Par J-S B, PCF 92
Dans sa recherche constante de profits, le capitalisme n’a de cesse de faire preuve d’ingéniosité. Entre uberisation et sous-traitance, le cœur des capitalistes balance. La sous-traitance est un système inique qui permet à une grande entreprise de réduire les coûts en déléguant tout ou partie du travail à une autre entreprise. Et naturellement les perdants de cette opération sont les salariés. Ils sont sous-payés et dans le même temps le donneur d’ordre se voit libéré de ses obligations sociales. Syndicalement, les travailleurs ne sont pas représentés dans les deux entreprises dont nous relatons ici les luttes menées par les salariés. Cela dit, il ne suffit pas de supprimer le syndicalisme pour empêcher les travailleurs de relever la tête.
Ibis ou l’exploitation hôtelière doublée d’un viol
Depuis le 17 juillet, les femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles sont engagées dans une double lutte: envers leur employeur direct, STN, multinationale chinoise d’une part, et envers le commanditaire, véritable employeur: le groupe ACCOR (dont IBIS fait partie) d’autre part. C’est en se soulevant contre leur exploitation qu’une atroce découverte est faite : une salariée de l’hôtel des Batignolles a été violée il y a deux ans par le directeur. Le violeur a été couvert par la direction ainsi que par STN ! Le secteur de l’hôtellerie et restauration arrive en tête des secteurs où les femmes sont les plus exposées au harcèlement sexuel : en effet, par rapport à la moyenne nationale, elles subissent deux fois plus de harcèlement sexuel, allant jusqu’au viol (enquête européenne sur les conditions de travail (dite EWCS)).
La sous-traitance dans le domaine de l’hôtellerie restauration a pour objectif d’engranger les profits tout en se débarrassant des problèmes. Ainsi les salariées connaissent la précarisation, la négation de leurs droits et l’impossibilité d’être représentées par un syndicat. La société IBIS leur interdit notamment d’être représentées auprès de ses propres instances représentatives du personnel. Le recours abusif à la sous-traitance est d’autant plus abusif que ces grandes entreprises en ont les moyens. STN réalise 69 millions d’euros de chiffres d’affaires et 3 milliards d’euros pour IBIS.
Les grévistes revendiquent l’embauche des salariées de la sous-traitance STN Groupe par l’hôtel IBIS Batignolles avec reprise de leur ancienneté. Sont revendiqués aussi :
- Le passage à temps complet et la conversion des CDD en CDI
- L’arrêt des mutations non justifiées des salariées partiellement inaptes
- Le versement d’une indemnité nourriture égale à 7,24 € par jour travaillé et d’une prime de lit supplémentaire de 2€ par lit
- L’installation d’une pointeuse électronique infalsifiable avec remise d’un relevé horaire hebdomadaire à chaque salariée
- Une prime de nettoyage et de repassage des vêtements de travail égale à 22 € par mois (1€ par jour travaillé) et la fourniture de 2 tenues de travail par an
Pour les soutenir rendez-vous sur leur piquet de grève quotidien entre 8h30 et 16h devant l’hôtel au 10 Rue Bernard Buffet métro Porte de Clichy. Ou financièrement sur ce lien du pot solidaire
La Poste n’est pas en reste: Chronopost ou l’esclavage moderne
Depuis le 11 juin dernier, près d’une centaine de grévistes et de proches tiennent un piquet de grève jour et nuit devant le Chronopost d’Alfortville, pour protester contre leurs conditions de travail dignes de l’esclavage. Commençant à 3 ou 4 heures du matin, ils doivent se débrouiller par eux-mêmes pour arriver sur leur lieu de travail. Sans transport en commun et dans une zone isolée de la ville, ce n’est pas chose aisée et ceci pour terminer à 7h du matin, payés à peine 600€, le tout dans la plus totale illégalité au regard du droit du travail. Sans contrat de travail légal, ces malheureux sont obligés d’accepter n’importe quoi car sans papiers. Le tout dans un contexte politique peu favorable à la demande du droit d’asile. Ironie du système : Chronopost est une filiale à de la Poste, entreprise à capitaux 100% publics. Autrement dit, l’Etat exploite dans l’illégalité et l’immoralité la plus crasse des sans-papiers dont il refuse lui-même de leur donner des papiers.
La Poste n’est pas la seule entreprise publique à faire cela : la SNCF utilise également des personnes faisant partie de la couche la plus précaire issue de l’immigration pour assurer son nettoyage et la sécurité. La lutte victorieuse des salariés d’ONET, travaillant dans les gares RER des lignes B et D sur la région ferroviaire Paris nord, a mis en lumière cette problématique.
Ces deux anciens services publics se cachent derrière la sous-traitance pour montrer patte-blanche. Dans le cas des grévistes de Chronopost, La Poste qui sous-traite en interne la livraison de colis express pratique un dumping social féroce entre fonctionnaires, CDI, CDD, intérimaires sous-traitants de sous-traitants. Grâce à ce système, le groupe public se paie des marges exceptionnelles, réalisant depuis plusieurs années des bénéfices record. Cerise sur le gâteau : il fait sous-traiter la gestion des salariés de Chronopost à un autre intervenant, le groupe Derichebourg. Ce groupe, connu pour le transport logistique ou le ramassage des ordures urbaines fait aussi dans la gestion de ressources humaines. Concrètement Chronopost est propriétaire des murs et Derichebourg gère la main d’œuvre recrutée par une obscure boîte d’intérim. Cette agence connaît parfaitement leurs situations et on peut légitimement penser qu’elle les recrute même pour leur état administratif !
Les grévistes ne réclament que leur régularisation et leur recrutement en tant que postiers en CDI au même titre que tous les salariés du groupe La Poste. Ils sont aidés en cela par le collectif des travailleurs sans papiers de Vitry sur Seine, et Solidaires 94.
Pour les soutenir physiquement rejoignez-les au 2 chemin de Villeneuve Saint Georges, bus 103 depuis l’école vétérinaire d’Alfortville ligne 8, les gares RER D du Vert de Maisons, ou de Maisons-Alfort-Alfortville, arrêt Val de Seine (près du cimetière). Ou financièrement via cet autre lien du pot solidaire.
Gilets Noirs ou le combat pour la dignité
A l’origine de ce mouvement, se trouve le soutien aux migrants installés de manière indigne sous les ponts du périphérique parisien et de l’autoroute A1 à Porte de la Chapelle. Se crée alors le collectif la Chapelle Debout consacré uniquement à une aide d’urgence et humanitaire à ces migrants essentiellement originaires d‘Afrique subsaharienne. Avec le temps, les membres de ce collectif découvrent l’arrière-cour des conditions de vie de ces migrants. Bon nombre d’entre eux travaillent, pour la plupart clandestinement pour de grandes entreprises publiques comme La Poste, la SNCF, ou privées comme Ellior ou STN. Ce collectif avait à l’origine pour but de forcer la réouverture des portes de la préfecture en novembre 2018. Il s’agissait alors d’occuper le Musée de l’Immigration puis la Comédie Française, ce qui leur a permis à l’époque d’obtenir un rendez-vous à la Préfecture, qui leur a fait miroiter des régularisations qui ne viendront jamais.
Depuis ce manquement de la part de la Préfecture, une accélération des actions s’est amorcée. L’une des plus spectaculaires est celle d’un terminal de l’aéroport de Roissy pour empêcher la déportation d’un Soudanais dans un pays qui l’an dernier encore était une sombre dictature. La Chapelle Debout a aussi effectué un travail de politisation extrêmement important dans les foyers de travailleurs immigrés d’Afrique de l’Ouest.
A partir de là, le mouvement s’est tourné contre les exploiteurs des travailleurs migrants : Elior, Onet, Gepsa, Engie (ancien GdF), Bouygues, etc. Cette politisation passera par le 16 mars 2019 date de création à proprement parlé des Gilets Noirs et ce dans un contexte de médiatisation forte des Gilets Jaunes.
Dans le cas d’Elior, par exemple, si un travailleur réclame ses droits notamment le Cerfa le patron dit « ferme ta gueule ou je te vire » et les préfectures leurs disent : « pas de Cerfa, pas de papiers ». Les migrants sont alors coincés dans une impasse organisée dans un “pas de deux”. La préfecture organise la précarité des migrants en les engageant dans le travail illégal. Les patrons profitent de cette précarité pour les surexploiter. Selon un Gilet Noir interrogé, « s’ils ont besoin de toi, ils te gardent, mais si tu demandes le Cerfa, ils te virent. Après tu reviens et ils te font comprendre que c’est du win-win : tu as besoin d’argent et on t’embauche même si tu n’as pas de papiers, pourvu que tu travailles et que tu fermes ta gueule. C’est toujours comme ça. Car ils savent que les sans-papiers, pour la plupart, ont peur d’être licenciés ». Comble de l’exploitation, il y a tout un business où les rendez-vous en préfecture se revendent au marché noir, un rendez-vous pouvant coûter jusqu’à 700 euros.
Selon les Gilets Noirs: « c’est un mouvement social, pas un mouvement de sans-papiers. C’est un mouvement qui appartient à tous ceux qui combattent le racisme, qui sont d’accord qu’aucun être humain n’est illégal, et qui veulent une vie digne pour tout le monde. C’est un mouvement d’impatience : on en a marre d’attendre pour une vie digne, marre d’attendre pour sortir de l’isolement ».
Que ce soit les femmes de chambre ou les travailleurs sans-papiers, le système capitaliste utilise le racisme pour diviser les travailleurs et maximiser ainsi l’exploitation. La sous-traitance et l’exploitation des sans-papiers est le meilleur outil moderne du point de vue du patronat pour littéralement asservir les salariés et diviser les travailleurs.