Dans son allocution des « vœux », Hollande a confirmé vouloir réformer la loi sur la déchéance de nationalité. Il s’agit en fait d’autoriser la déchéance pour les bi-nationaux, les personnes nées en France et ayant une autre nationalité condamnées pour terrorisme. Une nouvelle fois, le gouvernement distille le poison du nationalisme. Pendant que les sondages nous annoncent qu’une majorité de français soutient cette mesure annoncée et n’estime pas qu’elle soit contraire aux « valeurs de gauche », les capitalistes continuent de s’engraisser grâce au travail des bi-nationaux ou des mono-nationaux. Manuel Valls espère obtenir la majorité à l’Assemblée nationale, grâce aux voix de la droite et du Front National pour lequel c’est une mesure phare de son programme. Florian Philippot a déjà annoncé que le FN allait faire pression pour que cette possibilité soit étendue à des délits de manière plus large. La boîte est ouverte…
On peut très logiquement s’interroger sur l’efficacité d’une telle mesure.
Sur des images vidéo tournées en Syrie bien avant ces annonces, on avait pu voir des Français, appelant à les rejoindre en Syrie ou à commettre des attentats en France pour « tuer des mécréants », brûler leurs passeports français pour montrer qu’ils n’ont plus de lien avec leur pays. De plus, déchoir de la nationalité française risque de ne pas suffire pour dissuader certains de ne pas commettre des atrocités, comme le rétablissement de la peine de mort réclamée par Jean-Marie Le Pen aura peu d’effet sur des personnes candidates aux actions kamikazes.
Le ministère de l’intérieur annonce plus de 1000 Français partis en Syrie ou en Irak, dont 15 à 25 % sont des convertis.
Le terme « Al Faransi » (le Français en arabe) est utilisé par plusieurs combattants de l’Etat Islamique et certains apparaissent lors de l’exécution d’otages. Certains réfugiés syriens ou irakiens racontent que les Européens, et particulièrement les Français, sont parmi les combattants de l’Etat Islamique les plus cruels et les plus sadiques. Les démocrates syriens et irakiens auraient de bonnes raisons de renvoyer en France cette bande de violeurs, d’égorgeurs et d’assassins qui n’ont que la nationalité française, et que les Hollande et les Valls ne pourraient déchoir sans les rendre apatrides.
Manuel Valls dit lui-même que : « Oui, c’est une mesure symbolique ». Mais « quand des Français prennent les armes contre d’autres Français, prônant la haine de la France, brûlant d’ailleurs le passeport, reniant tout ce que nous sommes, l’Etat, la République peuvent être amenés à prendre un certain nombre de mesures, qui sont à la fois symboliques et concrètes ». Si cette mesure est symbolique, on peut se demander quel symbole est ciblé ?
Distinguer de cette manière les Français de souche et les Français nés sur le sol français est surtout le symbole de la France de Vichy et de la France coloniale.
En effet, la loi du 22 juillet 1940 a été promulguée par le gouvernement de Pétain pour examiner toute personne naturalisée depuis 1927 et pouvoir les déchoir. Raphaël Alibert, ministre de la Justice, déclarait alors : « Les étrangers ne doivent pas oublier que la qualité de Français se mérite. », une idée très largement répandue dans les rangs de l’extrême droite française. Ce collaborateur a créé une commission chargée de réviser 500000 naturalisations prononcées depuis 1927 : entre 1940 et 1944, 15 000 personnes seront déchues de la nationalité française, dont 6000 juifs et des étrangers en vertu de la loi du 1er octobre 1940 « relative à la situation des étrangers en surnombre dans l’économie française ». Raphaël Alibert, portant la responsabilité de la déportation de milliers d’apatrides, sera condamné à mort à la Libération, mais amnistié en 1959 par De Gaulle, sans n’avoir jamais été déchu lui-même de la nationalité française.
La République ne sera pas en reste sur le sujet, notamment en Algérie. Bien que l’Algérie soit déclarée terre française en 1834, les autochtones acquièrent alors la qualité de « sujets français » mais aucune procédure ne leur permet d’accéder à la nationalité française jusqu’en 1865. Mais même naturalisés Français, les Algériens ne devenaient pas citoyens français, dont sans droit de vote. Malgré les promesses d’octroi de droits politiques faites pendant la 1ère guerre mondiale, et 26 000 Algériens morts et plus de 70 000 blessés, les Algériens « musulmans » ne pouvaient élire que 10 % des conseils généraux et 45 % des conseils municipaux. Les élus « musulmans » ne pouvaient pas dépasser le tiers des élus d’une municipalité et ne pouvaient pas être élus maires ou adjoints au maire. Bien que la citoyenneté française soit reconnue en 1946 à tous les habitants de l’Algérie, le droit de vote n’est pas accordé aux femmes algériennes, et le principe du double collège (un collège européen et un collège musulman) est maintenu, la valeur d’un électeur « européen » valant 8 voix d’un électeur « musulman ». Ce n’est que 4 ans après le début de la guerre d’indépendance que les ordonnances du 15 novembre 1958 suppriment le principe de deux collèges et reconnaissent les musulmans comme « Français à part entière ». Le clivage entre citoyens français et « sujets français » dans une colonie s’est inscrit sans problème dans la légalité républicaine.
L’émotion suscitée par les atroces attentats est instrumentalisée en pointant du doigt des boucs-émissaires et ouvre des boulevards aux idées nauséabondes. Pas plus que l’Etat d’urgence, la déchéance de nationalité n’est pas le symbole de la désignation des véritables responsables de cette barbarie. La régression sociale et culturelle, la discrimination, les guerres économiques imposées par le système capitaliste en sont les véritables causes matérielles. La lutte contre les guerres et le terrorisme, contre les conséquences d’un système agonisant, ne peut se faire qu’en luttant pour son renversement.
Eric Jouen, PCF Barentin