L’impact sanitaire, social, économique et politique de la pandémie du coronavirus fait éclater au grand jour la perversité d’une organisation sociale soumise à la loi du profit. Et la contradiction entre le mode du fonctionnement du système capitaliste et l’intérêt public dans un contexte d’une crise aussi profonde est particulièrement flagrante aux États-Unis. Dans un pays qui est la première puissance capitaliste de la planète, disposant de ressources productives et financières gigantesques et d’un appareil d’État impressionnant, où de nombreuses entreprises géantes génèrent des revenues bien supérieures au PIB de nombreux pays dans le monde, le système sanitaire est sur le point de sombrer. Face à la situation créée par le virus et face, aussi, à la politique de l’administration de Donald Trump, les infrastructures sanitaires des États-Unis manquent cruellement d’équipements et de personnel, au point que le gouverneur de l’État de New York, Andrew Cuomo, déclare ne plus pouvoir tenir qu’une semaine de plus, avant de devoir trier les malades entre ceux qui bénéficieront de traitements susceptibles de sauver leur vie et ceux qu’il faudrait laisser mourir.
Des experts en santé publique, dont le Chirurgien Général Fédéral, Jérôme Adams, ont averti que les États-Unis pourraient « devenir une Italie », où les médecins des hôpitaux remplis de patients de Covid-19 ont été contraints de rationner les soins et de choisir qui obtiendrait un ventilateur et qui n’en obtiendrait pas. Mais les États-Unis voient déjà le début de ce scénario dans certaines régions, marquant une nouvelle étape dans le développement exponentiel de la pandémie. Les responsables de l’État de New York, où se trouvent à ce jour plus de 6% des cas confirmés dans le monde et environ la moitié de tous les cas américains, poussent les hôpitaux à augmenter leur capacité. En outre, des milliers de médecins et d’infirmières, qui sont à la retraite ou ne voient plus de patients, se sont inscrits en tant que « force de frappe sanitaire ». Mais tous ces efforts seront gravement compromis – pour ne pas dire rendus caduques – si les personnels soignants sont privés des équipements indispensables à leur mission. New York a acheté 7 000 ventilateurs, en plus des 4 000 qui étaient déjà disponibles. Mais l’État a besoin d’au moins 30 000 ventilateurs supplémentaires à court terme, et dépend pour cela de l’apport de l’État fédéral. Or, la Maison Blanche a annoncé mardi que l’État ne recevrait qu’un total 4 000 à partir du stock national.
Réagissant à l’insuffisance de l’apport gouvernemental sur la chaîne d’information CNN, le gouverneur new-yorkais n’a pas mâché ses mots : « Qu’est-ce que je vais faire avec 4000 ventilateurs, alors que j’en ai besoin de 30 000 ? Alors dans ce cas, venez désigner vous-mêmes les 26 000 personnes qui doivent mourir ! […] J’ai besoin de ventilateurs dans 14 jours. Seul le gouvernement fédéral a le pouvoir de me les procurer. Ne pas exercer ce pouvoir me paraît inexplicable. Le bénévolat est sympathique et c’est une très belle chose. C’est bien que ces entreprises se manifestent et disent qu’elles veulent aider. Mais cela ne nous en sortira pas. »
Dans le Kentucky, le gouverneur Andy Beshear a expliqué comment son État a perdu aux enchères face à la FEMA [Agence fédérale de gestion des urgences] dans sa tentative de se procurer des équipements de protection : « Le gouvernement fédéral nous dit de nous approvisionner auprès de fournisseurs privés, et puis nous coupe la voie en achetant auprès des mêmes entreprises. » Le secrétaire à la Santé et aux Services sociaux d’Oklahoma, Jérôme Loughridge, a déclaré que l’État aura complètement épuisé ses équipements de protection dans neuf jours.
La pression monte de toutes parts pour que Trump fasse plus grand usage d’une loi d’urgence – conçue pour des situations de guerre ou de grandes urgences nationales – qui s’appelle la Defense Production Act et qui permet au gouvernement central Trump a utilisé la loi concernant quelques grandes entreprises, mais se refuse à une trop grande « ingérence d’État » dans les affaires des entreprises capitalistes. En conséquence, la pénurie des masques, de gants, de pipettes, de blouses de protection et d’autres fournitures de base persiste, offrant une opportunité en or aux entreprises qui les produisent pour augmenter leurs marges de profit. La carence politique de la Maison Blanche, pour qui, jusqu’à présent, les sacro-saintes « lois du marché » doit régir la provision de fournitures sanitaires, a donné lieu à une guerre de concurrence entre les États et les hôpitaux pour se procurer les moyens de lutter contre la pandémie. Les fournitures vont aux plus offrants, faisant monter les prix, les États ou les hôpitaux qui sont évincés aux enchères sont privés de moyens et les patients concernés sont abandonnés à leur sort. Les infrastructures de la santé publique doivent se satisfaire de vagues engagements verbaux de la part des fournisseurs, qui peuvent les lâcher subitement si un acheteur concurrent – aux États-Unis ou à l’étranger – propose des prix plus élevés. La pandémie est donc une aubaine pour les vendeurs d’équipements médicaux, dont les prix montent en flèche. En parallèle, un vaste marché noir commence à se mettre en place.
En effet, certains hôpitaux et médecins américains, notamment dans l’État de New York, se trouvent contraints de s’équiper de cette façon pour sauver des vies. Dans le New Jersey, le docteur Alexander Salerno, dans une interview accordée à la chaîne NBC, a décrit comment il a dû passer par un « courtier » et payer 17 000 dollars pour du matériel qui aurait dû coûter environ 2 500 dollars, et aller chercher la marchandise dans un entrepôt abandonné : « On ne vous donne pas de nom. Vous avez juste un numéro de téléphone. Si vous acceptez de payer le prix, on vous donne un lieu et une heure de rendez-vous », dit-il : « Nous devons aller voir ces courtiers du marché noir – ou plutôt des pirates du marché noir, et nous payons de quatre à huit fois le prix normal pour les équipements de protection nécessaires au personnel soignant, ce qui nous permet de maintenir le service et recevoir nos patients. C’est vraiment ce qu’il y a de plus glauque. Littéralement, vous envoyez un message texte à un numéro. Ils vous disent de vous rendre à un certain entrepôt, un entrepôt abandonné, au milieu de nulle part, et puis tout d’un coup, un individu se présente. Il ouvre l’entrepôt et vous voyez des palettes entassées les unes sur les autres, pleines de fournitures médicales – blouses de protection, des masques, gels hydroalcooliques – c’est vraiment de la folie. » Voilà ce à quoi « l’économie de marché » et les priorités capitalistes du gouvernement américain ont réduit les services de santé dans le pays le plus riche au monde !
Greg Oxley PCF Paris 10/La Riposte