Carmaux, aujourd’hui ville anonyme. Passez le viaduc du Viaur, entre Rodez et Albi, par Tanus, allez à Carmaux dans le Tarn en Segalar. Dans ses rues, regardez, vous êtes au milieu de sa dizaine de milliers d’habitants. A part le vendredi, jour de marché, personne. Seuls quelques anciens, au Coin Dulac se remémorent de vieilles histoires.
Dire que là, il y a plus de 100 ans vibrait le cœur même de la classe ouvrière, jusque dans la voix de Jaurès, son élu, en français à l’Assemblée Nationale, en occitan pour les verriers et mineurs de Carmaux !
Carmaux seule richesse le charbon et los carbonièrs (mineurs de charbon) :
Carmaux est lié à son site entre Massif Central et Bassin Aquitain, au bord du Cérou. Depuis l’ère Primaire des millions de tonnes de charbon attendaient, pour enrichir la très catholique famille De Solage.
Elle exploitait des milliers d’anciens paysans, les nôtres, poussés à venir là, à cause de la crise agricole et vivre en descendant dans le trou pour suer du charbon et devenir carbonièrs (mineurs de charbon).
Ces mineurs restaient attachés à leur campagne, ils conservaient souvent une parcelle pour nourrir la famille, ces ouvriers – paysans guidés par l’exode rural – n’avaient plus que la fosse comme ambition, espérant que leurs enfants aussi pourraient être embauchés.
Carmaux la prolétaire :
Après la victoire de la grève des mineurs de mars 1892, du syndicat “rouge”, Carmaux est l’une des premières villes occitanes à se doter d’une mairie socialiste. Socialiste, pas à la sauce d’aujourd’hui, non, révolutionnaire, rouge, avec un maire authentiquement ouvrier, qui deviendra un ami fidèle et indéfectible de Jaurès, le carbonièr Jean – Baptiste Calvignac. Ce 1er mai là, de l’année 1892, en cette journée de lutte des travailleurs du monde, derrière le drapeau rouge, au cri de « Vive la Sociale », les verriers et mineurs de Carmaux allèrent voter pour élire un des leurs !
La réaction patronale dirigée par le marquis De Solage, qui pensait posséder la mairie comme il avait sa mine et ses écoles maristes, attaqua l’hérésie socialiste, ces sans-dieu qui pensaient d’abord à faire construire dans leur ville une école laïque… La hargne de ce grand notable ouvertement monarchiste, qui a décidé de persécuter ces mineurs qui lui échappent (mise à pied, licenciement…), ne fit qu’enrager ce monde ouvrier qui espérait mieux que des salaires dérisoires et voulait faire démocratiquement entendre sa voix et déjà dans sa mairie. C’était cela aussi la réalité de la lutte des classes.
La combativité des mineurs et verriers de Carmaux était animée par cette soif révolutionnaire que rien n’émousse, et dire que c’est en occitan que tout se passait, l’occitan pour ceux qui travaillaient, le français pour ceux qui les opprimaient.
Le socialisme à Carmaux vient de ces aristocrates de la classe ouvrière (éduqués, bien payés) que sont ces verriers venus travailler à Carmaux, à la verrerie Saint Clotilde. Ils étaient des exilés, licenciés du Centre de la France pour action politique, c’est qu’ils étaient à l’extrême gauche, guesdistes, là où ils passaient, ils ne faisaient pas que souffler des bouteilles, faisant ainsi payer bien cher aux patrons, leur savoir et leur expérience.
Ces ouvriers ne parlaient pas l’occitan, cependant bien intégrés, ce sont eux qui ont été les pionniers du socialisme à Carmaux, inspirateur des premiers cercles marxistes. Entre verriers et mineurs, au – delà des langues, c’était déjà la solidarité de classe… Internationale.
Carmaux et Jaurès :
Jaurès fut donc ce républicain assez modéré au départ, d’origine castraise qui se mit au service de la classe ouvrière et devint auprès des verriers et mineurs de Carmaux, socialiste. Il est à signaler que ce mouvement de balancier vers l’extrême gauche était assez rare pour les hommes politiques de l’époque, sans parler d’aujourd’hui !
On peut dire que Jaurès incarne Carmaux, pas seulement parce qu’il en fut son député dès 1893, mais il y a connu la condition ouvrière, les injustices, a défendu à sa manière la classe ouvrière. Il a su se faire aimer, lui l’intellectuel, dont se méfiaient les ouvriers. Mais, il parlait leur langue, celle du peuple, alors, il était devenu l’ami, qu’on appelait – : ” Nostre jan “.
C’est à Carmaux que Jaurès a gagné “ses galons de classe”, c’est ici que se dressa sa réputation internationale… Sans Carmaux, pas de Jaurès…
Carmaux : Tentative d’autogestion ouvrière:
En 1895, à Carmaux, en France et dans l’Europe entière, c’est la verrerie Sainte Clotilde qui fait l’actualité. Suite à la lutte acharnée entre les verriers et Résseguier, illustration du parfait patron réactionnaire, surgit une riposte ouvrière à la hauteur de l’exaspération. Il faut dire que Résseguier usa de tous les moyens pour briser l’action des verriers. Briser la grève et la solidarité ouvrière.
Il ferma l’usine, expulsa les meneurs, menaces, insultes, il fit même charger la cavalerie dans les rues de la ville, sabre au clair, contre les grévistes !
A Carmaux d’ailleurs, les verriers alliés aux mineurs entre les platanes bordant les rues, attachaient du fil de fer pour faire chuter les charges de cavalerie.
La ville était quadrillée par l’armée comme elle le sera aussi en 1948, pendant les grèves des mineurs, pour casser la grève et les revendications ouvrières.
Le patron de la verrerie Résseguier restait inflexible, appuyé par les forces de l’ordre, l’Etat bourgeois, le Préfet, par le marquis de Solages, le propriétaire des mines de Carmaux, par les cléricaux et toutes les forces de la Réaction alliées.
Pour seule réponse, le 25 octobre 1896, date historique, pour les travailleurs du monde, les verriers de Sainte Clotilde à Carmaux, créent grâce à la solidarité internationale, une verrerie ouvrière à Albi.
A l’appel de Jaurès et de tous les socialistes, fut construite la première usine, qui n’avait pas de bourgeois, pas d’actionnaires anonymes, comme propriétaires.
Ce refuge de l’ouvrier libre était par sa nature, verrerie ouvrière, propriété, certes, mais du prolétariat mondial !
Si par son fonctionnement, la verrerie ouvrière d’Albi, ne remit pas en cause l’ordre capitaliste, voyant ainsi ses limites, par sa seule existence au cœur de l’Occitanie, ces ouvriers révolutionnaires appuyés par Jaurès, avaient lancé à la face du monde, une mesure d’urgence, marque de combativité et d’imagination, une forme de « viure e decidir al país », vivre et décider au pays, une SCOP [Sociétés coopératives et participatives] avant l’heure.
Certes, depuis plusieurs années la verrerie ouvrière a été privatisée, mais elle fonctionne toujours. Les puits, les fosses sont fermés à Carmaux, de la Découverte, mine à ciel ouvert la plus grande d’Europe, plus de charbon ne sortira. Tout a été fermé, malgré les promesses de Mitterrand en 1980, qui avait lancé par un meeting sa campagne victorieuse à Carmaux, pour cette présidentielle du 10 mai 1981 !
Il ne reste à Carmaux que des traces pour l’archéologie industrielle et un projet pharaonique, celui de Quilès, qui s’est dit être une panacée à la faillite et désertification de la ville et qui s’est révélé être un désastre financier.
Cependant, à Carmaux nous n’avons pas perdu le sens général de ces luttes d’il y a plus de cent ans. Elles donnaient, à nos anciens, comme à nous, un sens à la vie. L’émancipation du monde du travail, à travers une conviction, c’est dans le socialisme qu’elle pourra se réaliser.
Laurent Gutierrez (PCF de Côte d’Or)