Depuis la publication du rapport Spinetta, au mois de février, le gouvernement, le MEDEF et les médias ont déclenché une campagne de propagande vicieuse contre les cheminots et l’ensemble des fonctionnaires. Les soi-disant privilèges des cheminots sont dénoncés dans le but d’exciter le ressentiment et la jalousie à leur encontre de la part du grand public. La puissante machinerie de la « communication » gouvernementale présente la SNCF comme un gouffre financier dont les déficits seraient comblés par les contribuables. Selon le gouvernement, sa réforme ferroviaire mettrait fin à ce gâchis insupportable.
En se focalisant sur le statut des cheminots, le gouvernement veut cacher le fait que sa politique est avant tout une attaque contre la SNCF en tant que service public. Les capitalistes, dont les intérêts façonnent la politique du gouvernement, considèrent que tout ce qui n’est pas une source de profit ne mérite pas d’exister. Cette logique sous-tend toutes les recommandations du rapport Spinetta. Chaque ligne, chaque gare, chaque activité de la SNCF, prises isolément, doivent être financièrement rentables, sous peine de disparaître. Ceci revient à programmer la dislocation progressive du réseau ferroviaire français, ouvrant la voie à la privatisation des morceaux les plus lucratifs. Le gouvernement préconise le passage du statut actuel de la SNCF, où l’État est propriétaire, à un statut où l’État est actionnaire. C’est la même démarche que celle qui a préparé les privatisations d’Air France et de France Télécom. Clairement, l’enjeu de ce conflit va bien au-delà du statut particulier des cheminots. Il s’agit avant tout de défendre la SNCF en tant que service public, dans l’intérêt non seulement des salariés du rail, mais aussi et surtout dans l’intérêt des usagers et de tous les citoyens.
Nous devons batailler, tout d’abord, pour démonter point par point la propagande gouvernementale et médiatique et expliquer les véritables enjeux de la politique du gouvernement. Édouard Philippe déclare que la dette de la SNCF est de 50 milliards d’euros, ce qui représente, dit-il, l’équivalent du budget annuel de l’Education Nationale. Mais il oublie de préciser que le déficit de la SNCF est le résultat direct du désengagement financier de l’État depuis de nombreuses années. En effet, au nom de la réduction de ses propres déficits, l’État a transféré la responsabilité des investissements à la SNCF. Par exemple, le développement du réseau des lignes à grande vitesse a été décidé par des gouvernements successifs sans qu’ils débloquent les financements nécessaires. L’État s’est déchargé sur la SNCF qui, n’ayant pas les ressources financières nécessaires, a dû emprunter massivement pour y faire face. Les seuls intérêts sur la dette de la SNCF lui coûtent 1,7 milliards d’euros par an. La dette de la SNCF – considérablement alourdie par les intérêts versés aux banques – lui a sciemment été imposée par les pouvoirs publics. La CGT a parfaitement raison quand elle déclare que la dette ferroviaire est en réalité une dette d’État.
Élisabeth Borne, ministre des Transports, martèle sans cesse le coût, exorbitant selon elle, de la SNCF. Elle ferait mieux de parler de tout ce que rapporte la SNCF à l’ensemble des citoyens, ce qui ne saurait être réduit à la rentabilité financière de l’entreprise en tant que telle. Le réseau ferroviaire est un facteur extrêmement important dans la vie économique et sociale du pays. Casser la SNCF, c’est porter un coup terrible à l’infrastructure productive du pays tout entier.
On ne peut pas s’attendre – sauf dans l’esprit tordu des extrémistes du « libéralisme » capitaliste – que le système ferroviaire soit en mesure de s’autofinancer. Au plus bas mot, l’entretien et le développement du réseau nécessiteraient entre 3 et 4 milliards d’euros d’investissements par an. Au-delà des recettes générées par l’activité ferroviaire, l’État devrait fournir les moyens financiers nécessaires. Il ne s’agit pas de la rentabilité d’une entreprise, mais du maintien et du développement d’un élément indispensable de l’ensemble des infrastructures économiques et sociales du pays. Présenter le problème en termes de la dette et de la rentabilité de la SNCF n’est qu’une vaste manipulation de l’opinion publique.
L’un des arguments mobilisés pour justifier la politique du gouvernement est « l’obligation » de l’ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence, en conformité avec la législation européenne. Indépendamment des lois européennes, nous devons lutter contre la mise en concurrence de la SNCF et pour le développement d’un service public des transports unique et intégré, dans l’intérêt de la population et de l’économie nationale. Mais il se trouve que la législation européenne n’oblige en rien l’ouverture à la concurrence. Les textes en vigueur autorisent les pouvoirs publics à attribuer des missions de service public aux opérateurs existants, sans passer par des appels d’offres. L’ouverture à la concurrence n’a rien à voir avec la législation européenne. C’est un choix délibéré du gouvernement.
La direction de la SNCF pousse dans le même sens. Depuis des années, elle applique des méthodes et des critères de gestion au détriment des missions de service public.
Concernant le statut des cheminots et, plus généralement, celui de l’ensemble des fonctionnaires, le gouvernement cherche à dresser les salariés du secteur privé contre les « nantis » du secteur public. Mais ce n’est pas parce que les salariés du secteur public auront moins que les autres auront plus. Bien au contraire.
Quel drôle de spectacle que de voir les milliardaires du MEDEF et leurs marionnettes au gouvernement railler contre les privilèges et les inégalités ! Et si on parlait de l’opulence indécente de ceux qui vivent de l’exploitation des autres, ou du « régime spécial » des ministres ? En excitant la jalousie de ceux qui n’ont pas de sécurité d’emploi ou de retraite dignes de ce nom contre ceux qui sont un peu moins mal lotis, les capitalistes veulent diviser les travailleurs pour mieux leur imposer un nivellement par le bas. Ils ne seront satisfaits que lorsque nous serons tous « à égalité » dans une condition proche de l’esclavage salarié, sans droits, sans garanties et complètement à la merci des employeurs. Si les cheminots et les fonctionnaires sont vaincus, l’ensemble des travailleurs en pâtira. Leur cause est la cause de tous.
Emmanuel Marcron s’inspire de l’exemple de Margaret Thatcher. Dans les années 1980, Thatcher a tout mis en œuvre pour stigmatiser et discréditer les mineurs britanniques, allant jusqu’à les désigner comme « ennemis de l’intérieur », avant de provoquer une confrontation ouverte quand elle sentait que la situation lui était favorable. De la même façon, le gouvernement Macron-Philippe, encouragé par la facilité relative avec laquelle il a pu imposer la réforme du Code du Travail, cherche à provoquer une épreuve de force avec les cheminots. Par des consultations fictives et le recours aux ordonnances, il veut passer en force.
La défaite des mineurs britanniques en 1985 a été suivie d’une longue période de démoralisation sociale qui a grandement facilité la politique de régression sociale de Thatcher. Selon le calcul du gouvernement Macron-Philippe, briser la résistance des cheminots et des fonctionnaires est le moyen le plus sûr de faciliter son offensive contre les droits et les conditions de vie de l’ensemble des salariés, des retraités, des chômeurs et des jeunes, au profit des capitalistes.
L’issue de cette lutte sera déterminée par la puissance de la mobilisation des travailleurs les plus directement concernés. Après la journée du 22 mars, seul un mouvement de grève de grande ampleur fera plier ce gouvernement. Macron ne cédera pas facilement. Toute sa crédibilité est en jeu.
La stratégie de grèves deux jours sur cinq pourrait s’avérer efficace, mais si ce n’est pas le cas, il faudra durcir et généraliser le mouvement. Les salariés de tous les secteurs de l’économie sont concernés. En agissant ensemble, ils pourront mettre le gouvernement en échec, sauvegarder les services publics et renforcer la position de tous les travailleurs face à la régression sociale.
La lutte contre l’austérité et pour de nouvelles avancées sociales et démocratiques est aussi une lutte politique. Elle soulève la nécessité de briser le pouvoir économique des capitalistes en mettant fin à la propriété capitaliste des moyens de production.
C’est pourquoi nous devrions réintégrer dans notre programme la nationalisation – ou « socialisation » si l’on préfère – et la gestion démocratique des grandes entreprises industrielles et commerciales, ainsi que du secteur financier, ouvrant la perspective d’une société libérée de l’emprise des capitalistes.
Greg Oxley, PCF Paris 10