La victoire de Donald Trump reposait sur moins de 25% de l’électorat américain, avec le taux d’abstention le plus élevé depuis 20 ans. Il n’empêche que c’est lui, désormais, qui dirige la première puissance économique et militaire du monde.
Les électeurs démocrates sont allés voter en traînant les pieds et en se pinçant le nez. Ils étaient typiquement des « électeurs déprimés », votant par devoir pour le moindre mal. Les sondages indiquaient que 70% de la population considérait Clinton comme « indigne de confiance » et « malhonnête ». Elle assurait défendre des « valeurs progressistes ». Mais ceci n’a pas empêché les puissances financières comme Goldman-Sachs de compter sur elle pour défendre des valeurs d’un autre genre. Il n’y a aucune différence majeure entre le Parti Démocrate et le Parti Républicain, en politique intérieure comme extérieure. Tous deux sont des partis capitalistes et impérialistes. La victoire de Trump était avant tout la défaite de Clinton. Même si elle a recueilli plus de voix que son adversaire, la marge était trop faible, compte tenu du fonctionnement du système électoral américain.
L’arrivée au pouvoir de Trump devrait servir d’avertissement en ce qui concerne la France et l’Europe : Trump était donné perdant par la plupart des analystes politiques. Il était impensable qu’un type aussi grossier, provocateur et menaçant puisse remporter l’élection. En effet, Trump n’est pas un politicien « normal ». S’il a pu gagner, c’est parce que le contexte social et économique ne l’est pas non plus. Les États-Unis, comme l’Europe, connaissent une instabilité économique et sociale croissante. Des deux côtés de l’Atlantique, des dizaines de millions de travailleurs, de chômeurs, de jeunes et de retraités sont profondément inquiets. Ils sombrent ou craignent de sombrer dans la précarité. Ils cherchent des solutions. Ils veulent être entendus. Si les partis de gauche et les organisations syndicales sont inexistants ou trop faibles et discrédités pour les défendre, leur désespoir peut profiter aux manipulateurs « populistes » issus du rang de leurs ennemis. L’explication du succès de Trump est là. Et n’imaginons pas que Le Pen en France, Alternative allemande, l’UKIP en Grande-Bretagne ou le Parti de la Liberté aux Pays-Bas ne peuvent pas surprendre les « analystes » de la même façon. Le nationalisme progresse partout en Europe. Il profite aux partis d’extrême droite. Les conditions matérielles et la psychologie sociale qui sous-tendent ce phénomène sont essentiellement les mêmes que celles qui ont porté Trump à la Maison Blanche.
La région du Nord-est américain – s’étendant de Chicago jusqu’aux côtes atlantiques et longeant les Grands Lacs – s’appelait autrefois la « ceinture (ou bande) industrielle ». Aujourd’hui, on l’appelle la « ceinture de la rouille ». Des secteurs d’activité entiers ont disparu, entraînant le déclin et la dépopulation de nombreuses villes. La ville de Cleveland (Ohio) a vu sa population chuter de 910 000 en 1950 à moins de 480 000 en 2000. Même si cette vaste région concentre encore près de 40% de la production industrielle américaine, les conséquences sociales de ce déclin sont partout visibles.
À proximité d’une usine Ford, dans le Michigan, Trump a déclaré que si l’entreprise la délocalisait vers le Mexique, il imposerait une taxe de 35% sur chaque véhicule sortant du nouveau site et vendu aux États-Unis. Il a également menacé Apple, disant qu’il l’obligerait à fabriquer ses téléphones aux États-Unis plutôt qu’en Chine. Trump a dénoncé le rôle de l’Accord de libre-échange nord-américain (NAFTA) dans la destruction des industries du Michigan, de l’Ohio, de la Pennsylvanie et du Wisconsin. Il a aussi vilipendé le soutien de Clinton à l’Accord de partenariat transpacifique (TPP). Face à la désindustrialisation, l’administration de Barak Obama a laissé les travailleurs à leur sort. Faut-il s’étonner que la propagande de Trump ait capté l’attention de bon nombre d’ouvriers ?
La question raciale a toujours occupé une place centrale dans la lutte des classes et dans la vie politique américaine. Trump n’a pas hésité à exploiter les préjugés racistes pour mobiliser l’ignorance et la peur du « migrant » au profit de sa candidature. Ses discours moqueurs et haineux contre les étrangers pendant sa campagne, menaçant de déporter tous les musulmans et 11 millions de « sans-papiers », qualifiant les Mexicains de violeurs et d’assassins, ont encouragé un déferlement de propos et d’actes racistes à une échelle que les États-Unis n’ont pas connu depuis longtemps. Des croix gammées sont apparues sur des murs, même dans les écoles. De jeunes écoliers scandaient « construisons le mur ! » Des musulmans ont été violentés en pleine rue. L’organisation suprématiste Ku Klux Klan a annoncé une « marche de la victoire » pour fêter l’élection de Trump. Plus de 200 actes de violence raciste ont été signalés dans les trois jours suivants le vote. Il est significatif, à cet égard, que malgré les propos outranciers de Trump pendant la campagne, la population afro-américaine et traditionnellement pro-démocrate ne s’est pas particulièrement mobilisée pour Clinton. Dans le Wisconsin, par exemple, la participation au vote n’a jamais été aussi faible depuis 20 ans. À Milwaukee, où se trouvent 70% de la population afro-américaine de l’état, la participation a baissé de 13%.
À l’échelle internationale, la victoire de Trump a été immédiatement acclamée par Vladimir Poutine. Trump s’est engagé à chercher un accord avec la Russie au sujet de la guerre en Irak et en Syrie, ainsi que sur la question ukrainienne. Cependant, dans la pratique, il est peu probable que la politique étrangère des États-Unis subisse des réorientations majeures sous la nouvelle administration. Trump n’est pas seul et les intérêts stratégiques de l’impérialisme américain lui interdisent la politique de désengagement qu’il a évoquée pendant sa campagne. Toute place laissée libre par les États-Unis sera occupée par d’autres puissances. L’impérialisme américain est condamné à jouer son rôle de « gendarme du monde », sous peine de subir des pertes importantes en termes de marchés, de champs d’investissement, et de positionnement militaire et diplomatique. Obama cherchait déjà un terrain d’entente avec Poutine, sur certains points. La politique extérieure de Trump sera sans doute une extension de celle d’Obama dans ce domaine. Par contre, en ce qui concerne les accords de libre-échange, à défaut d’un revirement complet par rapport à ses engagements de campagne, le TPP a peu de chances d’être ratifié, désormais.
Les partis et mouvements nationalistes en Europe ont été encouragés par le succès de Trump. Ce n’est pas par hasard que Marine Le Pen a vivement applaudi son arrivée au pouvoir. Comme Nigel Farage, le chef de l’UKIP britannique, le Front National adopte la même posture « antisystème » que Trump, en exploitant habilement des craintes et insécurités provoquées par la crise du capitalisme pour répandre son poison nationaliste et raciste. Le mot d’ordre de tous ces mouvements est celui de la « préférence nationale » : protectionnisme économique, fermeture des frontières, priorité à l’emploi des nationaux au détriment des étrangers et expulsion des migrants. Le nationalisme est à l’opposé de la conscience de classe et de la lutte pour le socialisme. C’est une idéologie dangereuse et puissante, qui prend d’autant plus facilement racine que les organisations des travailleurs – politiques et syndicales – n’offrent pas d’alternative sérieuse au capitalisme.
Malgré sa posture « anti-establishment » à la défense des « sans voix » et des « oubliés », le milliardaire Trump ne manquera pas de se montrer sous ses vraies couleurs, celles d’un représentant implacable du système qu’il a prétendu combattre. La conclusion principale qui découle des événements récents aux Etats-Unis est la nécessité d’un parti politique indépendant des travailleurs. La campagne autour de Bernie Sanders a montré le potentiel qui existe pour la création d’un nouveau parti. Sanders a été mis à l’écart par Clinton et la machine bureaucratique du Parti Démocrate. Par la suite, il a commis l’erreur de se rallier à la candidature de Clinton. Le Parti Démocrate est pieds et poings lié aux intérêts capitalistes. Soutenir ce parti, c’est soutenir ses ennemis. Il ne s’agit pas de fonder un petit groupement se proclamant « parti des travailleurs », mais de mener campagne dans les organisations syndicales américaines pour qu’elles se dissocient du Parti Démocrate et fondent un parti de masse capable de mener une lutte sérieuse contre le capitalisme et les partis à son service.
Greg Oxley, PCF Paris 10