la santé, cela n’a jamais fait l’objet d’une étude de la part de l’OMS. Ce cas est particulièrement flagrant en Amérique du Sud qui est un marché de grande importance pour Monsanto en ce qui concerne le soja OGM, c’est-à-dire modifié pour le rendre résistant au glyphosate. Les enjeux économiques sont colossaux. Le développement d’OGM dont l’objectif est de le rendre résistant aux herbicides engendre des profits pharamineux par la vente des semences OGM et des produits « phytosanitaires » associés. L’agriculture moderne et la production de denrées agricoles sont devenues dépendantes d’un tel modèle de développement économique et biologique. Pourtant les cas de maladies ou de malformations liées à l’utilisation massive de l’herbicide ont été nettement mis en évidence.
De la même manière, la fondation de Bill Gates, le patron de Microsoft, est un gros donateur pour l’OMS se situant au 4ᵉ rang pour les versements volontaires. Or la fondation Gates axe son action en faveur de la vaccination et de fait oblige l’OMS à concentrer ses efforts dans ce domaine. S’il n’est pas à remettre en cause l’action bénéfique des vaccins sur certaines maladies comme la variole ou la poliomyélite qui ont quasiment disparu de la surface du globe, elle ne doit pas se faire au détriment de l’amélioration globale de l’hygiène et de la mise en place de système de soins performants qui représentent un progrès majeur sur l’amélioration des conditions de santé de l’humanité. C’est par ce biais que les épidémies de choléra ont été éradiquées dans les pays dit développés. Il faut surtout souligner ici que les vaccins représentent un juteux marché pour les firmes pharmaceutiques aux enjeux économiques colossaux. La fondation Gates se cache d’un voile « humaniste », mais un capitaliste reste un capitaliste. On peut se demander si sa préoccupation première est le sort des plus pauvres quand cette même fondation place des fonds dans des industries pétrolières telles que BP et Shell. Cette dernière a fait l’objet d’un scandale au Nigéria, dans le delta du Niger, où l’extraction de pétrole a provoqué une pollution des cours d’eau impactant gravement la santé des populations locales.
Nous pourrions continuer la liste de ce genre de scandales. Ils illustrent parfaitement la domination des intérêts économiques sur toute autre considération. Il serait vain de placer des espoirs derrière des organisations de coopérations internationales dont les membres se livrent avant tout à la défense de leurs intérêts économiques et usant de la stratégie et des moyens militaires s’il le faut. Le poids économique des multinationales est si important que la politique est conditionnée par les intérêts de ces entreprises. L’OMS n’échappe pas à cette réalité, elle est pénétrée de toutes parts de façon plus ou moins insidieuse par les lobbies. Telle est la réalité du capitalisme.
Chine et États-Unis, vers une nouvelle guerre froide ?
La crise que nous vivons actuellement ne fera qu’exacerber les tensions qui existaient auparavant entre les États. La guerre économique pour s’accaparer les parts de marché dans une économie en crise et en l’aggravant est le symbole d’un système devenu obsolète. Chaque État qui agit de façon à favoriser son économie nationale, dans un contexte de concurrence et de compétition, ne peut se faire qu’au détriment d’un autre. Comment penser une coopération mutuelle dans le but de répondre aux besoins et d’élever l’humanité dans de telles circonstances ? Lorsque Donald Trump pointe du doigt l’OMS et la Chine par des effets d’annonces suscitant des flots de commentaires bien souvent superficiels, il ne fait pas uniquement de la stratégie électorale nationale. Il répond essentiellement à l’impérieuse nécessité de défendre les intérêts économiques américains face à la puissance montante qui lui dispute la suprématie économique. Le développement et le dynamisme du capitalisme chinois, la demande de son marché intérieur et sa puissance économique exportatrice dont elle est la première au monde, menace les États-Unis de passer au second plan ; quand dans le même temps, la puissance américaine décline sur le plan international.
Le pourrissement des bases économiques du capitalisme suite à des décennies de crises économiques et sociales, le manque de perspectives pour l’ensemble de la population a favorisé l’émergence de politiques et de gouvernements flirtant avec le nationalisme. L’impasse de la libre concurrence, de la libre circulation des marchandises a fait resurgir l’idée qu’il faudrait protéger l’économie nationale face à la concurrence internationale et ainsi assurer sécurité de l’emploi et prospérité. Trump a été élu sur cette vague et s’applique à mettre en œuvre cette politique en désignant la Chine comme le principal adversaire. Il s’en est suivi des mesures de protections contre les importations chinoises par le relèvement des taxes douanières sur l’acier (25 %) et l’aluminium (10%). En réponse, la Chine a appliqué des mesures de rétorsion par l’augmentation des taxes à hauteur de 25 % sur une liste de 545 produits américains. Il semble inévitable que le nationalisme économique amène à une escalade de mesures de protection qui ne fait qu’accentuer la guerre économique entre les États. Ce qui est valable pour la Chine et les États-unis l’est tout autant pour le reste du monde. Cette guerre économique ne fait que raviver les tensions militaires entre les deux puissances impérialistes et fait planer la menace d’un conflit armé.
Le régime économique capitaliste n’est pas structuré pour répondre au développement de la civilisation humaine. Il ne fonctionne correctement que sur la base de la croissance perpétuelle, de la consommation et du profit. Lorsqu’un grain de sable s’immisce dans les rouages du système, c’est toute la mécanique qui se grippe. Cela est d’autant plus vrai avec le développement de la mondialisation. Ni le libre marché, ni le protectionnisme ne sont des réponses à la crise du capitalisme. Seule la rupture avec le capitalisme sur la base d’une totale coopération pourrait offrir de nouvelles perspectives à l’humanité. La planification économique reste la seule réponse pour résoudre les grandes problématiques, qu’elles soient économiques, sanitaires ou environnementales. Les économies sont si interdépendantes qu’il semble inenvisageable de tenter d’enrayer le problème uniquement du point de vue national à long terme. L’exploitation capitaliste se déploie à l’échelle mondiale à travers le développement des multinationales qui uniformisent les conditions des travailleurs et leur asservissement au capital. Les crises économiques frappent l’ensemble des pays et jettent les travailleurs du monde entier dans un avenir toujours plus sombre. C’est là que réside le caractère internationaliste de la révolution communiste. Mais elle doit faire face à la contre-révolution nationaliste. C’est le défi que doit relever le mouvement ouvrier si nous voulons voir l’espoir d’établir une société communiste, c’est-à-dire une société sans classes, sans oppresseurs et opprimés, basée sur la propriété collective.
Si la révolution éclatait dans un pays ou une région, il faudra nécessairement son extension sur le plan international à un moment ou un autre si nous voulons concrétiser nos espérances d’un monde nouveau.
Gauthier HORDEL
1 Organisation Mondiale de la Santé
2 International Life Sciences Institute
Sources : OCDE, Arte « OMS dans les griffes des lobbyistes », Mediapart