Ce texte émane de la section d’Alès de La Riposte et a été utilisé comme introduction à un débat organisé avec des militants communistes et d’autres sensibilités de gauche sur le thème de la démocratie locale. Le point de vue exprimé n’est pas nécessairement représentatif des opinions de la majorité de notre organisation.
La célèbre philosophe et humoriste Ségolène Royal a prononcé un jour cette phrase profonde que je vous laisse méditer : « La démocratie participative renforce la démocratie représentative. »
Elle ne croyait pas si bien dire…
Un constat, qui devrait mettre d’accord la plupart d’entre nous, s’impose d’emblée : La démocratie participative, telle qu’elle a été mise en place jusqu’à aujourd’hui, est une vaste farce. Quand un maire convoque des « commissions de participation des habitants », sous couvert de démocratie, il ne fait en réalité que consolider son autorité. Car enfin, pour qu’une telle commission soit désignée, il faut bien qu’il y ait un pouvoir qui l’autorise, et un pouvoir démocratique qui plus est, qui consent généreusement à demander l’avis de la plèbe. Ce qui est présenté par les médias comme l’acte désintéressé d’un courageux élu, prenant le risque de se voir contredit par la population, apparait en fait, au contraire, comme une manière de réaffirmer son pouvoir par la mise en scène, l’apparence du débat et l’illusion d’une prise de décision en commun, car c’est toujours à lui que revient, en définitive, LA décision.
Au bout du compte (un conte pour enfants), l’institution en sort renforcée, restaurée dans son autorité. Plus grave encore, elle se trouve relégitimée par tous ceux qui y participent, et c’est bien là tout l’intérêt de la manœuvre. Ainsi, même si tout le monde flaire instinctivement l’arnaque, la propagande, que l’élu organise des réunions uniquement pour démontrer que SI, le maire prend bien en compte l’avis de ses administrés, que la verticalité du pouvoir est compensée par une certaine horizontalité, qu’on demande l’avis des citoyens même en dehors des périodes électorales, etc, malgré tout ça, le simple fait de l’avoir organisé fait la démonstration, selon le prêt-à-penser médiatique, que nous sommes bien dans une démocratie « vivante », même s’il ne s’agit que d’une simulation, voire d’un simulacre, comme Macron vient encore de le prouver de façon éclatante avec son grand débat.
On peut maintenant affirmer avec certitude que le fait de simplement « participer » ôte, en réalité, au citoyen tout levier pour peser concrètement sur les décisions, comme s’il abdiquait son pouvoir au moment même où il prétend l’exercer et infléchir le réel. « Participer » revient à légitimer une mascarade démocratique qui ne peut plus, aujourd’hui, revendiquer la moindre légitimité. On a presque envie de dire que « l’essentiel, c’est de NE PAS participer… »
Bref, de Max Roustan à Ségolène Royal, la « démocratie participative » est mort-née, car elle a été pensée dans l’objectif même de ne servir à rien, et surtout pas à donner réellement aux citoyens le pouvoir d’agir sur la réalité de leur quotidien.
Malgré tout, on ne peut pas complètement faire l’impasse sur ce qui a été mis en place dans la municipalité de Grigny, par exemple. Le maire de l’époque avait décidé d’impliquer plus fortement les citoyens dans la prise de décision, et s’était donné les moyens de ses ambitions, en convoquant des conseils de quartier (4 en l’occurrence, je crois) dans lesquels les citoyens formulaient des propositions pour améliorer la vie de leur commune, et priorisaient ces propositions en fonction de l’urgence des besoins. Il faut préciser que le maire ou les élus de la ville n’avaient pas le droit de mettre les pieds dans ces conseils, pour ne pas trop les influencer.
Chaque conseil de quartier devait compter avec les priorités des autres quartiers, et devait répartir les fonds en fonction d’une échelle des priorités, décidée à la majorité des votes. La question du budget alloué au fonctionnement des conseils de quartier est une question de première importance dans la mesure où l’argent est le nerf concret de la guerre, car c’est bien beau de vouloir faire prendre des décisions aux administrés, mais encore faut-il leur donner les moyens financiers et techniques de mener à bien les décisions qui sont prises, et sans argent, pas de réalisation concrète. C’est pourquoi, dès le début du mandat, une enveloppe équivalente à 10% du budget de la commune était affectée à la réalisation des projets votés par les conseils de quartier, ce qui n’était pas grand chose. A la fin du règne de ce maire, le poids de cette enveloppe était quand même passé à 70% du budget de la commune, ce qui est loin d’être négligeable. Les 30% restants du budget ne servaient plus qu’aux frais de fonctionnement incompressibles de la commune, comme le paiement des employés de mairie, l’entretien de la voirie, etc…
La vraie question qu’on peut se poser, c’est : quelles ont été les réalisations concrètes de ces conseils de quartier ? Ces réalisations ont-elles donné aux gens l’assurance que leur volonté n’était pas seulement entendue, mais bien appliquée ? On peut en douter, puisque le maire a fini par être dégagé au bout de deux mandats, je crois, par une coalition de toute l’opposition qui, du PS à l’UMP, voulaient au plus vite jeter cette expérience aux oubliettes. Néanmoins, si l’exercice avait été une totale réussite, si les citoyens avaient été totalement satisfaits de l’expérience, il est probable qu’ils auraient continué avec l’équipe en place. C’est donc bien que quelque chose a mal fonctionné, soit par la faiblesse des fonds alloués (Grigny est une petite commune), qui n’auront pas permis de réalisations de grande ampleur, susceptibles de convaincre la population de l’efficacité concrète du dispositif, soit parce que le maire, effrayé des possibles conséquences sur son autorité, aura décidé de baliser d’un peu trop près sa propre création, qui pouvait s’avérer potentiellement incontrôlable.
Quoi qu’il en soit, cela prouve que, même poussée à plein régime, et avec beaucoup de bonne volonté, l’expérience a rencontré de sérieuses limites. Mon propos n’est pas de la démolir pour le plaisir de casser un jouet qui avait l’air chouette et prometteur, mais plutôt de pointer les éventuelles faiblesses du modèle, ou au moins d’éclairer ses zones d’ombre, parce qu’on ne perd jamais rien à poser correctement les problèmes.
D’abord, même si un tel fonctionnement a pu apporter de réels progrès, on est obligé de constater que s’il n’est pas gravée dans le marbre « constitutionnel » du fonctionnement de la commune, alors rien n’empêche une nouvelle équipe dirigeante d’y mettre fin. En d’autres mots, tout dépend du bon vouloir du maire, et dans ce domaine, on sait de longue date à quoi s’attendre. Il faudrait donc au préalable l’asseoir sur du long terme, avec des règles contraignantes pour les élus pour éviter que le dispositif soit annulé, soit par le jeu de l’alternance politique, soit parce que tel ou tel souhait des citoyens irait à l’encontre de la volonté du maire.
D’autre part, il faudra sans doute poser la question de la généralisation du modèle, ou du moins à étendre l’expérience à d’autres ensembles, comme l’entreprise, d’où la démocratie est notoirement absente, pour voir à quel point elle se complique en fonction de la taille de la population concernée. On ne peut probablement pas déléguer le pouvoir aux citoyens de la même manière à Paris qu’à Alès ou Chamborigaud [NDLR : village en pleine nature dans les Cévennes méridionales]. Il y aura sans doute des ajustements de taille à faire en fonction de l’importance de l’ensemble sachant que, pour l’instant du moins, on ne peut (ou on ne veut) pas voter sur tout, tout le temps, et qu’à un moment donné la question de la délégation de pouvoir se reposera forcément, en particulier dans les grandes villes.
Il faut aussi évoquer d’autres conditions de possibilité : la diminution incessante des dotations aux collectivités locales n’interdit-elle pas toute démocratie locale, dans la mesure où la réalisation des projets locaux dépend fortement de l’argent que l’Etat, dans son infinie sagesse, consent généreusement à octroyer aux manants des territoires ruraux ? Sans argent, pas de construction de bâtiment, pas de pérennité de service public. Or, actuellement, l’argent ne tombe pas du ciel, il n’est pas produit localement, ou du moins pas en quantité suffisante pour la totalité des besoins locaux, surtout dans un coin comme Alès. C’est donc à l’état que revient de distribuer les dotations, en fonction de recettes fiscales qui, comme chacun sait, sont en constante diminution, du fait des cadeaux faits aux plus riches et aux entreprises et à la volonté libérale de réduire la voilure de l’Etat-Providence.
Et c’est bien là que la question du modèle se pose : soit on poursuit dans un modèle centralisé, dans lequel le financement des communes pourrait être assuré par une forte augmentation de la fiscalité sur le capital ou une politique de relance keynésienne, soit on se dirige vers un modèle décentralisé, communaliste, et alors il faudra augmenter les recettes locales par d’autres moyens, probablement par l’instauration d’un travail communautaire obligatoire (à quelles conditions ? payé comment ?), pour ne plus dépendre du bon vouloir de l’Etat et instaurer une vraie subsidiarité maximale, dans laquelle le petit échelon local décide pour tout ce qui le concerne. Mais le « Do It Yourself » doit impérativement se traduire par une implication totale et désintéressée d’une bonne partie de la population, ce qui semble quand-même compliqué à envisager actuellement, même si des exemples de ce genre existent, comme à Marinaleda, en Andalousie, par exemple.
Mon avis est qu’on peut sans doute envisager une forme hybride, à mi-chemin entre le tout étatiste vertical et le travail communautaire obligatoire.
C’est là qu’on rentre dans le vif du sujet de notre débat:
– Quelle organisation concrète, dans le détail ?
– Quelle intensité donne-t-on à l’expérience pour qu’elle devienne plus qu’une expérience ou une forme de cogestion « techno-citoyenne », de coordination étroite entre des services techniques et financiers, des autorités politiques et la population ?
– Plus largement : quelle articulation entre local et national ?
– Et plus généralement : est-ce que cette expérience généralisée suffit à réaliser concrètement la démocratie locale ? Est-ce qu’il ne s’agirait pas, plus largement, de faire exister une forme de révolution par le local, une « décentralisation démocratique » dans l’esprit de ce que proposent les anarchistes depuis fort longtemps ? En gros, la révolution n’aurait pas besoin d’en passer forcément par la prise du palais d’hiver ou de l’Elysée, mais davantage par la sécession d’une part de plus en plus importante de la population sur le modèle décentralisé de « la Commune ».