Par FL, PCF86
Voilà maintenant un mois que s’est ouvert le procès des dirigeants de France Telecom. Les faits sont la mise en place brutale du plan « NEXT » qui voyait supprimer 22 000 postes entre 2006 et 2009 « par la fenêtre ou par la porte » comme avait déclaré à l’époque Didier Lombard, ex-PDG, aujourd’hui sur le banc des accusés. Mais les vrais responsables sont-ils sur ce banc ? Aujourd’hui on y voit des PDG, RH, responsables divers et variés, mais qu’en est-il de ceux qui ont choisi ce plan : séparation des PTT puis privatisation de France Telecom et de la Poste ?
Dans les deux entreprises, nous retrouvons la même maladie : réorganisation de services, suppressions massives de postes. Un facteur toutes les heures pour la Poste pendant 10 ans, 22 000 personnes en 3 ans pour France Télécom. Les pires plans de restructuration que la France n’ait jamais subi et ceci quasiment passé sous silence dans l’unique but de privatiser ces entreprises pour maximiser les bénéfices. Ces changements se sont accompagnés de leur lot de malheur pour les salariés : suicide, syndrome anxio-dépressif, troubles du sommeil, addiction, hausse de l’arrêt maladie et accidents de travail. Dans les deux entreprises nous retrouvons la même ligne managériale avec sa flopée de chefs vicieux et serviles avec une seule obsession : les objectifs. À la troisième semaine du procès, un médecin du travail témoigne : « le seul moyen que nous avions c’était la fiche d’aptitude. Je l’ai utilisée autant que je pouvais pour sauver les salariés ». Il y a les mêmes à la Poste où nous pouvons compter jusqu’à 10 % d’inaptes au métier de facteur par établissement. Ainsi le médecin raconte que les managers étaient furieux en essayant par tous les moyens de briser le secret médical pour accomplir leur macabre projet.
Cependant tous ces petits cadres accomplissant ce pour quoi ils étaient payés étaient-ils plus coupables que le soldat envahissant, brûlant et pillant le pays que son général désignait ? Ils ne sont que le bras armé d’une politique à plus grande échelle. Pour les PTT, la mère de toutes les batailles se situe en 1990, au moment de la séparation des PTT en vue de leur privatisation. Reprenons ce moment historique pour désigner les vrais coupables : le Gouvernement socialiste de François Mitterrand.
- Juin 1988 : la « conception initiale » des lois débute, pilotée par Rémy Dullieux.
- Octobre 1988 : le centre de tri de Lille-Lezennes en grève sur les effectifs. Nancy, Marseille, Rouen, Bordeaux, et Bobigny font de même
- 4 novembre 1988 : « La grève continue dans les sept garages P.T.T. de la région parisienne », titre le quotidien Le Monde et cette grève paralyse les centres de tri. Les conducteurs protestent contre la sous-traitance au privé, via une coordination et des assemblées générales quotidiennes.
- 10 novembre 1988 : 64,3 % des grévistes consultés à bulletins secrets se prononcent pour la poursuite de l’action, selon un tract CGT
- novembre 1988 : des postiers CFDT, à qui la confédération a retiré leur mandat, crée SUD-PTT, dont le premier congrès aura lieu du 19 au 22 septembre 1989.
- 28 novembre 1988 : « la presse écrite est sinistrée par la grève » qui a duré du 15 octobre au 18 novembre.
- 6 décembre 1988 : Paul Quilès demande à Hubert Prévot, 60 ans, ex-dirigeant national de la CFDT et compagnon de Michel Rocard au Parti socialiste unifié, de piloter le débat sur la future loi.
- 22 juin 1989 : 50 000 grévistes, la plus forte grève aux P.T.T.
- 23 juin 1989 : intervention dans le débat de Michel Rocard, pour « une évolution ambitieuse et sans tabous » des PTT.
- 31 juillet 1989 : le « rapport Prévot » fait la synthèse du débat : création de deux entreprises autonomes, urgence de la réforme, « prudence et calme » dans les modalités de son application, 8 000 réunions avec les agents, 75 000 agents en direct par vidéotransmission, 7 journaux tirés à 520 000 exemplaires, 327 000 réponses des usagers.
- 8 septembre 1989 : le ministre rencontre les syndicats pour discuter des volets sociaux et institutionnels. La CGT boycotte ce premier rendez-vous puis participe au « dialogue » à partir du 3 octobre.
- 8 novembre 1989 : Michel Rocard annonce le dépôt d’un projet de loi, rendant autonomes La Poste et France Télécom. Mise en place de commissions et de groupes de travail.
- 20 novembre 1989 : début des négociations sur les « classifications » du personnel, cheval de Troie permettant de contourner son statut. L’entreprise lance une intense communication interne pour emporter l’adhésion : journal mensuel diffusé à 500 000 exemplaires, service minitel, prospectus, brochures, débats en réseau.
- 21 mars 1990 : présentation en conseil des ministres du projet de loi. Appel à la grève de la part de la CGT : 3 % de participation selon la direction des PTT. Hormis quelques centres de tri postal, la grève, combattue par la CFDT, est un échec.
- 2 avril 1990 : le conseil supérieur des PTT adopte le texte.
- 3 avril 1990 : un appel à la grève lancé par trois syndicats (CGT, FO, SUD) est suivi par moins de 20 % du personnel selon les chiffres officiels, par 10 000 salariés selon la CGT. Mais aucun mouvement durable ne prend forme.
- 12 mai 1990 : la loi réformant les PTT est adoptée en relecture par 284 députés ( 272 élus du Parti socialiste, 2 UDC, dont Raymond Barre, ancien Premier ministre et quelques non-inscrits), contre 45 ( 26 PCF, 3 RPR, 13 UDF, 3 non-inscrits). Les autres députés (RPR, UDF, UDC) s’abstiennent.
- 7 juin 1990 : adoption au Sénat d’un texte remanié : tous les groupes sénatoriaux votent « pour », sauf le groupe communiste.
- 27 juin 1990: après une deuxième navette entre les deux assemblées, le texte de loi est adopté par 285 députés, contre 30. Seul le groupe PCF a maintenu son opposition. Le Monde titre le 14 mai : « L’abstention de la droite et du centre a facilité l’adoption de la réforme des PTT ».
- 8 juillet 1990: parution au Journal officiel de la loi promulguée n°90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications qui crée à compter de janvier 1991 deux exploitants autonomes de droit public : La Poste et France Télécom.
- 19 septembre 1990: projet de loi sur la réglementation des Télécommunications pour abolir la régulation étatique existant en France depuis Louis-Philippe, transcrite dans l’article L.33 du code des PTT, datant du 2 mai 1837.
- 29 décembre 1990 : adoption de la loi n° 90-1170 sur la réglementation des télécommunications qui paraît au Journal officiel le 30 décembre.
À partir de ce moment-là, le sort des travailleurs des PTT était scellé. Lancé sur le marché capitaliste et entre les dents des voraces du profit, il ne pouvaient en être autrement. Les vrais responsables sont là : le gouvernement socialiste de l’époque, mais n’en doutons pas, la droite aurait fait exactement la même chose. D’ailleurs elle l’a fait pour EDF, GDF et vient de le faire avec la SNCF, car la casse du statut est la première étape essentielle pour l’ouverture à la concurrence de la branche et donc du profit. La course au profit était lancée et pour cela, il fallait supprimer tout ce qui n’était pas productif : supprimer le service public non rentable, les guichets, délaisser les zones rurales, baisser les salaires, employer la sous-traitance, augmenter la productivité. Aujourd’hui l’ensemble de réseau de câbles de fibres optiques est posé par de la sous-traitance, ce qui explique le retard considérable de la France sur le reste de l’Europe. Vous avez un problème sur votre ligne téléphonique ? Vous appelez le service technique et vous tomberez sur une plateforme téléphonique à l’autre bout du monde avec des salariés payés moins de 3 euros de l’heure. Ce sont les incontournables que nous retrouvons dans toutes ces entreprises vendues au privé, sacrifiées aux lois du marché. Au procès de France Télécom, ce dont nous pouvons être certains, c’est que les vrais coupables séviront encore ! La Justice ne viendra pas de l’intérieur de système qui les a engendrés. La justice ne se fera que par une politique claire, au service des travailleurs, par la nationalisation de toutes les entreprises à vocation de service public : télécommunications, transports de personnes et de marchandises, énergies, production et distribution alimentaire, santé et éducation. Voici un programme communiste visant l’intérêt général. Il n’y a rien à attendre de ce semblant de procès intervenant bien trop tard, après des années de souffrances.