La grève générale massive en Guyane nous montre la puissance de la classe ouvrière quand elle décide d’agir et d’utiliser le seul véritable pouvoir qu’elle possède, celui de porter directement atteinte aux intérêts capitalistes en paralysant l’économie. C’est ce même pouvoir que les salariés de la métropole devront exercer s’ils veulent vraiment influer sur le cours des événements. Tant que leur passivité laissera la direction du pays entre les mains des capitalistes et leurs agents politiques, l’ordre social sera mené sans eux et contre eux.
Cette vérité est particulièrement évidente à notre époque, où les intérêts de la classe dirigeante exigent la destruction de toutes les conquêtes sociales du passé. Aucune de ces conquêtes n’a été obtenue facilement. Elles sont le fruit de luttes, âpres et courageuses, de la part des générations précédentes. Aujourd’hui, elles sont devenues incompatibles avec le système capitaliste et doivent être détruites. Sur ce point, tous les représentants du capitalisme, qu’ils soient politiciens, magnats médiatiques, économistes et autres « experts » et quelles que soient les nuances qui les distinguent par ailleurs, sont d’accord. On le voit bien dans la campagne présidentielle actuelle. Tous les candidats des partis capitalistes rivalisent en propositions pour augmenter le pouvoir et les profits des capitalistes au détriment des travailleurs.
Le programme de François Fillon, candidat de la principale formation politique de la classe dirigeante, est particulièrement instructif. Aux capitalistes, il promet des réductions d’impôts et de « charges » de 50 milliards d’euros, et s’engage à réduire les dépenses publiques de 100 milliards d’euros en 5 ans. Ce programme fiscal se traduira nécessairement par une attaque majeure contre l’Education Nationale, la Sécurité Sociale et la santé publique, les retraites et les allocations sociales, en plus de la suppression de 500 000 emplois dans la Fonction Publique. L’augmentation de la TVA permet que l’allègement de la fiscalité des plus riches soit payé par l’ensemble des consommateurs. Pour les travailleurs, une augmentation de la TVA signifie, en substance, une augmentation des prix et une réduction correspondante de leur pouvoir d’achat. En même temps, le programme de Fillon vide le Code du Travail de sa substance, supprime les 35 heures et laisse la « liberté » aux chefs d’entreprise de fixer la durée hebdomadaire du travail.
Fillon n’a pas qu’un programme. Il a aussi une stratégie. Il a déclaré que les éléments les plus importants de son programme seront appliqués dans l’espace de trois mois. Dans un discours prononcé devant la Fondation Concorde le 10 mars 2016, il a expliqué pourquoi et par quels moyens il allait procéder de la sorte. Son intervention à cette occasion a été filmée. Elle mérite d’être entendue par tous les travailleurs de la France métropolitaine et des DOM-TOM. En voici la transcription :
« Moi, ce que je veux, c’est que le 1er juillet, les deux ou trois ministres chargés des réformes – l’économie et les finances, le travail pour l’essentiel – arrivent avec des textes prêts, et, dans une forme de blitzkrieg, fassent passer devant le parlement, en utilisant d’ailleurs tous les moyens que donne la Constitution de la Ve République – les ordonnances, les votes bloqués, le 49-3, tout ce qui est nécessaire – fassent passer en l’espace de deux mois sans interruption estivale les six ou sept réformes fondamentales qui vont changer le climat de l’économie et le climat du travail dans notre pays. C’est évidemment pour moi l’abrogation des 35 heures et la suppression de la durée légale du travail, et le renvoi à la négociation dans les entreprises sans contrainte, c’est le nouveau Code du Travail, c’est la réforme de la fiscalité du capital, fondamentale pour relancer l’activité économique dans notre pays, c’est la réforme de l’assurance chômage, c’est la réforme de l’apprentissage, et c’est les premières mesures d’économie sur le budget de l’Etat et sur le fonctionnement de l’Etat.
Donc, pour prolonger cette tension, moi je pense qu’il faut organiser un référendum en septembre qui permet de maintenir l’état de tension électorale dans le pays, et donc de rendre très, très difficile la contestation sociale pendant cette période, autour de deux ou trois idées fortes qui à mon sens ne font pas courir trop de risque au Président de la République élu et à sa majorité. Ce référendum pourrait tourner d’abord autour d’une question fondamentale : est-ce que vous êtes d’accord pour qu’on inscrive dans la Constitution le principe d’égalité des régimes sociaux entre le public et le privé ? Inscrit dans la Constitution de la République française, ça rendrait ensuite absolument obligatoire et nécessaire la convergence des régimes sociaux. Deuxième question : est-ce que vous êtes d’accord pour fusionner les départements et les régions ? Troisième question : est-ce que vous êtes d’accord pour supprimer un certain nombre de parlementaires ? Diminution du nombre de parlementaires. Ça peut paraître un peu démagogique.Ca peut paraître comme la cerise sur le gâteau ou la crème chantilly pour être certain que le référendum soit voté, mais je pense qu’en plus ça peut conduire à la modernisation du fonctionnement du parlement. Voila, si on fait tout ça, on créé un choc qui, à mon sens, rend très, très, très difficile la réaction sociale que vous craignez. »
À nous, Fillon se présente en ennemi dans cette élection. Mais force est lui reconnaitre quelques mérites. Premièrement, il est parfaitement conscient des intérêts de classe qu’il défend et ils sait qu’ils ne peuvent être satisfaits qu’au détriment de la classe adverse. Il comprend qu’il rencontrera une certaine résistance et a mis au point une stratégie pour la briser. Mais de notre côté, au niveau national, nous n’avons ni le programme, ni la stratégie, ni les dirigeants qu’il faudrait pour infliger une défaite à la classe capitaliste. Certaines directions syndicales et politiques – comme celles du PS ou de la CFDT – sont devenues des agents conscients du capitalisme, alors que d’autres – comme le PCF et la CGT – refusent la régression sociale mais n’osent pas pour autant toucher au système qui en est responsable. Dans ces conditions, la lutte des classes est menée de façon bien inégale, à l’avantage de nos ennemis.
Fillon rencontre quelques difficultés en ce moment, avec les soupçons de corruption qui pèsent sur lui. Il est possible que ces difficultés le privent d’une victoire qui s’annonçait au départ comme gagnée d’avance. Et si jamais Emmanuel Macron, profitant des tracasseries judiciaires de Fillon, devait emporter la présidentielle, il agirait sensiblement de la même façon. Son programme reprend pratiquement tous les points essentiels de celui de Fillon. Lui aussi veut en finir avec les 35 heures. Lui aussi veut libérer les capitalistes des contraintes fiscales et légales dont ils se plaignent. Macron, s’il est élu, défendrait les mêmes intérêts – ceux des banques et des capitalistes en général – qu’il a défendus en tant que ministre dans le gouvernement Hollande. Il comprend, lui aussi, qu’il faudra aller vite et « créer un choc » pour minimiser le risque de contestation.
Ainsi, Fillon et Macron ne se placent pas dans une posture défensive. Ils s’apprêtent au contraire à mener une lutte offensive calculée pour briser la capacité de résistance du mouvement ouvrier. Face à la menace qu’ils représentent et face au poison nationaliste et raciste que répand le Front National, le mouvement ouvrier n’aura d’autre choix que d’engager une lutte de grande envergure contre les capitalistes. C’est une lutte qui se déroulera sur plusieurs plans, y compris électoral. Et c’est sur ce dernier plan que se présente le défi le plus immédiat. Concrètement, dans cette élection présidentielle, la seule candidature susceptible de galvaniser la population contre les forces réactionnaires est celle de Jean-Luc Mélenchon. Malgré les réserves et les critiques que nous avons formulées à propos de son programme, notamment en ce qui concerne l’absence de mesures décisives pour briser le pouvoir des capitalistes, il nous semble que ce programme – que Mélenchon porte et explique avec énergie et éloquence – constitue une défense des intérêts fondamentaux des travailleurs et de tous ceux qui subissent les conséquences néfastes du système capitaliste. Il reprend à son compte l’essentiel des revendications des syndicats combatifs et du PCF. La Riposte appelle à voter massivement pour Mélenchon. Les sondages indiquent qu’il est en progression dans les intentions de vote. S’il gagne encore quelques points, il n’est pas impossible qu’il devance les autres candidats et se retrouve au second tour face à Le Pen. Par contre, si Macron ou Fillon maintiennent l’avance sur Mélenchon que les sondages leur prêtent, l’élection présidentielle sera perdue pour notre camp dès la fin du premier tour.
Selon les sondages, Jean-Luc Mélenchon devancerait désormais la candidature de Benoît Hamon. Mélenchon était critiqué, notamment par certains dirigeants du PCF, parce qu’il n’a pas accepté de se retirer au profit de Hamon. Mais Mélenchon avait raison parce que le projet de Hamon ne constitue pas une rupture nette avec la politique de François Hollande. Les quelques retouches « radicales » que Hamon s’efforce d’apporter à la politique du PS ont fait que la droite du parti – largement majoritaire parmi les élus et dans ses instances dirigeantes – souhaite sa défaite et, dans bien des cas, travaillent activement pour s’en assurer, en attendant de pouvoir le mettre à l’écart par la suite.
La crise sociale nourrit la progression du Front National. C’est une formation qui défend le capitalisme mais qui profite de l’échec de ce même système. Détourner la colère populaire dans les canaux du nationalisme et du racisme est d’autant plus facile que le mouvement ouvrier, cantonné par le réformisme dans une posture purement défensive, ne présente pas d’alternative au capitalisme. Le nationalisme, le protectionnisme, la « préférence nationale » se présentent comme une alternative à la pénurie sociale et au libre-échange dévastateur. On aura beau expliquer que la vraie cause du désastre social est le système capitaliste, si notre programme n’indique pas comment en finir avec ce système, le problème reste le même. Par conséquent, même si le Front National ne gagne pas l’élection présidentielle cette fois-ci, sa progression ne s’arrêtera pas pour autant.
Une victoire pour la droite à l’élection présidentielle serait le signal d’une politique de régression sociale beaucoup plus agressive et draconienne que ce que nous avons connu jusqu’à présent. Le programme de Fillon, comme celui de Macron, est en réalité le programme des capitalistes, des places financières, des exploiteurs de toutes sortes. En tout état de cause, ce sont les capitalistes qui gouvernent le pays, derrière la façade de la machinerie gouvernementale. Et même si Mélenchon devait gagner la présidentielle, il ne pourrait pas appliquer son programme de réformes sociales sans une mobilisation massive des travailleurs pour empêcher le sabotage patronal. Seule la suppression de la propriété capitaliste des banques, de l’industrie et du commerce permettra d’en finir avec le chômage de masse et la régression sociale. Ce sont les travailleurs qui créent les richesses. Ils assurent toutes les fonctions essentielles de l’économie et de la société. Ils devraient donc diriger la société et l’organiser sur de nouvelles bases, sans les capitalistes. Au-delà des élections, la lutte contre le capitalisme devra aller de pair avec la lutte pour le réarmement politique du mouvement ouvrier. Nous avons besoin d’un programme révolutionnaire et communiste.
Greg Oxley, PCF Paris