S’il est un élément pour lequel le changement de président à la tête des Etats-Unis est particulièrement tangible, c’est bien dans le domaine de la politique étrangère.
On pouvait s’attendre à ce que l’arrivée de Donald Trump au pouvoir marque une rupture avec son prédécesseur. Effectivement, le ton a radicalement changé dans les dossiers les plus emblématiques : Corée du Nord, Iran, conflit israélo-palestinien. Le moins que l’on puisse dire est que Trump a une conception simpliste, puérile même, de la notion de rapport de force. Mais si l’on prend le temps d’analyser de plus près son action, loin de l’énergumène imprévisible que décrivent les médias, on peut déceler une certaine cohérence stratégique.
Si l’on essayait de théoriser les pratiques diplomatiques de Trump, on pourrait dire qu’il est un adepte de la stratégie de la tension. Ainsi, il prend toujours l’initiative pour mettre sous pression ses interlocuteurs. De ce point de vue, « tweeter » est une arme parfaitement adaptée, permettant de relayer rapidement, publiquement et de manière succincte la parole présidentielle. Remise en cause de l’attitude du Pakistan ou de l’Autorité Palestinienne, dénonciation du régime iranien et célébration des manifestations qui s’opposent à lui… Il enchaine les déclarations fracassantes là où prudence et mesure sont d’ordinaire la règle.
Sa pratique diplomatique s’apparente à ce que le théoricien militaire prussien Clausewitz appelait la « montée aux extrêmes » : mettre son adversaire sous pression et toujours surenchérir lorsqu’il répond. Sa gestion du dossier nord-coréen en est la meilleure illustration, Kim Jong Un étant lui aussi adepte de cette stratégie. Les conséquences seront terribles si ce processus n’est pas enrayé. Il faut donc espérer que les autres parties prenantes dans ce conflit (Chine, Corée du Sud, Japon) reprennent la main pour tempérer les intentions belliqueuses des deux dirigeants.
Si la manière d’agir est atypique, ce qui conduit la plupart des observateurs à en conclure à une certaine improvisation, il faut néanmoins l’analyser à la lumière des intérêts stratégiques américains dans les régions concernées. Ces dernières années, la situation au Moyen-Orient a connu une évolution radicale. Les conflits qui se succèdent (Irak, Syrie, Yémen…) attisent les tensions entre les différents acteurs de la région et ont considérablement modifié leurs rapports.
Ainsi, deux alliés historiques des Etats-Unis semblent se détacher de leur tutelle pour adopter leur propre stratégie autonome.
En Turquie, où le président Erdogan a considérablement renforcé ses pouvoirs sur le plan intérieur en purgeant l’armée et l’administration des éléments qui lui étaient hostiles. De même que Poutine en Russie, Erdogan rêve de rendre à son pays le rayonnement dont il disposait du temps de l’empire ottoman. Les événements dans la région, et surtout l’intensification du conflit en Syrie, ont peu à peu éloigné ses intérêts stratégiques de ceux de l’impérialise américain, notamment autour de la question des Kurdes. D’où le rôle parfois ambigu qu’elle joue par rapport aux milices fondamentalistes et son rapprochement, sur certains points, avec la Russie.
L’Arabie Saoudite veut désormais se poser en acteur dominant dans la région, ce qui lui impose des tâches immédiates. Tout d’abord, sur le plan intérieur, il s’agit de sortir de la dépendance aux hydrocarbures par une tentative d’ouverture et de diversification de l’économie engagée par le prince héritier Mohammed Ben Salmane. Sur le plan extérieur, elle doit œuvrer pour restreindre l’influence grandissante de l’Iran. Elle intervient donc militairement au Yémen, pour écarter le danger d’une prise de pouvoir par les milices chiites Houtis, indirectement en Syrie par l’intermédiaire de milices fondamentalistes, mais également diplomatiquement à l’encontre du Qatar, avec le blocus économique engagé contre l’émirat.
Confronté à cette situation qui rend plus délicate la position des États-Unis dans la région, Trump s’appuie sur son allié le plus fidèle, Israël. Irrité par les accords passés par Obama avec l’Iran, le gouvernement israélien a accueilli avec enthousiasme l’arrivée au pouvoir de Trump. Il partage effectivement les mêmes objectifs que l’Etat hébreu et le même gout de l’utilisation de la force. Il n’est donc pas étonnant de le voir prendre une position si partiale dans le conflit israélo-palestinien. Beaucoup aujourd’hui l’accusent d’enterrer le processus de paix, comme si celui-ci avait progressé ces dernières années. En réalité, il est toujours resté au point mort, et le gouvernement américain jusqu’ici se satisfaisait de conserver cette situation de statu quo afin de contenter tous ses alliés dans la région. Finalement l’action de Trump a le mérite de clarifier les choses sans réellement les bouleverser. Elle pousse également l’ensemble des pays et institutions internationales à se positionner sur le sujet.
Si les prises de position de Trump peuvent paraitre irréfléchies, voire stupides, elles n’en restent pas moins dans le cadre des intérêts stratégiques de l’impérialisme américain. S’il joue parfois un rôle clairement néfaste en prenant le risque d’envenimer les choses et d’en arriver à des extrémités, sa vision manichéenne peut néanmoins permettre de clarifier certaines situations et de sortir de l’hypocrisie des gouvernements qui l’ont précédé.
Jules B. PCF Paris.