Les attentats de 2015, drapés de justifications religieuses et communautaires, étaient en réalité l’œuvre d’une dictature fasciste installée au Moyen-Orient. L’État français qui, par ses interventions militaires, a contribué à la création de cette dictature, a néanmoins profité des attentats pour exciter le sentiment national des « Français » contre une menace « étrangère » et remettre en cause des droits démocratiques. Ainsi, encore plus qu’avant, la « question nationale » et la position des populations « étrangères » présentes en France passe au premier plan de la vie politique du pays.
Par « question nationale », nous entendons toutes les questions relatives au nationalisme, à l’internationalisme, à l’oppression impérialiste de nations ou de minorités nationales. En substance, la question des « étrangers » en France est un prolongement, sur le plan intérieur, de la politique impérialiste conduite par la France dans l’arène internationale.
L’Etat national et l’identité nationale des peuples sont des phénomènes historiques relativement récents.
Les principaux États nationaux du continent européen ont pris forme pendant le siècle qui s’étend de la Révolution française à l’unification allemande, en 1870, même si les révolutions nationales hollandaises et britanniques avaient déjà eu lieu dans la période précédente. Les premiers États capitalistes ne pouvaient poursuivre leur expansion que par l’assujettissement du reste du monde. La « ruée vers l’Afrique » de l’impérialisme occidental a abouti au découpage du continent africain. Le Moyen-Orient, la Chine, le sud-est asiatique et le sous-continent indien ont subi le même sort. Les États-Unis ont transformé l’Amérique latine en son « arrière-cour ». Les puissances impérialistes s’opposaient par la violence à l’émancipation sociale et nationale des peuples qu’ils opprimaient. Les insurrections et des guerres de libération nationale qui ont jalonné le XXe siècle ont mobilisé des centaines de millions de travailleurs, de paysans et autres « esclaves du capital » contre l’oppression impérialiste. Aujourd’hui, malgré l’indépendance formelle des anciennes colonies, beaucoup d’entre elles sont restées sous la domination des grandes puissances. Ainsi, dans un pays « indépendant » comme le Nigeria, avec ses vastes ressources pétrolières, la majorité de la population sombre dans une misère infernale.
Notre internationalisme n’est ni sentimental, ni abstrait. C’est une perspective de lutte qui découle de la position qu’occupe le salariat dans le système capitaliste et qui vise à préparer l’émancipation sociale et politique des travailleurs de tous les pays. En prenant le pouvoir – d’abord dans un, puis dans plusieurs pays –, les travailleurs effaceront les prémisses de la division du monde en États nationaux antagoniques et ouvriront la voie à une nouvelle organisation économique et sociale, fondée sur la coopération internationale. À la place de la rivalité capitaliste, le socialisme instaurera une planification consciente et démocratique du processus productif, dans l’intérêt de la société dans son ensemble.
C’est dans cette perspective internationaliste que nous devons déterminer notre attitude envers la lutte contre l’oppression nationale. Ce problème occupe une place importante dans les œuvres de Marx et Engels. S’appuyant sur leur méthode, Lénine a élaboré une approche programmatique qui s’est avérée décisive dans la victoire de 1917 et surtout dans la défense et l’extension de la révolution, par la suite, car elle a permis d’unir les travailleurs et paysans des nationalités opprimées dans une lutte révolutionnaire commune. Dans son Histoire de la Révolution Russe, Trotsky résumait ainsi cette approche : « Lénine avait compris le caractère inévitable des mouvements nationaux centrifuges en Russie et, pendant des années, avait lutté obstinément, notamment contre Rosa Luxembourg, pour le fameux paragraphe 9 du vieux programme du parti, formulant le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, c’est-à-dire à se séparer complètement de l’Etat. Par là, le parti bolchevik ne se chargeait nullement de faire une propagande séparatiste. Il s’obligeait seulement à résister avec intransigeance à toute espèce d’oppression nationale et, dans ce nombre, à la rétention par la force de telle ou telle nationalité dans les limites d’un État commun. C’est seulement par cette voie que le prolétariat russe put graduellement conquérir la confiance des nationalités opprimées. »
Dans ses Notes critiques sur la question nationale, rédigées en 1913, Lénine a écrit : « Aux querelles nationales que se livrent entre eux les différents partis bourgeois pour des questions de langue, etc., la démocratie ouvrière oppose la revendication suivante : unité absolue et fusion totale des ouvriers de toutes les nationalités dans toutes les organisations ouvrières syndicales, coopératives, de consommation, d’éducation et autres, contrairement à ce que prêchent tous les nationalistes bourgeois.»
De manière générale, on peut dire qu’une nation est une entité sociale et économique plus ou moins stable, prenant forme au cours de l’histoire en se dotant d’un territoire commun et d’une langue commune, même si cette définition générale ne recouvre pas tous les cas de figure. Notre but, en tant que communistes, c’est d’œuvrer dans le sens de la plus grande unité des travailleurs dans une lutte commune, indépendamment de leurs identités nationales spécifiques. C’est de ce point de vue que nous défendons le droit des nations à l’autodétermination. Ce droit n’a d’intérêt que dans la mesure où il renforce la lutte contre le capitalisme et contre le nationalisme. La position marxiste à l’égard des nationalités opprimées est une position négative, c’est-à-dire qu’elle est avant tout contre toutes les formes d’oppression nationale, linguistique ou raciale. Prôner le droit à la séparation ne signifie pas prôner la séparation elle-même. Ce droit vise, au contraire, à faciliter l’union volontaire. Lénine comparait ce droit au droit de divorce. On est pour le droit au divorce et le droit à l’avortement. Mais ceci ne veut pas dire qu’on recommande à tous le divorce ou l’avortement. La distinction entre ces deux notions est d’une importance primordiale. En défendant les droits et les intérêts particuliers des minorités nationales dans un pays donné, en luttant contre toutes les discriminations et oppressions spécifiques dont elles sont victimes, le mouvement ouvrier facilite l’union dans l’action de tous les travailleurs, indépendamment des considérations de nationalité, de langue, de couleur ou de religion.
La classe dirigeante et leurs représentants politiques encouragent le nationalisme français.
Ils stigmatisent les « immigrés », les « musulmans » etc. et les exhortent à rejoindre « la communauté nationale », à s’unir, comme le dit Hollande, dans une République prétendument fondée sur les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Mais cette République-là n’existe que dans l’imaginaire. La République réelle est un instrument du capitalisme, fondée sur l’inégalité et l’exploitation de la majorité par une minorité. Si elle est fondée sur des valeurs, il s’agit plutôt de valeurs boursières.
Les appels « républicains » en faveur de l’« intégration » ne sont qu’une forme de chauvinisme français qui tend à nier l’existence d’une « question nationale » en France, où plusieurs nationalités distinctes sont présentes, avec leurs différences culturelles et linguistiques. Certes, la « question nationale » en France n’a pas d’aspect territorial. Il ne s’agit pas d’indépendance, ni même d’autodétermination, à proprement parler. Mais l’expérience quotidienne de plusieurs millions de travailleurs et de jeunes originaires des pays anciennement colonisés, leur rappelle sans cesse leur « différence ». Ils ne sont pas sur un pied d’égalité avec les citoyens de la nation dominante. En subissant la discrimination et la marginalisation racistes, les travailleurs originaires des anciennes colonies le relient non seulement à l’oppression impérialiste du passé, mais aussi à la politique actuelle de l’impérialisme français au Moyen-Orient et en Afrique. Cette oppression et la forme de conscience correspondante constituent la substance de la « question nationale » au sein de la société française. Le chômage, la précarité, l’exploitation, les autres manifestations de la régression sociale ne concernent pas que travailleurs traçant leurs origines aux anciennes colonies, mais ceci n’empêche pas la cristallisation, chez certains d’entre eux, d’une forme de conscience politique que l’on pourrait appeler « communautaire » (car il de s’agit pas d’une nationalité spécifique), dans laquelle la source des oppressions est conçue comme étant d’ordre racial, culturel et religieux.
Nous avons dit que lorsque le mouvement ouvrier a su ouvrir une perspective d’émancipation sociale aux peuples concernés, la lutte contre l’oppression nationale ou communautaire a pu contribuer à la cause révolutionnaire. Mais l’histoire de l’Europe nous offre de nombreux exemples où, dans l’absence de cette perspective, la situation faite aux peuples opprimés a été exploitée à des fins réactionnaires et fascistes. On pourrait citer le recrutement de légions marocaines par Franco, au début de la guerre civile espagnole, ou encore l’utilisation de la question dite « sudète » en vue de l’invasion de la Tchécoslovaquie par Hitler, en 1938. La propagande de l’État islamique envers les communautés musulmanes en Europe est un exemple de l’exploitation de la question nationale à des fins contre-révolutionnaires. D’où la fascination qu’exerce Daesh – quoique de façon très marginale – sur l’esprit de certains éléments au sein de ces communautés.
Si la politique du mouvement ouvrier – et nous pensons particulièrement au PCF – se borne à l’exaltation de la République capitaliste, reprenant à son compte la présentation mythique et mensongère de celle-ci comme une incarnation de la liberté et la justice sociale, il ne pourrait pas lutter efficacement contre ce communautarisme réactionnaire. C’est une posture essentiellement conservatrice qui ne promet aucun changement. L’égalité formelle des droits n’a pas beaucoup de sens dans une société où six millions de travailleurs sont au chômage et les perspectives d’une vie épanouie et digne sont complètement bouchées par le capitalisme. Au mieux, ce serait une égalité dans la précarité. Une politique d’émancipation sociale ne peut se fonder que sur un bouleversement de l’ordre existant, sur la lutte pour une nouvelle République débarrassée du capitalisme, mettant fin au pouvoir économique et politique de la classe qui inflige la régression sociale aux travailleurs de France et la guerre aux peuples du Moyen-Orient. La tâche du PCF et de l’ensemble du mouvement ouvrier est de rassembler tous les travailleurs, quelles que soient leurs origines ethniques, nationales ou culturelles autour de ce projet révolutionnaire.