L’article suivant nous a été communiqué par des militants de la CGT impliqués dans la lutte pour empêcher le changement de statut de l’École du Breuil. Le texte explique les implications néfastes de ce changement pour les salariés et pour le grand public et interpelle les élus PCF de la Ville de Paris. L’École du Breuil est un cas parmi bien d’autres du démantèlement progressif des services publics parisiens au profit du secteur privé et au détriment des salariés et des usagers.
Sous prétexte de donner plus de « souplesse et d’autonomie à l’École du Breuil, la mairie de Paris s’apprête à se débarrasser de l’un des fleurons français en matière d’enseignement de l’art des jardins. Cette école fondée en 1867 par un arrêté du Préfet Haussmann, a d’abord eu pour mission de pourvoir Paris et ses environs en jardiniers, au moment de la création des Promenades publiques par Alphand à qui l’on doit notamment la création très audacieuse des parcs des Buttes Chaumont et de Montsouris. Aujourd’hui l’École du Breuil continue d’être à la pointe de l’innovation en matière d’art des jardins mais la ville a décidé de se désinvestir de sa mission. Malgré la résistance d’une majorité de ses agents, la maire de Paris veut la transformer en établissement public dès le 1er janvier 2019. Ce changement de statut permettrait soi-disant à l’école de mieux rayonner. Mais pour beaucoup, il s’agit plutôt pour la ville de faire des économies en s’attaquant au statut des personnels de l’Ecole qui sont en majorité des fonctionnaires de la ville de Paris, puisque le nouvel EP pourra plus facilement recruter des non-titulaires ainsi que renégocier le temps de travail et les avantages sociaux.
L’École du Breuil est un établissement d’enseignement horticole de la Ville de Paris sous contrat avec le Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Sa vocation est multiple : il dispense une formation scolaire et en apprentissage, de la formation pour adultes et notamment des formations courtes professionnelles, des cours pour amateurs.
C’est la dernière « grande école » de la ville de Paris administrée en régie directe par une direction technique, la DEVE (Direction des Espaces Verts et de l’Environnement). Ces « sœurs » étaient Boulle, Estienne, Duperré, l’école de chimie, l’EIVP. Toutes aujourd’hui transformées en établissement public à compter de 2005 sous la gauche plurielle. L’École du Breuil fête en 2017 ses 150 ans d’existence. Elle a formé depuis sa création plus de 7000 jardiniers, techniciens, paysagistes, entrepreneurs et professionnels de l’horticulture qui lui ont donné ses lettres de noblesse. Située dans le bois de Vincennes, sur un domaine de 22 hectares, elle est un lieu d’études inédit, inégalé en France pour une école d’enseignement professionnel par le calme de son site, ses collections végétales reconnues. La majeure partie de ses jardins sont ouverts au public.
L’École du Breuil forme, chaque année, environ 300 jeunes aux métiers des espaces verts (jardiniers et paysagistes) ainsi qu’une cinquantaine d’adultes en reconversion, du brevet professionnel à la licence et initie des jardiniers amateurs au savoir-faire professionnel, le samedi (plusieurs centaines de participants) … L’enseignement est dispensé à la fois par des enseignants et des personnels jardiniers de la ville de Paris. Enfin, elle assure aussi la formation continue des 4000 agents de la Direction.
Pourquoi changer de statut ?
Depuis plus de 7 ans, suite à un audit de l’inspection des services, les directeurs ont pour mission la transformation en Établissement Public de l’école. Il leur fut même adjoint deux chefs de projet qui ont dû capituler face au manque de soutien de la municipalité et à la résistance de certaines catégories de personnels. Sans compter le jeu trouble de « cadres opportunistes ou malfaisants » qui voyaient sans doute l’occasion de faire briller leurs galons et espérer une meilleure position hiérarchique dans la nouvelle entité. Cette situation a amené un membre du CHSCT de la DEVE à la rédaction d’un droit d’alerte face notamment à l’état dépressif, de souffrance et présomption de harcèlement des personnels. Tous ces « événements » ont marqué les agents auxquels il faut ajouter des départs « naturels » ou forcés – plus de 15 depuis 2 ans – dont 3 directeurs en 5 ans, un secrétaire général ainsi qu’un directeur des études et son adjoint tout récemment, qui entrainent perte de mémoire, besoins d’appropriation des nouveaux postes et de nouvelles tensions dans les relations de travail.
En 2016, suite à l’arrivée d’une nouvelle directrice à la fois chargée de mission, la municipalité met les bouchées doubles. Elle annonce clairement sa décision de passage en évolution du statut de l’École du Breuil en vue de son autonomisation qui prendra la forme d’un établissement public en régie personnalisée dotée d’une personnalité morale et de l’autonomie financière lors d’un comité technique paritaire. En pleine période d’austérité budgétaire municipale, et alors que de nombreux postes sont en souffrance à l’école la directrice se voit dotée d’une équipe pléthorique au regard de la taille de l’établissement : six personnes dédiées entièrement à la mise en œuvre du changement de statut. Sous couvert du « dialogue social » des groupes de travail sont créés avec une participation obligatoire des agents.
Des séminaires de restitutions sont mis en place dans une atmosphère de défiance des personnels, au cours desquels le langage entrepreneurial en vogue dans le privé est de rigueur. On y parle à qui mieux mieux d’ateliers itératifs, de nouvelle gouvernance des personnels et de benchmarking pour le recrutement des élèves. Un intervenant, partenaire invité, encourage l’école à se bouger enfin pour se sortir de sa soi-disant léthargie et prévient qu’à l’avenir il ne saurait plus être question de contrat d’objectifs et de moyens, mais de contrat de performance comme dans le privé et de conclure son intervention par un « En marche » révélateur.
Le personnel est sommé d’applaudir à l’avenir radieux qui lui est promis. Mais ce dernier est inquiet contrairement à ce qu’affirme l’élue de tutelle et la direction dans un document diffusé lors du comité technique de la DEVE en janvier 2017 ; selon eux « le projet serait largement porté par les personnels de l’école eux-mêmes qui aspirent à un mode de fonctionnement plus souple et autonome et qu’ils expriment régulièrement ». La CGT leur avait alors demandé si un référendum avait été fait auprès du personnel lui permettant cette affirmation, ce qui n’avait pas été fait, bien sûr…
C’est vrai l’école et son personnel ne demandent que ça, ne plus avoir à se battre pour un rouleau de scotch, une ramette de papier ou une bêche ! Mais il ne demande absolument pas la transformation de l’école en EPL. Pour en avoir confirmation, et à la demande d’une partie du personnel présente à sa réunion d’information, la CGT a donc organisé un référendum sur site le 27 février 2017. Le résultat du référendum est sans appel : La participation atteint environ 50 %. C’est une participation correcte compte tenu des tentatives de la direction d’entraver sa tenue dans de bonnes conditions (devant le refus de la direction de prêter une salle, il s’est déroulé sous une pluie glaciale à l’entrée de la cantine). Sur 47 votants, 38 se sont déclarés contre la transformation en EPL- 3 sont pour- 6 ne savent pas ou estiment ne pas être assez informés. Au vu de ces résultats, la Mairie de Paris ne peut plus dire que « ce projet est largement porté par les personnels de l’école» !
Aujourd’hui les personnels administratifs, techniques et enseignants n’ont toujours, malgré les demandes réitérées des syndicats, aucune information sur le fonctionnement d’un EP, leur modalité de transfert vers l’EP (garantie de conserver leur statut ville, rémunérations, prestations sociales, temps et cycles de travail notamment. Il est envisagé de changer le statut des enseignants en un corps propre à l’EPL. La gouvernance serait plus proche du personnel, proclame la direction et les cadres de la mairie impliqués dans ce projet. Devant ces incertitudes, des agents pourtant récemment arrivés ont d’ores et déjà décidé de quitter l’école.
Ce nouveau « statut » n’apportera pas une réelle amélioration de la situation de l’école ; aucun engagement de la mairie pour investir dans une rénovation de bâtiments datant de 1930 et 1950 modernisant l’accueil, l’enseignement, l’administration de l’école, le bien-être des personnels et mettre à disposition des apprenants des locaux dignes d’un enseignement du 21e siècle.
Pourtant, un projet de 2012 existe, il suffit de le remettre en forme en parallèle avec les nouvelles formations et utilisations envisagées (location de salle pour des réceptions, etc.) en s’appuyant des normes écologiques de constructions (HQE et/ou à un label Bâtiment Biosourcé). Un bâtiment est transformable et de nombreux locaux sont sous-exploités et réaménageables à un coût raisonnable (projet de 2012) ; seul un manque de volonté émancipatrice des hauts cadres impliqués dans ce « projet de changement » interdit la réflexion hors de la mission qui leur est confiée, coincés par le rigorisme libéral de la mairie (budget contraint) et leur volonté de ne pas déplaire.
Changement à budget constant, non reprise des personnels actuellement en emplois précaires (10 agents en contrat unique d’insertion, 7 postes de vacation de surveillance du jardin) qui remplissent de nombreuses tâches administratives ou techniques, pas d’évolution du nombre de postes budgétaires d’enseignants alors que l’on parle de nouvelles formations, de contrat objectifs et de moyens qui n’est toujours qu’un contrat objectifs mais jamais de moyens puisque c’est la mairie qui subventionne l’établissement (faire mieux avec moins). Les contrats d’objectifs et de moyens ne peuvent pas être considérés comme des outils efficaces. Dans les faits et malgré leur intitulé, ces contrats sont d’abord des contrats d’objectifs qui selon une logique toujours plus libérale et entrepreneuriale vont même devenir des contrats de performance.
Pour la maire de Paris, les projections financières sur les moyens que souhaiterait obtenir le futur Établissement Public sont impossibles à définir en raison du principe de l’annualité budgétaire. La Ville ne s’engagera pas juridiquement sur un financement à moyen terme. Le montant de subventions accordées à l’Établissement Public est renégocié chaque année sans engagement précis pour l’année. Alors qu’une rénovation/restructuration sérieuse des bâtiments ne peut s’entreprendre que sur plusieurs années. De plus, la Ville reste propriétaire des bâtiments, c’est elle seule qui peut assurer la rénovation pas l’Établissement Public.
De fait, ce statut fera rentrer l’École dans la marchandisation du savoir, le marché concurrentiel de la formation professionnelle et l’appel à des mécènes et des « sponsors » pour combler les manques d’argent que les subventions en baisse vont entraîner. Il y a l’augmentation programmée des frais d’inscription (40€ aujourd’hui) qui ne peuvent que pénaliser les familles et réduire les recrutements.
A terme, l’objectif de la mairie c’est la « régionalisation/métropolisation de la formation » en permettant d’accélérer la mise en place de la mixité des publics et des parcours (notion évoquée dans les documents présentés par la direction de l’École), véritable tremplin vers la casse du statut des personnels, et la casse du caractère national de cette voie de l’Éducation. Et une véritable libéralisation de la formation professionnelle, sous l’emprise du patronat, avec ses logiques de rentabilité immédiate, ou l’accentuation de la régionalisation et ses logiques d’employabilité sur un territoire, ne seront pas à même de former les salariés de demain.
Ce nouveau statut de l’École est dans la droite ligne de la réforme gouvernementale prônée par Macron. Elle vise à adapter les orientations, les contenus, la sélection, de l’école primaire, au collège, à l’université, en passant par la formation professionnelle aux besoins du capitalisme aujourd’hui, dans la recherche permanente du profit maximum, pour se placer dans la concurrence impérialiste mondiale. Il veut faire de l’Éducation un outil de formatage des élèves, de fabrication des diplômés dont le patronat capitaliste a besoin.
Mais l’éducation ne devrait pas être un outil de tri social, d’accroissement des inégalités scolaires et sociales qui limite encore plus les possibilités d’émancipation des jeunes issus des classes populaires.
Responsabilité des élus du PCF
Pour l’instant, les élus communistes au conseil municipal de Paris n’ont pas réagi à ce projet régressif. Ils ont pourtant été alertés lors d’une rencontre avec le secrétaire général de l’union syndicale CGT de la ville de Paris en avril 2017. Nous avons également alerté Danièle Simonnet, de France Insoumise. Est-ce que les élus du PCF pensent que cette réforme est « anodine » ? Qu’un Établissement Public, c’est la même chose qu’un service public ? Tout lecteur attentif des écrits du PCF ne peut le croire. Ils ne peuvent oublier que l’enseignement professionnel se situe au cœur de la transformation sociale. Les sociaux-libéraux de droite ou de gauche l’ont très bien compris. Ils s’évertuent à le démanteler méthodiquement. Car l’enjeu est de taille : il se joue la reconnaissance des qualifications dans les conventions collectives et le droit du travail. Le maintien de diplômes nationaux de qualité sert de bouclier social pour les futurs salariés alors que les premiers décrets des ordonnances détruisant le Code du Travail vont paraître prochainement. L’objectif est cohérent, rendre les futurs salariés précaires, flexibles, isolés.
Les élus PCF de Paris ne doivent pas rester englués dans la « majorité plurielle ». Ils doivent soutenir les personnels des services publics parisiens face aux coups de boutoir de Madame Hidalgo. Malheureusement, ils ont voté le budget 2017 qui continue de mettre à mal le service public parisien (restructurations des directions, plages horaires de travail allongées, redéploiements des emplois notamment) qui condamne les personnels à des conditions de travail de plus en plus difficiles. Inadmissible également, l’annonce de la suppression de 3,7 millions d’euros à l’AGOSPAP, les œuvres sociales de la ville qui permettent aux personnels et à leurs enfants de partir en vacances à moindre coût.
Face au défi du réchauffement climatique, le « besoin de vert » dans les villes et demain dans les métropoles, des moyens existent en France et par le budget de la ville de Paris pour préparer la jeunesse à des métiers d’avenir, de créer des emplois et d’impulser un développement économique et social au service du peuple.
Ces moyens sont aujourd’hui confisqués par les « premiers de cordée» qui s’accaparent les richesses produites par les travailleurs. Construire un autre avenir est aujourd’hui primordial. Il faut arracher le pouvoir politique, économique et financier aux grands groupes capitalistes pour construire un avenir à la jeunesse. La lutte doit davantage se développer face aux multiples attaques gouvernementales (Code du travail, sécurité sociale, réforme territoriale notamment).
R.G. CGT Paris.