La réforme des retraites de Macron représente une régression sociale majeure, le volet le plus récent de la politique réactionnaire mise en œuvre par les gouvernements successifs – y compris le gouvernement prétendument « socialiste » sous Hollande – depuis de nombreuses années.
Les retraites ont fait l’objet de plusieurs réformes rétrogrades, mais la réforme actuelle est la pire de toutes. Elle fera table rase du système de retraites par répartition. Elle repoussera l’âge de retraite et diminuera considérablement les montants des pensions. En bon « communiquant », Macron a pris soin de cacher la substance de sa réforme derrière un barrage de mensonges que L’Humanité dans une récente édition spéciale, a très utilement décryptée de manière détaillée. Il prétend que le système par points sera plus juste, plus « équitable ». Au contraire, il aggravera à l’extrême les inégalités, déjà flagrantes avant la réforme, en matière des retraites. Tous les calculs reprenant les différents cas de figure possibles indiquent que la réforme le démontrent. En Suède, après la mise en place d’un système par points dans les années 1990, 92% des retraités actuels auraient eu une pension supérieure avec le modèle précédent, et le nombre de retraités officiellement classés comme « pauvres » est presque deux fois plus élevé qu’en France (7.5% en France, 14.7% en Suède). Sous le système par points, les pensions tiendront compte des périodes de salaires faibles et de chômage. Plus on est au chômage, à temps partiels ou en arrêt maladie, plus on sera impacté. Les plus touchées seront les femmes, les personnes handicapées, les malades, les victimes de chômage et d’emplois précaires. Le but central de cette réforme est d’ouvrir un marché qui vaut des centaines de milliards d’euros aux banques et aux compagnies d’assurances, en poussant des millions de citoyens à contracter des contrats de prévoyance dans l’espoir de compenser les pertes.
Un vaste mouvement de grèves et de résistance populaire est en cours pour faire barrage à cette nouvelle offensive capitaliste. Au cours de 2018 et 2019, avec la grève des cheminots et puis le mouvement des « gilets jaunes », on a vu la fin du calme social relatif qui s’était installé depuis les grandes luttes de 2010. Le mouvement actuellement en cours est puissant et encourageant. Mais ne sous-estimons pas l’adversaire, surtout. Pour Macron, renoncer à sa réforme serait désastreux, car cela le mettrait en porte à faux avec ses engagements auprès des requins de la finance. S’il échoue, son gouvernement sera paralysé, comme l’était le gouvernement de Juppé après les événements de 1995. Par conséquent, pour que les grèves et manifestations actuelles aient la moindre chance de succès, elles doivent s’élargir, devenir plus massives encore, mobilisant le secteur privé, ravivant davantage les « gilets jaunes » et cherchant des renforts chez les lycéens et les étudiants à une échelle massive. Macron cherchera à diviser le mouvement, au prix de concessions sectorielles temporaires et en misant sur les directions « syndicales » fourbes et traîtres comme celle de la CFDT. Le meilleur antidote à de telles manœuvres serait de parvenir à mobiliser plus largement et ouvrir la perspective d’une issue victorieuse possible.
De manière générale, et quelle que soit l’issue immédiate de la lutte engagée actuellement, les événements que nous vivons actuellement témoignent de l’instabilité sociale qui s’installe en France et qui ne pourra que s’aggraver, compte tenu des perspectives sociales et économiques qui se présentent. Cette instabilité gagne progressivement non seulement de l’ensemble du continent européen, mais le monde entier, créant une situation dans laquelle le « populisme » et le nationalisme progresse à une vitesse alarmante. On lit et on entend souvent dire que le terme « populisme » ne veut rien dire. Mais cela veut bien dire quelque chose. Il signifie l’émergence de courants politiques qui captent et qui reflètent un changement important dans la conscience sociale des populations – ou d’une partie importante de celles-ci – qui s’est produit au cours de la dernière période et qui se caractérise par une défiance et une hostilité profonde envers les « élites », les institutions dites démocratiques, les médias et « experts » divers. Les politiciens qui surfent sur cette vague exploitent les conséquences sociales du capitalisme pour avancer leurs propres intérêts. Ils empoisonnent la conscience populaire avec le nationalisme et la xénophobie pour mieux servir, en fin de compte, les intérêts de la classe dirigeante qu’ils font semblant de contester.
Nous évoquons le problème du danger populiste et nationaliste ici parce que les enjeux des luttes pour défendre les intérêts de la population au moyen de la lutte des classes vont bien au-delà de leurs causes immédiates, et nous voudrions que tous les syndicalistes et tous les militants qui sont partie prenantes de ces luttes en soient pleinement conscients. Concrètement, dans un contexte de démolition progressive des conquêtes sociales, d’appauvrissement, de précarité accrue, de crainte et anxiété concernant ce que l’avenir nous réserve, la recherche de solutions ne peut prendre, en définitive, que l’une des deux directions possibles : celle d’une lutte de classe résolue/sérieuse qui vise à contester et détruire la puissance de la classe dominante et ouvrir la perspective d’un ordre social débarrassé de l’exploitation et l’oppression, ou alors celle qui cherche dans le mythe « national » et « racial » une façon de s’en sortir au détriment d’autres nations et races. Entre ces deux formes fondamentales de conscience politique, il y a une concurrence et une lutte dont l’issue décidera du sort de l’humanité et, compte tenu des ravages du capitalisme dans le domaine de l’environnement et l’équilibre écologique de la planète, de son existence même.
Cette vision des choses est à mettre dans le contexte des perspectives économiques mondiales telles qu’elles se dessinent pour 2020 ou 2021. Depuis la récession mondiale de 2007-2009, l’offensive majeure a été menée contre les conditions de vie et les droits des travailleurs a connu une forte accélération. Les apologistes du capitalisme expliquent la crise de 2007-2009 par la croissance exponentielle du crédit – c’est-à-dire de l’endettement – dans la période précédente. En fait, il s’agissait d’une crise de saturation des marchés (ou de « surproduction ») dont les répercussions économiques et sociales ont été amplifiée par la masse colossale de dettes contractées dans la période précédente et dont la fonction économique était de reporter aussi longtemps que possible la saturation des marchés par la création d’une demande artificielle. Les mêmes apologistes nous assuraient, au milieu de la débâcle, que les leçons apprises de cette expérience nous éviteraient de la revivre à l’avenir. En réalité, l’endettement dans le monde a augmenté de 50 % depuis 2009, avec une nette accélération de sa croissance au cours des derniers 24 mois. En 2017, la dette mondiale était de 184 000 milliards de dollars. Deux ans plus tard, elle est de 247 000 milliards, soit 240 % du PIB mondial. Toutes les institutions internationales comme la Banque Mondiale, l’OMC, le FMI, la BCE, la Réserve Fédérale, etc. envisage une nouvelle récession mondiale dans les deux ou trois années à venir, aggravée par la montée du protectionnisme et des guerre commerciales et aussi par le fait que de nombreux pays économiquement importants sont déjà en récession avant le krach attendu. Et si de nombreuses banquent pensent que les répercussions de cette nouvelle crise seront moins grave en effacement des actifs et pertes de profits, elles sont toutes de l’avis que, pour en sortir, il faudra procéder rapidement à la destruction de ce qui reste des « blocages » dans le domaine de la législation sociale, des services publics et des dépenses sociales. Ainsi, nous voyons que les capitalistes sont du même avis que nous en ce qui concerne l’avenir sous le capitalisme. La régression sociale sera bien sans fin, aussi longtemps que le capitalisme existera. Lorsque nous évoquons une guerre de classes, les politiciens et autres « experts » aux ordres arborent un sourire moqueur… C’est quoi ce langage vétuste d’un autre âge ? N’empêche que c’est bien cela qui nous attend – et à un niveau jamais connu depuis près d’un siècle. La classe dirigeante s’y prépare. Il vaut mieux s’y préparer, nous aussi.
En Europe « démocratique », l’érosion ou la destruction complète des conquêtes sociales du passé tendent à saper les bases sociales des régimes parlementaires, qui reposent nécessairement sur un « compromis social », sur la possibilité d’une coexistence pacifique de classes pourtant aux intérêts opposés. Cette possibilité se fragilise d’année en année. Des luttes intenses, âpres et dures nous attendent, luttes au cours desquelles toutes les idées, les programmes et les méthodes des nos organisations et de nous-mêmes individuellement seront/sortent bousculés et mis à rude épreuve. Les tendances actuellement dominantes et majoritaires dans le mouvement ouvrier et dans la société, qui sont essentiellement défensives et se limitent à diverses expédients pour atténuer les conséquences sociales du capitalisme, dans le cadre du système et sans aucune perspective sérieuse d’en sortir, se montreront inadéquates face à la réalité d’une organisation sociale qui exige et organise la régression sociale. Nos luttes défensives au quotidien sont nécessaires, indispensables, mais elles ont besoin d’un objectif d’ordre politique, d’une alternative au capitalisme. Enlever le pouvoir économique – et aussi politique, étatique – aux capitalistes est la condition sine qua non d’une transformation de la société qui permettrait une véritable émancipation sociale et des travailleurs et de tous ceux qui subissent les conséquences du capitalisme. Par contre, si ce programme – travaillé, explicité, argumenté comme il conviendrait – n’émerge pas dans et autour du mouvement ouvrier dans la période à venir, alors, inéluctablement, le désespoir qui a déjà fortement stimulé le « populisme » finira par couler plus abondamment encore dans les canaux du nationalisme, le racisme et à terme, le fascisme et la guerre.
Nous n’esquissons pas ces perspectives et alternatives dans un but académique ou journalistique. C’est avant tout un avertissement, un appel à la lutte, à l’élaboration d’un programme non seulement défensive, mais pour la transformation révolutionnaire de la société.
Greg Oxley, PCF Paris 10e