Les dirigeants de l’Union Européenne ont récemment annoncé que la Grèce en a fini avec les « plans de sauvetage » mis en place en 2010 qui comprenaient des emprunts pour non moins de 289 milliards d’euros au total. Ayant respecté les conditions draconiennes qui lui ont été infligées, la Grèce retrouve enfin le droit d’emprunter sur les marchés financiers. L’annonce s’accompagnait de félicitations à l’égard du peuple grec en reconnaissance des « efforts » qui auraient finalement porté leurs fruits, comme si les efforts en question – un véritable effondrement des conditions de vie de la masse de la population – avaient été librement consentis, alors qu’ils ont été brutalement imposés par la Troïka (BCE, Banque Mondiale, FMI) et les grandes puissances du continent.
Les représentants de la Troïka jubilent du « succès » de leur intervention. Et pour cause. Les plans de sauvetage successifs ont sauvé les intérêts des banques et des grands groupes capitalistes et contribué à la stabilité de la monnaie européenne, facteur majeur dans la rentabilité du capital européen. Avec la complicité d’Alexis Tsipras et de son gouvernement, la résistance populaire a été brisée, permettant à l’Union Européenne de passer en force et d’imposer sa politique. Mais pour les travailleurs et les classes moyennes de la Grèce, rien n’a été réglé. Bien au contraire. Pour eux, et pour l’avenir du pays, le bilan de l’intervention est une catastrophe aux conséquences sociales et économiques incalculables.
Le 25 janvier 2015, Alexis Tsipras a été porté au pouvoir sur la base du rejet populaire massif des plans d’austérité voulus par l’Union Européenne et accepté par le gouvernement de Georges Papandreou. Le jour même, il a déclaré : « Aujourd’hui, nous avons mis fin à l’austérité. » Mais ce n’était pas le cas. Derrière ce que l’on a pris l’habitude d’appeler l’austérité, il y a la réalité objective du capitalisme de notre temps, où les profits des capitalistes ne peuvent être assurés qu’en exerçant une pression permanente sur les conditions de travail et de vie des travailleurs. Tous les gouvernements qui acceptent le système capitaliste sont contraints, indépendamment de leurs intentions initiales, de mettre leur politique en conformité avec cette réalité.
L’évolution de Tsipras et son gouvernement est une expression de cette réalité. La rhétorique contre l’austérité ne valait pas grand-chose sans un programme d’action susceptible de briser le carcan capitaliste. Toute la politique de Syriza était fondée sur un compromis avec les intérêts des capitalistes en Grèce et dans les grandes puissances européennes, l’Allemagne et la France en tête. Tsipras voulait convaincre l’Union Européennede de cautionner une politique de réformes sociales diamétralement opposées aux intérêts capitalistes. Cette démarche illusoire n’a pas longtemps résisté à la réalité.
Les « négociations » entre le gouvernement grec et l’UE n’étaient que chantages et menaces de la part de Merkel. L’Allemagne est de loin la première puissance industrielle et financière de l’UE et la BCE est effectivement sous son contrôle. L’Allemagne exporte entre 35% et 40% de sa production. Aucune autre puissance mondiale n’est à ce niveau. La Chine en est à 30%. Le poids énorme des exportations allemandes fait que tout ce qui risque de les freiner menacerait les fondements mêmes de la puissance allemande. C’est pourquoi la politique européenne et la gestion de la BCE sont des enjeux sur lesquels l’Allemagne ne peut jamais céder. Les autres grandes puissances européennes ne voulaient pas céder non plus, mais ce n’est pas par hasard que Merkel était la véritable « patronne » en ce qui concernait la question grecque. C’est elle qui avait le dernier mot.
Dans ces conditions, le tour des capitales européennes effectué par Tsipras pour plaider sa cause ne pouvait pas aboutir. Le référendum grec sur l’acceptation ou non des exigences de l’UE a donné un « non » franc et massif (60%). Mais le lendemain du scrutin, Tsipras a capitulé aux exigences de Merkel et de la Troïka. Il a purgé les ministres récalcitrants et organisé de nouvelles élections. Syriza a perdu des dizaines de milliers d’adhérents et ce qu’il en restait s’est scindé en deux. La gauche a été désorganisée, désorientée et démoralisée. En même temps, le sentiment d’humiliation nationale a favorisé le développement du nationalisme et renforcé les organisations fascistes.
Sur les plans social et économique, les conséquences de la politique adoptée par Tsipras ont été ruineuses pour pratiquement tous les Grecs à l’exception des plus riches. Un vaste programme de privatisations portant sur 50 milliards d’euros a été lancé dans le but de renflouer les banques grecques, prises dans la nasse de leurs propres opérations spéculatives. La TVA et d’autres taxes ont été augmentées. Les dépenses publiques et sociales ont été sabrées. Le gouvernement s’est attaqué aux retraites et aux allocations. De nouvelles lois facilitent des licenciements et portent atteinte aux droits syndicaux, au droit de grève et aux conventions collectives. À cette terrible régression sociale s’ajoutait une humiliation nationale, la gestion de la politique budgétaire de la Grèce étant placée sous le contrôle de la bureaucratie européenne, qui disposait d’un arsenal de mesures punitives en cas du non-respect des « accords ».
Le volet initial du « sauvetage » portait sur un emprunt de 86 milliards d’euros. Cet argent – comme celui des volets suivants – a servi avant tout à remplir les coffres des créanciers capitalistes, dont notamment les banques allemandes et françaises. Il n’a apporté aucune amélioration de la situation des travailleurs et n’a nullement contribué à la reconstruction du pays. La Grèce n’est pas sortie de ses difficultés. Plus de 25% de l’économie nationale a été complètement détruite et sa dette a été massivement aggravée par les plans d’aide successifs. Aujourd’hui, la dette publique est l’équivalent de 180% du PIB. Selon l’UE, le remboursement des emprunts ne prendra fin qu’entre 2060 et 2070 et implique une politique d’austérité permanente. Les dépenses publiques et sociales, feront l’objet de nouvelles réductions, et la politique budgétaire de la Grèce restera sous la surveillance et le contrôle de la Commission Européenne.
L’effondrement économique a provoqué une émigration massive. Entre 2008 et 2016, 4% de la population – environ 400 000 personnes – ont quitté le pays. La raison principale de l’exode est le manque d’emplois. Le taux de chômage se situe aux alentours de 25%. Chez les jeunes, il dépasse 40%. La population vieillit. En 2008, le groupe d’âge des 20-39 ans représentait 29% de de population. Aujourd’hui, il ne représente plus que 24%.
Les conditions de vie des travailleurs grecs sont d’autant plus difficiles que le mouvement ouvrier et les partis de gauche ont été sérieusement ébranlés par le revirement de Tsipras et par l’impact déstabilisateur de l’effondrement économique. Ceci ne peut que compliquer l’organisation de la résistance à l’austérité et ouvrir la voie au développement des organisations nationalistes et fascistes. Syriza a viré vers la droite. Le départ massif d’adhérents a vidé ses structures locales. Sur sa gauche, la force la plus importante est le KKE. L’Unité Populaire, issue de la dislocation de Syriza en 2015-2016, n’a aucune représentation parlementaire. Elle n’a obtenu que 2,7% des voix aux dernières élections. Son échec est sans doute lié à la focalisation de ses dirigeants sur le retour à la drachme, l’ancienne monnaie nationale grecque. Le KKE a obtenu 5%, mais dispose de réserves militantes importantes. La dislocation de Syriza lui ouvre de nouvelles possibilités de développement. À la différence d’autres partis communistes en Europe, le KKE n’a jamais abandonné l’objectif du communisme. Mais ses objectifs révolutionnaires étaient obscurcis par une « théorie des étapes », héritée de l’époque stalinienne, qui insérait artificiellement une étape « démocratique, anti-impérialiste et anti-monopoliste » du capitalisme comme un préalable à la lutte pour le socialisme. Récemment, et très heureusement, le KKE a abandonné cette construction programmatique plutôt confuse. Le KKE pourrait devenir le point focal d’un futur mouvement de masse contre le capitalisme et la régression sociale qu’il impose.
L’expérience de Syriza au pouvoir témoigne de la faillite du réformisme, dont le programme se caractérise par un refus de toucher aux intérêts fondamentaux des capitalistes. À une époque où les intérêts des capitalistes exigent la destruction des conquêtes sociales, c’est une politique illusoire et inapplicable. La lutte pour la défense et l’extension des conquêtes sociales doit nécessairement être liée à un programme d’expropriation de la classe capitaliste, sous peine de se réduire à l’impuissance.
La politique révolutionnaire du communisme n’est pas désuète. Au contraire, elle pose la question centrale de notre époque et y apporte la réponse. Elle incarne la nécessité de mettre fin au pouvoir économique, social et politique de la classe capitaliste par l’appropriation sociale de tous les leviers essentiels de l’économie et de la réorganisation démocratique de l’État pour le mettre au service de la masse de la population.
Greg Oxley, PCF Paris 10