Jeudi dernier se tenaient les élections générales anticipées au Royaume-Uni. Convoquées en octobre par le Premier ministre conservateur Boris Johnson, celles-ci devaient permettre de donner une majorité au Parlement qui puisse permettre de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le pays sur le Brexit, depuis plus de trois ans maintenant après le référendum de juin 2016. A l’approche des élections, les instituts de sondage donnaient tous une avance « confortable » pour Johnson face au leader travailliste Jeremy Corbyn (de 5 à 12 points selon les enquêtes) ; mais tous se montraient prudents, déclarant que la marge d’erreur pouvaient faire basculer les résultats. Il n’en fut rien finalement : les conservateurs sortent grands gagnants avec 43,6 % des suffrages, tandis que les travaillistes, avec un score de 32,2%, perdent 60 sièges sur les 262 qu’ils occupaient depuis les précédentes élections de 2017.
Il apparait très clairement que ces trois dernières années de négociations d’un accord avec l’UE et de déchirement au sein du parlement britannique sur le vote de ces accords ont eu un immense impact sur ce scrutin.
Il apparait très clairement que ces trois dernières années de négociations d’un accord avec l’UE et de déchirement au sein du parlement britannique sur le vote de ces accords ont eu un immense impact sur ce scrutin. Comme le laissaient présager les élections européennes de mai dernier, avec un succès historique du parti du Brexit de Nigel Farage, les électeurs britanniques, lassés par cette comédie, ont fait le choix qui pourra y mettre un terme dans les plus brefs délais, même si ce ne sera pas dans les conditions les plus avantageuses.
Boris Johnson ne s’y était pas trompé en faisant de ce thème l’axe exclusif de sa campagne, à l’image de son slogan « Get Brexit done » (« Accomplissons le Brexit »). Pour l’aider il a également pu compter sur le parti du Brexit, prêt à se sacrifier pour lui permettre d’obtenir une majorité absolue confortable. En effet le parti de Nigel Farage a retiré ses candidats des 317 circonscriptions remportées par les conservateurs aux dernières élections, ne leur laissant ainsi plus que 3 circonscriptions à gagner pour atteindre la majorité absolue ; ce qui fait une grande différence dans un scrutin uninominal majoritaire à un tour face à l’électorat hostile au Brexit dont les voix se sont éparpillées sur les autres partis. Cela a permis aux conservateurs d’obtenir leur meilleur résultat depuis 1987 sous Thatcher.
Dans ce contexte de Brexit occultant toute autre considération, [Corbyn] n’a pas réussi à imposer ses thèmes
En face, l’échec est cuisant pour Corbyn puisque le Parti Travailliste n’avait jamais connu une telle déroute depuis la Seconde Guerre Mondiale ; à tel point qu’il a annoncé qu’il quitterait prochainement la tête de la formation qu’il dirige depuis septembre 2015. L’élan qu’avait suscité son programme pour son accession à la tête du Parti, notamment parmi la jeunesse dont les adhésions avaient été massives durant cette campagne, ne lui a pas permis de déjouer les pronostics. Dans ce contexte de Brexit occultant toute autre considération, il n’a pas réussi à imposer ses thèmes : taxation des grandes fortunes et des multinationales, construction de 150 000 logements sociaux, moyens supplémentaire pour le NHS (acronyme de National Health Services, que nous traduisons ici par “service public de santé”), nationalisation de l’énergie, de l’eau, de la poste et des transports ferroviaires, revalorisation salariale pour la fonction publique, abrogation des frais d’inscription à l’Université… La publication, quelques jours avant le scrutin, dans le Daily Mirror d’une photo prise dans un hôpital de Leeds montrant un enfant allongé par terre pendant plusieurs heures en attendant des soins a pourtant mis en lumière l’état critique du NHS suite aux différentes coupes budgétaires promulguées par les Conservateurs durant la dernière décennie. Malgré cela, les médias dominants ainsi que les adversaires politiques de Corbyn ont centré les débats sur des thématiques qui lui étaient défavorables.
Tout d’abord, une prétendue complaisance vis-à-vis d’éléments antisémites au sein du Parti. Cette campagne médiatique contre Corbyn, entamée depuis qu’il dirige le Parti Travailliste et alimentée également par des élus de l’aile droite blairiste du Parti afin de l’affaiblir, l’avait poussé l’année dernière à déclarer que la lutte contre les actes antisémites était sa priorité. Loin d’éteindre le déferlement de calomnies, celles-ci se sont à nouveau invitées dans les débats, notamment par l’intermédiaire d’Ephraim Mirvis, grand rabbin du Royaume-Uni, soutenant que l’élection de Corbyn représentait un danger pour la communauté juive.
Un deuxième élément est la menace d’une sécession de l’Ecosse, ce qui a d’ailleurs conduit Johnson à déclarer pendant la campagne que Corbyn était une marionnette manipulée par Nicola Sturgeon, leader du Parti Nationaliste Ecossais SNP. Car si une victoire travailliste pouvait être envisagée, celle-ci n’aurait probablement pas été à la majorité absolue ; cela aurait pu contraindre Corbyn à chercher le soutien du SNP pour former un gouvernement, soutien que Sturgeon aurait conditionné par l’organisation d’un second référendum sur l’indépendance de l’Ecosse.
Même sans cela, le très bon score réalisé par le SNP (45% des suffrages écossais et 48 des 59 sièges attribuables), surtout au détriment des candidats travaillistes, a conduit Sturgeon à mettre la pression sur Johnson en réclamant un nouveau référendum d’indépendance.
Enfin, dans le contexte de cette campagne, la position défendue par Corbyn sur le Brexit a joué en sa défaveur. Son programme prévoyait de renégocier un nouvel accord avec l’UE d’ici le début de l’année 2020, qu’il aurait ensuite soumis à un référendum avec comme alternative une annulation du processus de Brexit, donc un maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE. Corbyn avait également indiqué qu’à titre personnel il resterait neutre dans la campagne pour ce référendum, tandis que les travaillistes auraient voté en interne sur l’option qu’ils auraient défendu. Le flou entretenu par le leader travailliste sur cette question s’est transformé en véritable boulet qu’il aura dû trainer durant toute la campagne, attaqués par tous ses adversaires, et Boris Johnson le premier notamment durant les débats télévisés, sur ce talon d’Achille. La stratégie derrière cette option, en gardant les deux options sur la table, était de rassembler au-delà du clivage brexiters/remainers.
Malheureusement pour lui, cela nécessitait beaucoup de pédagogie et d’explications sur les conséquences qu’auraient eues l’un et l’autre choix. Or, particulièrement dans une campagne éclair pour des élections anticipées, le message simple de Boris Johnson a été beaucoup plus efficace et mieux compris.
Le Parti Travailliste va désormais, dans les mois à venir, traverser un moment crucial : le retrait de Corbyn ne signifie pas que l’aile droite va reprendre automatiquement les commandes du Parti.
L’aile droite blairiste du Parti n’a pas attendu avant de rejeter la faute sur Corbyn et son programme trop «radical». Présentant le programme le plus à gauche que le Parti ait connu depuis des décennies, Corbyn s’est effectivement attiré les foudres des classes favorisées et des médias dominants, qui le présentent comme un dangereux marxiste depuis des années. En dépit de cela, les mesures qu’il portait (arrêt des politiques d’austérité, renationalisations etc…) auraient pu trouver un écho favorable au sein des classes populaires. Mais face à la machine médiatique et au ras-le-bol des britanniques sur l’interminable processus du Brexit, il n’aura jamais réussi à en faire un enjeu central de la campagne. Le Parti Travailliste va désormais, dans les mois à venir, traverser un moment crucial : le retrait de Corbyn ne signifie pas que l’aile droite va reprendre automatiquement les commandes du Parti. Soutenu par une large base de militant, notamment parmi la jeunesse et les syndicats, le programme de Corbyn ne pourra pas être juste déchiré et jeté à la poubelle. Il faut maintenant espérer que, dans cette crise que traverse le Parti et dans le processus qui va désigner une nouvelle direction, cette base se mobilise énergiquement afin de garder le même cap. Car les travailleurs britanniques vont durement subir la politique réactionnaire de Boris Johnson, et ils auront besoin d’un parti doté d’un programme capable de combattre cette régression sociale.
Jules B.
PCF Paris