Manque d’ordinateurs, réseaux saturés, problèmes de connexion, multiplication des supports informatiques….les enseignants tentent tant bien que mal de maintenir la “continuité pédagogique” annoncée par le Ministère de l’Éducation Nationale.
Pendant cette période de confinement, le Gouvernement et le Ministre de l’Éducation nationale ont décidé d’assurer la continuité pédagogique par des cours à distance. Or, ce que l’on peut constater dans la réalité, c’est que les élèves ne sont pas à égalité, et que la fracture numérique se fait cruellement sentir, d’une part, et que d’autre part, les enseignants ont fait montre de dévouement et de conscience professionnelle, la hiérarchie étant passée très rapidement de la pression sur eux à des directives pour ralentir le rythme de travail.
En effet, une chose est d’annoncer la “continuité pédagogique” de manière très solennelle dans les médias et une autre est de l’assurer cette “continuité pédagogique” en faisant en sorte que chaque élève ait les moyens de suivre les cours.
Certains établissements ont fait le constat qu’un peu plus de 10 % de leurs élèves n’ont pas d’ordinateur, de tablette ou de smartphone, sans compter ceux qui n’ont pas la capacité d’aller récupérer les cours ou les activités à réaliser. Dans de très nombreuses familles, il y a un seul ordinateur pour plusieurs enfants, parfois sans imprimante, et souvent avec des parents qui sont en télétravail. Les personnels des établissements se sont mobilisés et ont prêté du matériel à des familles.
Les élèves ont accès à un Espace Numérique de Travail (ENT), grâce à un code donné par leur établissement en début d’année. Mais la fréquentation est telle actuellement que les ENT sont saturés régulièrement. Certains enseignants ont fait le choix de passer par d’autres supports pour pouvoir maintenir le contact avec leurs élèves : padlets, adresses mail créées pour l’occasion, classrooms, quiz numériques, photos envoyées…D’ailleurs, les parents se plaignent de la difficulté de s’y retrouver dans cette diversité de supports.
Les élèves les plus assidus ont à cœur de réussir tout de même leur année scolaire et fournissent le travail nécessaire en gardant un certain rythme scolaire avec des horaires réservés, mais l’ensemble des parents reconnaissent que la présence en cours est beaucoup plus motivante et que le fait d’assister à un cours facilite grandement les apprentissages.
Les documents, de par leur taille, transitent difficilement via les ENT. Il faut alors les exporter en PDF ou les envoyer sur des adresses mail personnelles, alors qu’on s’interdit cela d’ordinaire. D’autres échangent parfois par messages sur téléphones.
Les parents font part également de leurs difficultés à suivre les travaux de leurs enfants, soit parce que leur propre niveau scolaire n’est pas adapté, soit parce qu’ils travaillent hors foyer . En effet, il est difficile de suivre les cours de ses enfants, qui prennent plusieurs heures par jour, quand on est caissière et qu’on rentre tard le soir. L’élève est livré à lui-même, perd son enthousiasme, sa volonté, s’ennuie etc….
Les parents avouent : “On n’est pas profs nous, c’est un métier !”. En effet, toute la démarche pour amener l’élève à réfléchir, à se construire, à échanger pour s’enrichir, ne se retrouve pas dans toutes les familles.
Certaines familles ne parlent pas Français, et les échanges avec les enseignants de leurs enfants sont très compliqués. Les professeurs principaux appellent les parents, mais même par téléphone on ne peut pas expliquer toutes les consignes. Dans tous les établissements, on est sans nouvelles de certains élèves. Ni par messages, ni par appels téléphoniques. Pourquoi n’ont-ils pas renvoyé leurs devoirs ? Ont-ils réussi à se connecter ? N’ont-ils pas compris les consignes ? On n’en sait rien.
L’aspect positif de cette période révèle au grand jour que les apprentissages ne peuvent pas reposer sur des cours à distance, qu’ils nécessitent un échange entre des humains. Le savoir se construit en interaction, c’est un échange entre des personnes.
Contrairement à ce qu’a lâché la porte-parole du Gouvernement : les enseignants ne “travaillent pas compte tenu de la fermeture des écoles”, il leur a fallu passer des heures à adapter leurs cours, recevoir les devoirs, lire et corriger, faire des commentaires, répondre aux questions, envoyer les corrections, contacter les élèves qui ne transmettent pas leurs devoirs, sans compter les erreurs dans les envois.…
Aux dernières nouvelles, le Ministre de l’Éducation Nationale a opté pour l’évaluation en contrôle continu pour les épreuves du bac, du bac de Français (pour la partie écrite) et du brevet. C’est, pour Jean-Michel Blanquer, « la solution (…) à [s]es yeux la plus simple, la plus sûre, la plus juste ». Autant dire que c’est la solution la plus injuste car de cette manière il y aura autant de bacs que de lycées, démultipliés par le nombre de classes dans chaque lycée, avec des différences de notations parfois importantes. Jean-Michel Blanquer assure que ces différences de notations seront prises en compte par des jurys mis en place dans chaque département. Nous en déduisons par conséquent qu’il nous assure qu’il y aura des différences entre les départements. Nous serons bien loin d’un examen national où la règle de l’anonymat assure l’équité entre chaque élève.
Le système scolaire, dans le cadre d’un système économique capitaliste, ne fait malheureusement que reproduire les différences sociales. En période de confinement, sans lien social, les écarts se creusent et les jeunes défavorisés socialement et culturellement sont livrés à eux-mêmes, sans possibilité d’être soutenus ou aidés par les enseignants, les études étant pour certains la seule manière de sortir d’un quotidien difficile. Cette crise sanitaire, que ne sait pas gérer le capitalisme, a un impact considérable sur les plus en difficulté.
Eric Jouen, PCF 76
(Photo : Pierre Mérimée/REA)