L’Amérique Latine semble depuis quelques mois retomber sous le joug des dictatures à la botte de l’impérialisme de Washington. Mais cela ne signifie en rien l’étouffement des conflits sociaux, qui restent plus vivaces que jamais. Exemples ici en Colombie et Haïti
JS.B, PCF 92
En Colombie, un conflit social aux accents de guerre civile.
Le 21 novembre de l’année dernière, en Colombie, s’est déclenchée une grève générale. Initialement lancée par les syndicats pour lutter contre les réformes néolibérales, elle est devenue une lutte contre la corruption et la collusion entre le gouvernement et les paramilitaires.
Les réformes visent à minimiser le rôle de l’État, à précariser les salariés et les retraités et à baisser les impôts des sociétés. Il est prévu que les jeunes soient payés 75% du salaire minimum, lequel disparaîtrait. Il est question de mettre en place des contrats à l’heure. Le droit à la retraite est remis en cause et le système de retraites est en voie de privatisation. À tous ces problèmes s’ajoute celui de la corruption. Tout cela se passe dans un contexte d’un large soutien populaire au traité de paix avec les FARC, détricoté par le président de droite Ivan Duque qui, comme l’ancien président Uribe, mène une politique d’extrême droite. Cela a provoqué une reprise des armes par une partie des FARC. Par ailleurs, les manifestants réclament la dissolution de la police anti-émeute (ESMAD).
La Colombie est l’un des pays les plus violents contre les militants, qu’ils soient indigènes, afro-colombiens ou issus d’ONG pour les droits de l’homme où LGBTI. Tous subissent arrestations et perquisitions arbitraires, allant même jusqu’à des assassinats perpétrés par les militaires ou des paramilitaires.
Le 27 novembre de la même année, une nouvelle grève de 24 heures a eu lieu en réponse au vrai-faux dialogue lancé par le président. Le 19 décembre, une nouvelle journée massive de manifestations a eu lieu, aussi bien à Bogota qu’à Cali ou Medellin, à l’appel des étudiants. Selon la Banque mondiale, le pays serait le deuxième pays plus inégalitaire du continent, après le Honduras. Le président Duque est aujourd’hui l’un des présidents les plus détestés du continent avec les présidents Pinera, au Chili, avec Jovenel Moïse en Haïti et le putschiste hondurien Hernandez. Malgré toutes ces mobilisations, le résultat est faible. Si le plus grand budget de l’éducation nationale fa été adopté grâce à elles, la majeure partie des contre-réformes a été mise en application.
En Haïti, une décennie perdue sous le signe de la corruption et de l’impérialisme.
Depuis le 17 février 2019 se déroule une révolte contre le pouvoir de Jovenel Moise, président d’Haïti depuis 2017. Cette révolte est qu’elle vise la corruption endémique qui touche tous les aspects de la société et tous les niveaux de l’État. Le pays ne s’est jamais remis du tremblement de terre de 2010, le plus puissant depuis 1770. À partir de cette date, Haïti, déjà sous le coup d’une occupation des forces de l’ONU, sous couvert d’opération de maintien de la paix après le coup d’État de 2004 contre le président démocratiquement élu, Jean-Baptiste Aristide, va connaître une série d’incidents graves. Plusieurs massacres dans les quartiers populaires considérés comme des bastions d’Aristide ont eu lieu. L’épidémie du choléra, inconnue dans le pays depuis le 19e siècle, aurait été importée par des soldats népalais, causant la mort de près de 10 000 personnes au cours d’une décennie. Lors du séisme, la MINUSTAH (Mission des Nations Unies de stabilisation en Haïti) a été d’une totale inutilité dans la gestion de crise, que ce soit dans le domaine sécuritaire ou sanitaire.
Haïti est a été le théâtre d’un véritable show humanitaire concernant les Marines américains. Pendant les premières heures du tremblement de terre, l’aéroport a été mis sous tutelle militaire. Dix milliards de dollars (7,2 milliards d’euros) ont été recueillis pour reconstruire Port-au-Prince et d’autres zones sinistrées. Mais le pays demeure vulnérable aux cyclones (tel que Matthews, en 2016) et une grande pauvreté y règne toujours.
L’assemblée générale des Nations Unies a adopté deux résolutions fondamentales. La résolution 43/131 du 8 décembre 1998 établit le principe de subsidiarité, exigeant aux États de favoriser l’accès aux victimes pour les secours internationaux. La seconde résolution 45/100 du 14 décembre 1990, institutionnalise l’humanitaire privé, établissant un droit de passage des ONG dans un pays sinistré. C’est ce que l’on appelle le droit d’ingérence.
L’incompétence des ONG et de l’ONU est décrite comme ceci par Chelsea Clinton en 2015: « Il n’y a aucune responsabilité au sein de l’ONU ou du système humanitaire international […] Le Bureau de l’Envoyé spécial (pour Haïti) – c’est à dire toi Papa – doit avoir l’autorité sur les Nations Unies et leur myriade d’agences, ce qui, je crois, te donnerait l’autorité adéquate sur la plupart des ONG internationales ». 80% des fonds venant des États-Unis retournent d’une façon ou d’une autre dans les poches nord-américaines. Seulement 2.6% des fonds de l’Agence américaine d’aide au développement (USAID) sont allés à des agences et entreprises haïtiennes. La branche américaine de la Croix Rouge a recueilli 488 milliards de dollars et n’a construit que 6 maisons, tandis que l’ONG Oxfam a sombré dans un scandale ou des membres de l’association ont été convaincus de délits sexuels et détournements de mineurs.
Le chanteur Sweet Micky, alias Michel Martelly, ancien milicien duvaliériste chez les « tontons macoutes », devient président avec l’aide des États-Unis en 2011. Il est soutenu par l’ancien porte-parole de l’ambassade américaine Stanley Schager, qui a joué un rôle clé dans le coup d’État de 1991 qui a renversé Aristide. Martelly se trouve à la tête d’un vaste système de corruption. Dès 2012, il est accusé d’avoir reçu un pot de vin d’un entrepreneur et sénateur dominicain, Félix Bautista, qui s’est vu accorder des contrats portant sur près de 200 millions de dollars, sans appels d’offres publics, pour la reconstruction après le séisme. Durant tout son mandat, de nombreuses manifestations contre la corruption se sont déroulées pour dénoncer le détournement des dons pour la reconstruction. Le rapport de la Cour des comptes haïtienne, paru en 2019, a montré que tous les Premiers ministres de la période Martelly ont détourné de l’argent du fonds Petrocaribe censé aider Haïti à se relever. Au total, ce sont près de 4 milliards de dollars qui ont été détournés.
Le 9 septembre 2018, lors des manifestations contre cette corruption massive, principalement à Port-au-Prince, mais aussi dans les grandes villes du pays comme Cap-Haïtien, la réponse gouvernementale a été brutale. Du 13 au 18 novembre 2018, dans La Saline, un quartier pauvre de la capitale, une mission punitive a été lancée, produisant un véritable massacre. Le rapport des Nations unies corrobore les accusations formulées par des organisations haïtiennes. Un représentant du pouvoir exécutif serait impliqué dans le massacre dans lequel 71 personnes ont trouvé la mort. Alors même que les gangs étaient en train de tuer et violer dans le quartier, des témoins ont vu arriver Richard Duplan, le délégué départemental de l’Ouest. « Vous avez tué trop de personnes, ce n’était pas ça votre mission », aurait-il dit. Un an plus tard, toujours à Port-au-Prince, un nouveau massacre de 15 personnes a eu lieu, à Bel-Air. Deux membres de l’exécutif haïtien se sont rendus à Bel-Air quelques jours plus tôt pour demander aux manifestants d’enlever les barricades. Le 4 novembre 2019, les gangs sont arrivés pour nettoyer les rues. Repoussés par une résistance du quartier, des membres du gang ont ouvert le feu, tuant ainsi un vendeur de pain. Les jours suivants plusieurs maisons et véhicules ont été incendiés. Le 6 novembre 2019, 13 personnes sont mortes brûlées dans un incendie volontaire. Une autre victime a été décapitée. Les cadavres ont été emportés par les assassins.
Le Fonds Monétaire International est intervenu dans les affaires économiques d’Haïti, en lui ordonnant d’augmenter les prix des produits pétroliers de 50 %. Ce qui n’a fait qu’attiser la révolte populaire et montrer une fois encore le caractère illusoire de la souveraineté économique des pays d’Amérique latine. Dès cette annonce, la colère populaire se transforme en un mouvement de masse et de longue durée appelée « peyi lock » ou « pays bloqué » qui prend la forme d’une grève générale à partir du 17 octobre 2019. Haïti avait déjà connu une période de « peyi lock » en février de la même année.
Ainsi entre novembre 2019 et janvier 2020, tous les rouages économiques du pays sont à l’arrêt. Face à lui le gouvernement Moïse a le soutien de la « communauté internationale », incarnée notamment par les États-Unis, le Canada, la France et l’Espagne. En effet, l’opposition politique, réformiste et opportuniste, n’a qu’une seule ambition : le pouvoir. Son leader, André Michel a voulu obtenir le soutien du gouvernement américain pour se faire nommer président provisoire à la place de Martelly. Quant au Parti Radical mené par Jean-Charles Moïse, sa politique est semblable à celle des partis de gauche latino-américains qui étaient au pouvoir au début des années 2000, c’est-à-dire radical sur la forme mais timide sur le fond. Au cours des premiers mois de 2020, l’instabilité règne toujours. Les policiers se sont soulevés – avec succès – pour obtenir le droit de se syndiquer. Le dimanche 23 février 2020, au moins quatre policiers ont été blessés dont trois par balles, dans un échange de tirs entre les agents de la Police nationale d’Haïti et les nouvelles Forces armées d’Haïti. Chez les militaires, on fait état de deux blessés et un tué.