Le 2 février 2017, Théo, un jeune habitant d’Aulnay-sous-Bois, a été victime d’agression et de viol par 4 policiers à Aulnay-Sous-Bois. Lorsque l’IGPN, la police des polices, utilise le terme « d’accident », il faut probablement comprendre par ce terme que ce n’est à ses yeux qu’une « bavure » qui ne n’aurait pas dû être médiatisée. Les syndicats de policiers, n’ayant pas peur du ridicule, crient à la « présomption d’innocence ». Mais personne ne peut contester ni la gravité des blessures ni le moyen utilisé pour les infliger – une matraque télescopique de la police. Pour expliquer « l’accident », on évoque la réciprocité des insultes et des coups : le loup se plaint de la résistance de la brebis.
En requalifiant le viol en « violences volontaires », la justice se déshonore publiquement, une fois de plus. Au-delà de Théo, c’est un recul pour toutes les victimes de viols, qu’elles soient hommes ou femmes. Le violé aura beau dénoncer son absence de consentement, la justice s’attardera à chercher l’intentionnalité du violeur. De quoi dissuader les dépôts de plaintes, alors qu’à peine une victime sur neuf ose franchir le pas.
En parallèle, une autre affaire démontre, si besoin était, que la justice fonctionne à plusieurs vitesses. Le 6 février, juste quelques jours après le viol de Théo et alors que la cité était en proie à des échauffourées contre la police, des jeunes du quartier ont été arrêtés et condamnés trois jours plus tard à des peines allant jusqu’à six mois de prison ferme. Les faits ? Aucun, à vrai dire. Ils sont parmi les premiers à être condamnés pour un nouveau délit dans l’arsenal judiciaire que l’on appelle « délit d’embuscade ». Il permet de condamner des individus suspectés de s’être réunis en vue de commettre des violences, mais qui n’ont encore rien fait. À titre de comparaison, le policier qui a tué un homme dans un foyer de jeunes travailleurs marseillais en 2010 n’a écopé que de 18 mois avec sursis, après 6 ans de procédures.
Plus généralement, la violence extrême dont Théo a été victime est le reflet d’une violence institutionnelle quotidienne qui écrase les habitants des quartiers dits « sensibles ». Pour contenir la délinquance dans les banlieues, on utilise des méthodes issues d’une politique coloniale de maintien de l’ordre. Les provocations sont quotidiennes, les contrôles d’identités, au faciès, sont utilisés pour humilier et soumettre. La tension est permanente. Combien de jeunes humiliés, de jeunes blessés pour un Zyed, pour un Bouna, pour un Adama ? Ces « bavures » qui défraient régulièrement la chronique ne sont que la partie visible d’une répression routinière, intégrée par la population de ces quartiers, écœurée par l’impunité policière. En plus du racisme, le viol de Théo témoigne de l’ambiance imprégnée d’homophobie dans le milieu policier.
Ce dont les tenants du pouvoir ne parlent pratiquement jamais, c’est que la violence qui peut régner dans ces quartiers est le fruit d’une violence sociale implacable. Le chômage peut y atteindre 40% pour les jeunes, la proportion de personnes vivant sous le seuil de la misère y bat tous les records, comme le taux de logements insalubres. Les transports en commun et les services publics de manière générale font défaut, y compris pour l’accessibilité aux soins. Pour les Français de deuxième ou de troisième génération concentrés dans ces quartiers, leur nom ou leur couleur de peau les condamnent à la discrimination. Pour eux, la devise de la République apparaît clairement pour ce qu’elle est : une farce.
Incapables de résoudre les problèmes qui étouffent cette jeunesse, les gouvernements successifs se sont lancés dans une escalade de répression pour en contenir les conséquences. Sous prétexte de guerre au terrorisme, l’État d’urgence facilite la guerre aux migrants et aux mouvements contestataires. Les banlieues sont présentées comme des viviers de délinquants et de djihadistes en puissance. Le gouvernement Hollande a promis d’investir pour renouveler l’équipement des forces de l’ordre, notamment les LDB 40, voués à prendre le relais des flash-ball. Fin janvier, ces soi-disant “socialistes” ont fait adopter par le Sénat le projet de loi sur la sécurité publique, qui élargit les cas où les policiers pourront faire usage de leurs armes, au-delà du strict cadre de la légitime défense, et prévoit un doublement des peines prévues pour outrage et rébellion commis contre des dépositaires de l’autorité publique. Il est examiné depuis le 7 février par l’Assemblée Nationale en procédure accélérée. Bien que les conséquences juridiques soient à priori mineures, le projet de loi est un message politique fort et une concession à l’extrême droite. Les conséquences sur le terrain se feront vite sentir, d’autant plus que la droite et l’extrême droite se sont engouffrées dans cette voie. Le FN va jusqu’à demander « la présomption de légitime défense » pour l’ensemble des forces de l’ordre, ce qui ne peut qu’encourager les tendances les plus réactionnaires chez les policiers.
Comme après chaque acte de violence dans les quartiers dont la portée sort de l’ordinaire, la revendication de reformer une « police de proximité » revient sur les lèvres de tous les dirigeants de gauche, qui la présente comme la panacée. Une telle police serait peut-être plus à même de gérer certains problèmes de manière plus « pacifique », mais cela ne changera rien à sa nature fondamentale, qui est de pacifier, justement, les différentes formes de contestation sociale. Surtout, elle ne résoudrait en rien les problèmes bien plus profonds qui minent ces quartiers.
Les forces de l’ordre sont une composante essentielle de l’État capitaliste, le bras armé d’un système qui a besoin de soumettre les travailleurs. Si le mouvement de transformation sociale doit s’organiser pour s’en défendre, il n’en reste pas moins que s’attaquer directement à l’uniforme, c’est se tromper de cible et donner un prétexte supplémentaire à la répression. C’est pourquoi le programme historique des communistes propose de s’attaquer directement à ce qu’elle défend : un ordre social injuste, qui enrichit une poignée d’exploiteurs au détriment de la vaste majorité de la population.
Boris Campos, PCF 35