Le 7 septembre 2016, la direction du groupe ferroviaire Alstom a annoncé la fermeture du site historique de Belfort. 480 salariés et au moins un millier d’emplois indirects seront touchés par cette fermeture. Les habitants redoutent que Belfort ne devienne une “ville morte”. A huit mois de l’élection présidentielle, le gouvernement est sous pression. Mis au pied du mur, les salariés n’ont d’autre choix que d’engager un combat pour préserver leur outil de travail. Lourde d’enseignements, nous reviendrons brièvement sur l’histoire du groupe pour mieux éclairer le combat actuel.
Apogée et déclin d’un groupe “historique”
En 1969, la Compagnie Générale d’Électricité (CGE) prend possession d’Alstom, une société spécialisée dans le ferroviaire dont les racines remontent à la première moitié du XIXe siècle. Un an auparavant, la CGE avait déjà fait l’importante acquisition d’Alcatel, une entreprise spécialisée dans les télécommunications. La CGE, qui existait depuis 1898, va alors connaître un essor spectaculaire. Bénéficiant des plans quinquennaux des années 70, dont la priorité est “l’essor industriel” de la France, l’équipe d’Ambroise Roux, le PDG de ces années fastes, va récupérer chaque grand programme industriel et profiter des fruits de la recherche publique. Pour ne citer que les plus importants, le TGV d’Alstom est d’abord né dans les bureaux d’études de la SNCF. Les compétences du groupe dans les barrages, les centrales thermiques, ont été acquises grâce à l’aide d’EDF. Le développement dans les télécommunications – la partie qui redeviendra par la suite Alcatel – est lié aux bureaux d’études d’État et du grand programme d’équipement lancé en 1976. Dans ces conditions, difficile de croire au mythe capitaliste du self-made-man. D’autant plus qu’au nom de la défense de l’industrie française, de l’émergence d’un champion national, l’État, durant toutes ces années, subventionne le groupe sans compter. En plus de payer toute la branche recherche et développement, il fait les avances sur les futures opérations, accepte de payer des surcoûts de l’ordre de 20 % à 30 % sur les équipements, subventionne la conquête des marchés internationaux. Le groupe se développe ainsi, comme une holding financière, sans capitaux, durant les Trente Glorieuses, sans stratégie autre que celle de siphonner l’État.
Lors de l’arrivée de Mitterrand au pouvoir, la CGE va être temporairement nationalisée. Mais cette nationalisation ne va modifier ni son fonctionnement interne, ni ses choix stratégiques. Au contraire, la politique de développement consistant à enrôler l’Etat au service de la croissance du groupe va être renforcée. La privatisation du groupe en 1986 va affermir un système d’oligarchie et de cooptation au sein d’une entreprise qui, en quelques années, va s’ouvrir au monde de la finance.
En 1998, sous la pression du marché, Serge Tchuruk, PDG depuis 1995, va entreprendre la scission du groupe entre sa branche télécommunication, qui va devenir Alcatel, et ses branches énergie-transport, qui deviendront Alstom. À l’époque, Alcatel vient de passer leader mondial de son secteur suite au rachat d’ITT, un conglomérat américain. Cette position va tenir deux ans. Après quoi, le groupe va entamer une longue descente aux enfers. Incapacité à faire face à la concurrence, stratégie industrielle désastreuse avec une sous-traitance à outrance, éclatement de la bulle internet, acquisition à un prix exorbitant d’un groupe déjà sur le déclin, l’américain Lucent… dix ans après son indépendance, le groupe Alcatel est au bord de la faillite. Les plans sociaux s’enchaînent, mais l’entreprise ne se relèvera jamais. Ses dernières compétences reconnues sont celles dans Internet, un domaine où le groupe avait beaucoup profité des travaux menés par les centres de recherche publics à Rennes ou à Lannion. Rachetée en janvier 2016 par le finlandais Nokia, Alcatel a disparu. Le nouveau groupe, recentré sur les réseaux et les technologies sans fil, a annoncé la suppression de 10 000 emplois dans le monde à la suite de cette fusion. Un plan social de 400 personnes est prévu en France, le huitième depuis dix ans. Nokia s’est engagé à conserver 4 200 personnes en France jusqu’à la fin 2017.
Du côté d’Alstom, la scission débouche sur sa décapitalisation immédiate : ses actionnaires – Alcatel et le groupe britannique GEC – lui imposent un dividende exceptionnel de plus de 3 milliards d’euros pour services rendus, avant de revendre leurs actifs. Sans trésorerie, la société doit faire face aux problèmes issus d’acquisitions venimeuses, comme le rachat des turbines du groupe helvéto-scandinave ABB en 2002. Une nouvelle fois, l’État vole à la rescousse de l’entreprise. Nicolas Sarkozy, alors ministre des finances, reprend le dossier et concrétise le sauvetage d’Alstom, l’Etat prenant une participation temporaire de 27 % dans le groupe et offrant une garantie sur les créances.
La crise financière de 2008, notamment par la politique d’austérité imposée dans toute l’Europe, va entraîner une baisse des commandes publiques, dont Alstom va faire les frais. Ajoutée à la contraction du marché, la politique de diminution des investissements dans la recherche et le développement finit par rattraper l’entreprise: ses produits ont régulièrement du mal à faire face à la concurrence, plus innovante. Il n’en reste pas moins que, globalement, le groupe peut toujours compter sur le soutien de l’Etat. En 2013, la SNCF est ainsi fortement incitée à acheter de nouvelles rames de TGV dont elle n’a pas besoin. L’addition a été payée par l’entreprise publique seule, qui se voit reprocher dans le même temps sa gestion calamiteuse par les adeptes du « moins d’État ».
En 2014, sur fond de problèmes juridiques liés à des pratiques de corruption qui, pour ainsi dire, font partie de « l’ADN de l’entreprise »*, le démantèlement du groupe se poursuit avec la revente de sa branche énergies au groupe américain General Electric, soit 70% de son activité. Preuve de la distance des politiques du domaine de la production, le gouvernement et le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, apprennent le projet par une dépêche de l’agence Bloomberg. Alstom est pourtant le principal fournisseur d’EDF, notamment pour ses centrales nucléaires. Un secteur stratégique pour le pays, mais ces considérations n’entrent pas en ligne de compte pour la direction d’Alstom. Macron prend la suite du dossier après le départ de Montebourg et s’empresse de le boucler, sans chercher à s’encombrer du peu de contreparties que ce dernier avait réussi à obtenir de GE.
Ce rapide historique est, pour l’essentiel, une synthèse du travail de journalistes de Médiapart, dont le lecteur trouvera les liens vers les principaux articles en bas de page. Bien qu’il ne soit pas le fruit propre de l’auteur, il lui semblait indispensable pour mettre en évidence le fait suivant : l’intervention de l’État jalonne l’histoire du groupe, qui doit sa réussite puis sa survie au soutien des pouvoirs publics. Avoir cela en tête est fort utile pour aborder notre deuxième partie : quelle riposte politique amener à l’annonce de la fermeture du site d’Alstom ?
Quelle riposte politique à l’annonce de la fermeture du site de Belfort ?
On ne peut croire que l’annonce de la direction d’Alstom soit un hasard du calendrier. À quelques mois d’une l’élection présidentielle, la direction d’Alstom ne pouvait ignorer les répercussions d’une telle décision. La direction met la pression sur le gouvernement et sur certains présidents de Région et compte bien obtenir des contrats en échange. C’est une forme de chantage à l’emploi, plus brutale que d’habitude. Ces messieurs en costume, issus des meilleures écoles, habitués aux bonnes manières et aux ambiances de petits salons, ces respectables entrepreneurs ne déchirent pas une seule chemise, mais conçoivent en toute sérénité la prise d’au moins 500 otages. Le coup est bien connu, l’opération bien ficelée. La rançon demandée pour reporter les licenciements : suffisamment de commandes publiques pour maintenir un taux de profit satisfaisant.
Sous pression, le gouvernement, par la voix du secrétaire d’État aux transports, Alain Vidalies, a précisé récemment son plan pour aider le site de Belfort à combler son carnet de commandes à partir de 2018. La SNCF, la RATP, les Régions sont requises pour participer à ce plan de sauvetage. Douze locomotives devraient être commandées pour la ligne Paris-Turin-Milan ; 30 rames sont envisagées pour moderniser les trains Intercités, a ainsi expliqué le secrétaire d’État aux transports. Enfin, le gouvernement espère que le groupe sera retenu dans l’appel d’offres de 3 milliards d’euros lancé par le Syndicat des transports de l’Île-de-France (Stif) pour de nouvelles rames. C’est un contrat qu’Alstom ne veut pas perdre, après avoir raté le premier grand contrat de 2006, le Stif ayant alors préféré les rames du canadien Bombardier.
Le gouvernement s’engage donc dans une énième intervention de l’État pour secourir le groupe, en faisant peser la charge de nouvelles commandes sur ses entreprises publiques, auxquelles il exige par ailleurs un redressement économique. Il pourra compter sur le soutien des élus locaux de droite, comme le maire LR de Belfort. Le problème, comme l’explique lucidement un salarié qui a passé 35 ans chez Alstom : « Quand le gouvernement dit aujourd’hui, “on fera tout pour qu’il y ait des commandes, pour que les régions commandent des trains”, oui, il fera tout. Mais ça ne garantit pas notre emploi ici à Belfort. Alstom prendra les commandes et les fera fabriquer là où elle veut. ». Le maintien du site de Belfort n’est pas impossible, mais le gouvernement devra en payer le prix – avec de l’argent public. De plus, comme nous le montre l’histoire de l’entreprise, cela ne garantira pas la pérennité du site. Le groupe prendra peut-être un engagement pour quelques années, mais pas au-delà. Enfin, du point de vue communiste, l’insuffisance d’une telle politique n’est pas tellement dans son incapacité à maintenir l’outil productif mais dans son absence d’impact sur les rapports de production qui, eux, restent inchangés : une classe possédant les moyens de production s’enrichit en exploitant le travail d’une autre classe, largement majoritaire mais non possédante – le salariat.
Lors des journées d’été des « frondeurs » à La Rochelle, Arnaud Montebourg, qui avait obtenu, lorsqu’il était ministre, la prise de 20% du capital par l’État et une participation au Conseil d’Administration, donnait son point de vue: « Me succédant dans les fonctions de ministre de l’économie, il (Emmanuel Macron) avait la charge d’utiliser ces 20 %, et ces deux hauts fonctionnaires qui siègent au Conseil d’Administration d’Alstom, pour dire et faire en sorte que l’équipe de France du ferroviaire – la SNCF, Alstom, la RATP – se serre les coudes. » De plus, depuis le printemps, l’État dispose de 20 % des droits de vote dans Alstom, grâce à un prêt de titres pour vingt mois consentis par Bouygues, principal actionnaire de la société. Pourtant, malgré ses droits de vote, malgré sa présence au sein du Conseil d’Administration du groupe, le gouvernement assure ne pas avoir été informé des intentions de la direction avant l’annonce du 7 septembre. Cela en dit long à la fois sur la transparence au sein de ce genre de groupe et sur la cécité du gouvernement. Toujours est-il que, malgré les déclarations de Montebourg, on voit mal comment cette participation minoritaire aurait pu servir à modifier la stratégie du groupe. Même les gesticulations d’un Montebourg n’auraient pu y changer grand-chose. La raison en est simple : si l’État possède 20% des parts du groupe, les 80% restant ne lui appartiennent pas. Autrement dit, le groupe ne lui appartient pas. Or, on ne peut prétendre contrôler que ce que l’on possède. Tant que le groupe restera la propriété privée d’une poignée de grands actionnaires – comme Martin Bouygues, actionnaire à hauteur de 28% – l’influence des pouvoirs publics ne pourra être que marginale et l’entreprise sera soumise à un seul impératif : générer un taux de profit suffisant aux yeux des actionnaires. C’est pourquoi le programme historique des communistes met en avant la question de la nationalisation, afin de libérer l’outil productif de cet impératif, pour que la production réponde aux intérêts du plus grand nombre. A la gauche des « frondeurs », Le PCF et Mélenchon se sont prononcés pour la nationalisation. Penchons-nous sur leurs propositions.
Le PCF s’est fendu le 8 septembre d’un court communiqué de presse pour annoncer que « notre pays a besoin d’une stratégie nationale de développement basée sur des filières stratégiques, un continuum entre service et industrie, comme de porter en Europe les principes de coopération entre sociétés de transports ferroviaires et industries. C’est pourquoi l’État doit prendre toutes ses responsabilités en empêchant la fermeture du site d’Alstom, y compris en nationalisant Alstom en tant que groupe stratégique pour l’avenir de notre pays. » Le PCF appelle, par une formulation alambiquée, à la nationalisation. C’est déjà un pas en avant comparé à la position de 2012 à propos de Florange*.
Arrêtons-nous un instant sur cette formulation. Il y est dit que l’État doit prendre « toutes ses responsabilités », « y compris en nationalisant ». Voilà un étrange paradoxe. Le pays étant actuellement dominé par un système économique, le capitalisme, la question qui se pose est celle des responsabilités de l’État dans le cadre de ce régime. Quelles sont les responsabilités d’un État capitaliste ? Et bien il ne faut pas avoir lu beaucoup de textes marxistes pour apprendre que la responsabilité d’un tel État est de défendre les intérêts de sa classe capitaliste nationale. Au premier lieu desquels : la protection de la propriété privée des moyens de production. C’est le fondement de sa politique extérieure, dans son soutien pour obtenir des parts de marché au détriment des concurrents étrangers, mais aussi de sa politique intérieure, pour mobiliser les moyens nécessaires (médias, gens en uniformes, justice, etc.) contre les inepties que pourraient prêcher des citoyens réclamant la socialisation des moyens de production ou, du moins, une autre répartition des richesses.
Lorsque Valls dit : « tous les jours, avec le président de la République et les ministres, nous nous battons pour qu’Alstom gagne des marchés, au plan international comme au plan européen », notre premier ministre exprime à haute voix l’essence de l’État capitaliste et veut montrer qu’il agit en homme politique « responsable ». Il en va de même des hommes politiques allemands ou canadiens, qui se battront pour les intérêts du groupe ferroviaire Vossloh ou Bombardier, principaux concurrents de notre « champion national ». Inutile de dire que prêcher les « principes » de la coopération entre sociétés européennes sur la base du capitalisme est un vœu pieux. Dans un système reposant sur la concurrence, la base matérielle pour que ces principes se concrétisent n’existe pas. Lorsque Siemens s’est porté candidat à la reprise de la branche énergie du groupe, en 2014, ce n’était pas pour créer plus de coopération en Europe, mais pour tenter de contenir GE dans sa prise de parts de marchés en Europe – et au passage récupérer celles d’Alstom.
Revenons à la question de la nationalisation. Dans le contexte d’aujourd’hui, la seule forme de nationalisation « responsable » – qui ne porte pas atteinte à la propriété capitaliste – passe par l’indemnisation des actionnaires, c’est à dire le rachat de l’entreprise à ses propriétaires actuels. En dehors de certaines circonstances particulières, elle n’est pas dans les intérêts des capitalistes, car elle les prive d’un secteur où elle peut réaliser d’importants profits. Alstom a actuellement un carnet de commande plein pour les 4 années à venir, les dividendes sont assurés à court terme. Dans ces conditions, le patronat peut tolérer une participation partielle et temporaire de l’État, mais s’opposera fermement à la nationalisation. Seule une puissante mobilisation pourrait forcer la main du gouvernement pour engager une telle mesure. C’est dans l’intérêt des salariés car avec ou sans indemnisation, la nationalisation à 100% d’Alstom constituerait déjà un pas en avant. Si elle ne règle pas tout, l’État pourrait et devrait au moins maintenir tous les emplois indépendamment de l’état des carnets de commandes. Le temps que l’activité reprenne, les salariés organiseraient un partage du travail existant sans perte de salaire. Cependant, du point de vue du mouvement ouvrier, le rachat pose au moins deux problèmes. Le premier est le coût d’un tel rachat. Où trouver les ressources puisque l’État est déjà surendetté? Deuxièmement, en admettant qu’il dispose de cette somme, comment justifier que l’on veuille la consacrer aux actionnaires ? Ces derniers ne se sont-ils pas suffisamment enrichis sur le dos de leurs salariés? N’ont-ils pas suffisamment siphonné l’argent public?
Le parti devrait clarifier sa position, sinon l’ambiguïté pourrait laisser entendre que les communistes sont prêts à indemniser des gens comme Martin Bouygues. Pour les raisons que nous venons de citer, le programme historique du communisme défend l’idée de l’expropriation, sans indemnisation des grands actionnaires. Il s’agit d’une attaque directe à la propriété capitaliste. Maniant l’hypocrisie avec un grand art, les capitalistes et leurs représentants s’écrient « au vol ! au vol ! ». Mais c’est passer sous silence que leur richesse repose précisément sur le vol. La forme de propriété actuelle leur permet de s’accaparer la totalité richesses produites par les salariés, de les en déposséder en échange d’une fraction de ces richesses reversées sous la forme d’un salaire. Libérer l’outil productif de l’emprise d’une minorité pour le mettre au service de l’écrasante majorité de la population, voilà le programme des communistes. Il va sans dire que l’application d’un tel programme doit nécessairement s’appuyer sur la mobilisation massive des salariés d’Alstom et de la population, pour vaincre la résistance de la classe dirigeante. C’est pourquoi, en définitive, l’application du programme de la nationalisation d’un groupe, par l’expropriation des grands actionnaires, relève de la responsabilité du salariat. En son sein, la diffusion d’un tel programme relève en tout premier lieu de la responsabilité de la direction de ses organisations de combat, que sont le PCF et les syndicats comme la CGT. C’est une chose d’évoquer en passant la nationalisation dans un communiqué de presse de 3 paragraphes, c’en est une autre que de mettre un parti en ordre de bataille autour d’un tel mot d’ordre, non seulement au moment de la crise, mais en amont, puisque les difficultés d’Alstom ne sont ni les premières, ni les dernières.
Dans une tribune dans Le Monde du 16 septembre, Mélenchon défend lui aussi la nationalisation du groupe, sans préciser non plus la question de l’expropriation. Il propose également toute une série de mesures pour « définanciariser l’économie ». Sans entrer dans les détails (certains, comme la revendication de nouveaux droits pour les salariés, ont déjà été critiqués par ailleurs), il s’agit d’un ensemble de mesures réformistes. Au-delà, le problème principal est qu’il prône, dans le cadre du capitalisme, une forme de protectionnisme qu’il nomme le « protectionnisme solidaire ». En quoi cela consiste-t-il, plus précisément ? « La SNCF choisit quarante-quatre locomotives allemandes depuis son alliance avec la Deutsche Bahn au lieu de s’approvisionner chez Alstom ? Dilettantisme des Français face au capitalisme allemand qui défend ses intérêts », s’exclame Mélenchon. A l’entendre, il faudrait donc que Bombardier s’occupe du réseau ferroviaire canadien, Vossloh du réseau allemand et qu’aucun d’eux ne vienne empiéter sur les plates-bandes des capitalistes français – puisque jusque-là Alstom est un groupe privé. Dans un autre article plus détaillé, il est expliqué que la mise en place d’un protectionnisme solidaire permettrait d’interdire sur le marché français les produits issus du travail d’enfants ou d’esclaves, de taxer l’importation de produits déjà fabriqués en France, de « corriger » le coût d’une marchandise à la douane en fonction du coût du travail du lieu de production (afin d’éviter le dumping social), etc. Cela peut s’entendre. Mais sur la base d’une économie planifiée, c’est-à-dire nationalisée. Sinon, sur la base d’une économie de marché, une telle politique s’avèrera particulièrement solidaire avec les entrepreneurs français sur le marché intérieur. En dépit d’intentions très louables, cela reviendra malgré tout à soutenir les capitalistes français par le biais de la puissance publique, tout en les mettant en difficultés sur le marché international en raison des inévitables mesures de rétorsion que prendront les autres pays. Après tout, comment s’opposer à ce qu’eux aussi fassent appel à la solidarité nationale ? Une politique authentiquement internationaliste repose sur la planification d’une industrie publique, base matérielle pour concevoir une coopération entre pays et l’effacement des barrières nationales. L’industrie est un domaine de production où s’est opérée une concentration particulièrement forte, dont chaque branche est dominée par quelques puissants acteurs. Les arguments pour appeler à la nationalisation d’Alstom sous le contrôle des salariés se valent pour chacun de ces groupes, que ce soit en France ou à l’étranger. La nationalisation d’Alstom constituerait un progrès indéniable, mais limité et fragile sans l’extension des expropriations à l’ensemble de l’industrie et de l’économie. Du point de vue du socialisme, l’appropriation de ces grands groupes par leurs salariés est une nécessité pour pouvoir coordonner la production de manière optimale.
Enfin, que ce soit le PCF ou JLM, aucun n’aborde la question de la démocratie dans l’entreprise au-delà de la vague revendication de « nouveaux droits » dans le cadre du capitalisme. Il est évidemment hors de question de reproduire le fonctionnement interne des nationalisations sous Mitterrand. Pour faire un plan ferroviaire ambitieux, pour éviter les pertes, innover, il est indispensable que les travailleurs interviennent à chaque échelon de la prise de décision, qu’ils aient une prise directe et fondamentale dans la gestion et la stratégie de l’entreprise. Une planification harmonieuse passe par une planification démocratique, coordonnée entre les différents secteurs de production. Cela implique également la nationalisation des secteurs bancaires, pour assurer le financement du secteur.
Année après année, l’industrie française est mise en pièce. Les grandes entreprises publiques ont été soit privatisées (Air France, France Télécom, GDF), soit négligées et dégradées. La SNCF va devoir faire avec une concurrence de plus en plus forte. EDF, empêtrée dans une fuite en avant dans le tout nucléaire, vient d’emporter une victoire à la Pyrrhus avec un contrat pour un projet pharaonique à Hinkley Point. Le secteur privé délocalise et/ou ferme ses centres de recherche et développement, comme dans l’industrie pharmaceutique, la métallurgie, l’automobile, l’électronique, etc. Décidément, et ce qui peut paraître paradoxal au premier abord, il ne faut pas considérer le patronat comme classe sociale appelé à préserver le parc productif du pays : c’est bel et bien au salariat que revient cette tâche. L’intersyndicale a appelé à la grève dans les 18 sites du groupe, le 27 septembre, jour où s’est tenu un Comité Central d’Entreprise extraordinaire. Dans cette lutte, les salariés d’Alstom vont être confrontés directement à cette question de la propriété de l’entreprise : ils se sont engagés dans un combat pour la défense d’un outil de travail qu’ils ne possèdent pas. La victoire passe par la transformation de cette lutte défensive en lutte offensive : pour contraindre Alstom à fabriquer sur tous les sites, il faut se passer des patrons et des actionnaires. S’ils ne veulent pas de leur outil productif, s’ils s’avèrent incapables de l’améliorer en investissant suffisamment dans la recherche et développement, de coordonner la production entre différents secteurs industriels à partir du moment où ils ne les possèdent pas, puisque les chefs d’entreprises sont avant tout les chefs d’une guerre économique incessante, exproprions les capitalistes et prenons le contrôle l’outil productif, revendiquons le droit des salariés à une gestion directe de la production au sein d’un groupe nationalisé, intégré à un plan industriel rationnel.
Non à la fermeture du site de Belfort !
Aucune suppression d’emploi !
Pour la nationalisation du groupe Alstom, sans indemnisation des grands actionnaires !
Pour une gestion directe des salariés de leur outil de travail
Boris Campos, PCF Rennes.
Notes:
*Au passage, cette nouvelle scission a mis en lumière les pratiques de corruption du groupe pour obtenir des marchés à l’international. Ces pratiques ont été instaurées dans le groupe, bien avant l’arrivée de Patrick Kron à la présidence d’Alstom en 2003. Mais il n’a pas marqué de rupture franche par la suite. Depuis plusieurs années, Alstom fait l’objet de poursuites judiciaires dans de nombreux pays. Ses pratiques ont été dénoncées au Brésil, au Mexique, en Italie, en Zambie, en Lettonie, en Slovénie…
En novembre 2011, le ministère public suisse a condamné une filiale suisse du groupe (Alstom Network Schweiz) à une amende de 2,5 millions de francs suisses et une créance compensatrice de 36,4 millions de francs suisses « pour ne pas avoir pris toutes les mesures d’organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher le versement de montants de corruption à des agents publics étrangers en Lettonie, Tunisie et Malaisie ».
De son côté, la banque mondiale a radié en 2010 deux filiales du groupe, Alstom Hydro France et Alstom Network Schweiz, pour une période de trois ans pour avoir commis des « actes illicites » dans le cadre d’un projet financé par la banque.
*A l’époque, Pierre Laurent demandait au président de la République « la tenue d’une réunion nationale de tous les acteurs impliqués » afin « de dégager un prêt à très bas taux d’intérêt de 600 millions d’euros » pour réaliser les investissements nécessaires et de « constituer une structure à capitaux mixtes, avec des participations possibles de la région », pour progresser « dans le sens de l’option nationale ». Du point de vue de l’expression d’un programme communiste, il y a donc effectivement du mieux.
Sources:
http://melenchon.fr/2016/09/16/nationalisation-alstom-transport-le-monde/
https://www.mediapart.fr/journal/economie/150916/belfort-une-ville-sonnee-derriere-les-alsthommes
https://www.mediapart.fr/journal/france/130916/macron-rattrape-par-son-bilan-bercy
https://www.mediapart.fr/journal/economie/110916/valls-veut-sauver-alstom
http://www.rfi.fr/economie/20160913-alstom-belfort-salaries-inquietudes-emploi-fermeture-hollande
http://www.elie-cohen.eu/article.php3?id_article=101
https://www.lepartidegauche.fr/dossier/protectionnisme-solidaire-la-clef-vers-ecosocialisme-24974