Pas moins de sept mois après avoir été porté au pouvoir par la jeunesse et les travailleurs grecs sur la base de son opposition à la Troïka, Alexis Tsipras se retrouve dirigeant d’un gouvernement qui engage de nouveau le pays dans la voie de l’austérité et des privatisations. L’objectif affiché de ces privatisations est de dégager 50 milliards d’euros. Mais cette somme faramineuse est plus un moyen de la part des créanciers de mettre la pression sur la Grèce qu’un objectif réaliste. Le même chiffre avait déjà été avancé lors du premier mémorandum signé par le gouvernement Papandreou. Plus de quatre ans après, selon Le Monde, l’agence chargée des privatisations (TAIPED) déclarait un montant total de transactions de 7,7 milliards, dont seulement 3,1 milliards ont été effectivement perçus.
Ce fossé s’explique d’une part par les luttes des citoyens grecs contre les privatisations. À de nombreuses reprises, ils sont parvenus à ralentir le processus d’ouverture du capital et parfois même à le stopper, du moins temporairement, comme ce fut le cas en 2014 après la mobilisation victorieuse contre le projet de privatisation de la gestion de l’eau a Athènes et Thessalonique. D’autre part, l’instabilité politique et sociale freinait les appétits des investisseurs. La possibilité d’un “Grexit”, d’une actualité plus récente et temporairement écartée, éloignait d’autant plus les candidats à la reprise qu’ils couraient le risque de voir leurs achats se dévaluer en même temps que la monnaie locale. Sommés de revendre pour 50 milliards d’euros d’actifs publics dans un contexte plus que défavorable, les repreneurs se trouvaient en position de force pour négocier avec la TAIPED un rachat au rabais.
Et sans aller jusqu’à utiliser la force, les pots-de-vin permettent d’obtenir le rabais. La TAIPED est un organisme dont plusieurs dirigeants ont été liés au cours de leurs activités à des affaires de conflits d’intérêts, de malversations, d’abus criminel de bien public et de détournements de fond. Son rôle depuis le dernier accord semble s’être réduit à celui de marionnette, comme en témoigne un document déposé par le président de l’Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem devant le parlement néerlandais lors de la procédure d’approbation du plan d’aide à la Grèce. Le document comporte 55 actions de privatisation que le gouvernement grec doit réaliser dans les deux mois à venir. Le ton de ce document, dont l’encadré en rouge n’est qu’un exemple, est des plus instructifs.
“Nous vous sommons de nommer des membres d’un conseil d’administration pour approuver les études réalisées (Bien… à quoi bon avoir fait des études alors, me direz-vous ?) pour que des ministres de l’environnement et des finances l’approuvent par un arrêté ministériel” (Bien… à quoi bon alors avoir un ministre de l’environnement et des finances ?) Débarrassé du blabla habituel dont font preuve les technocrates européens, ce document a le mérite de mettre en évidence la totale soumission à laquelle la “démocratie” grecque est contrainte.
Malgré un avenir qui reste incertain, la braderie forcée à laquelle est soumise la Grèce attire les prédateurs internationaux. Et dans la course, la France est en retard: elle n’est aujourd’hui que le quatrième investisseur dans le pays, palmarès dont l’Allemagne occupe la première position. Cet été, Vinci s’est vu rafler le contrat de la gestion de 14 aéroports régionaux, dont les plus touristiques du pays, au profit d’un consortium public allemand. Pour se rattraper, François Hollande, accompagné de ministres et d’entrepreneurs français, a visité le pays fin octobre. Il y a déclaré « Je suis ici pour aider ». C’est bien le cas, sauf qu’il oublie de préciser qui il vient aider dans cette histoire: les hommes d’affaires français, pas le peuple grec. Pour ne citer que les plus grandes entreprises françaises, Vinci espère s’emparer d’une partie du réseau routier local et des aéroports qui restent à privatiser. Alstom vise l’acquisition de la compagnie de maintenance des réseaux de chemins de fer grecs. Suez environnement lorgne toujours sur les compagnies des eaux d’Athènes et de Thessalonique, alors que la mobilisation populaire avait réussi à stopper une première tentative de privatisation.
Pour le peuple grec, que ce soient des hommes d’affaires français, allemands, chinois ou russes, le résultat sera le même: tout le secteur public va être démantelé, soumis à la loi du profit, avec les conséquences que nous connaissons autant pour les salariés que pour les usagers. Si à première vue cela donne l’impression que l’on assiste au pillage d’une nation vaincue, on aurait tort de parler de pillage de la “nation” grecque. Ceux qui se font piller sont la jeunesse, les salariés, les chômeurs, les retraités, et ce pillage se fait main dans la main avec la classe dirigeante nationale. Les représentants du patronat grec et français se sont rencontrés le 28 septembre à Paris pour définir une feuille de route commune visant à accélérer les relations commerciales entre les deux pays. C’est ce qu’ont déjà fait certaines entreprises françaises, qui se sont associées aux fortunes locales pour déposer leurs propres candidatures : Aktor (propriété de l’homme d’affaires George Bobolas) pour Suez et Vinci ou encore Damco Energy (groupe Copezoulos) pour Alstom. Chacun espère pouvoir reproduire ce qui a déjà pu être fait avec des investisseurs d’autres pays comme, par exemple, pour la juteuse opération qu’a été la vente de la loterie nationale à un consortium grec et tchèque. Le partenaire grec, Dimitris Melissanidis, est un magnat du pétrole. Un autre grand projet, à venir cette fois, est celui de l’ancien aéroport d’Athènes sur le site d’Hellinikon. La seule offre de reprise vient de Lamda Development, entreprise grecque qui contrôle également la plus importante raffinerie du pays. La famille de son dirigeant, Spiros Latsis, est considérée comme la première fortune de Grèce, estimée à quelque 3 milliards d’euros. Le projet, consistant à transformer le site de 620 hectares en un grand centre de loisirs et de tourisme, avec construction d’hôtels, d’immeubles de luxe, d’un casino, est soutenue par Global Investment Group, composé de la société Al Maabar, filiale de Mubadala Development, un fonds souverain d’Abu Dhabi, du groupe chinois Fosun (connu en France pour son rachat de Club Med) et de capitaux européens.
Comme nous l’avons écrit, les privatisations se heurtent à la résistance de la population. Le site d’Hellinikon est occupé par un centre médical solidaire, qui dispense des soins gratuits aux personnes sans couverture maladies, comme c’est le cas pour plus de 30% des Grecs. Déjà sommés de quitter les lieux en 2012, ils se disent prêts à affronter les pelleteuses de LamdaDevelopment s’il le faut. Les salariés du port du Pirée, dont la privatisation est de nouveau à l’ordre du jour, se préparent de nouveau à la résistance et menacent de faire grève prochainement. Le projet de privatisation de la gestion de l’eau à Athènes et Thessalonique a mobilisé largement dans ces villes et au-delà. Les partisans de la régie publique ont organisé en mai 2014 un référendum populaire : 98% des votants se sont prononcés contre la privatisation de l’eau. Quelques semaines plus tard, la Cour suprême grecque a rendu un arrêt la déclarant inconstitutionnelle. Alors que la victoire semblait acquise, les liquidateurs ont trouvé la parade en ne proposant cette fois-ci que de vendre 49,9% du capital, pour que l’entreprise reste “publique”. Mais la population n’est pas dupe et la lutte va s’intensifier de nouveau contre ce projet. Ce ne sont que quelques exemples, une liste des luttes en cours serait bien trop longue. Cela suffit à prouver néanmoins qu’une politique de soutien à Tsipras, après sa capitulation, est intenable. Soutenir Tsipras, c’est soutenir sa politique d’austérité et de privatisations, contre la population d’Athènes et de Thessalonique, contre les salariés du port du Pirée, contre la classe ouvrière grecque dans son ensemble. À l’inverse, s’opposer aux privatisations, soutenir les manifestants, les grévistes, c’est s’opposer à Tsipras. En Grèce, le réformisme a fait long feu. À l’offensive implacable de la Troïka et de l’oligarchie grecque, il nous faut répondre par le seul programme capable de les désarmer définitivement: celui de leur expropriation, sous la gestion de la classe ouvrière. Là où ils crient privatisation, nous répondons par le mot d’ordre d’expropriation. Il n’y a pas de demi-mesure.
La gestion des privatisations n’a certes pas été transféré au Luxembourg, comme il en avait été question lors du début des négociations, mais dans le fond cela reste la même chose: les décisions sont prisent ailleurs qu’en Grèce.
Boris Campos, PCF (35).
Le tableau vient du site suivant:
http://www.okeanews.fr/20150901-le-programme-grec-de-privatisations
Si le peuple Grec conserve son dynamisme , continuant de lutter contre les privatisations, sans succomber aux sirènes de l’extrême droite, tous les espoirs sont possibles