Au cours de l’année 2014 et au-delà des élections législatives du 25 janvier dernier, les militants des mouvements ouvriers de tous les pays du continent ont suivi les développements en Grèce avec une grande attention. L’arrivée au pouvoir d’un parti qui s’engageait à mettre fin à l’austérité, de tenir tête à la Troïka (FMI, BCE, Commission Européenne), d’annuler la dette et de mettre en application un programme de réformes sociales ouvrait d’énormes possibilités. Le PCF était en première ligne de ce mouvement de solidarité.
Dès le premier jour, le gouvernement Tsipras s’est trouvé dans un bras de fer avec la Troïka et avec toutes les forces du capital. Notre devoir internationaliste était de nous tenir fermement à ses côtés face à nos ennemis communs. Cependant, notre solidarité ne devait pas être inconditionnelle, fermant les yeux sur les défauts du programme et des méthodes de Tsipras. Cette attitude critique manquait dans la solidarité affichée par la direction du PCF, comme si elle n’avait pas à se mêler de la politique menée par Tsipras. Or, si nous pensons que l’issue de la lutte en Grèce est un enjeu vital pour les travailleurs de France, la manière dont cette lutte est menée l’est tout autant. La critique fraternelle et constructive, comme la lutte des classes elle-même, ne s’arrête pas aux frontières nationales.
Notre attitude envers le gouvernement de Tsipras ne pouvait être qu’un soutien critique.
La tentative de concilier les intérêts capitalistes et une politique allant directement à l’encontre de ces intérêts était vouée à l’échec. Les ennemis rangés contre le gouvernement de Syriza – la classe capitaliste grecque, les gouvernements nationaux, la Commission Européenne, la BCE, le FMI, toutes les banques centrales et tous les groupes industriels et commerciaux du continent – avaient des intérêts absolument vitaux à défendre. Mais la « stratégie » de Tsipras ne tenait pas compte de cette évidence. Le point de départ de la lutte contre la Troïka devait être l’annonce d’un vaste programme de réformes sociales concernant les salaires, les droits des travailleurs, la création d’emplois, le financement de la santé publique, des écoles et des universités. Il fallait s’efforcer de mobiliser les travailleurs grecs autour de ce programme et, pour permettre sa réalisation, appeler le mouvement ouvrier à l’action pour exproprier la classe capitaliste. Ceci aurait permis de briser la capacité de résistance des capitalistes grecs et de limiter, du même coup, les moyens dont dispose la Troïka pour saborder l’économie nationale. Mais la politique de Tsipras n’envisageait aucune mesure contre la propriété capitaliste. Il prétendait pouvoir en finir avec l’austérité sans toucher aux intérêts capitalistes. Notre solidarité avec la lutte de Syriza ne devait pas occulter cette faiblesse majeure.
La politique de Tsipras a changé radicalement au lendemain du référendum.
Le peuple a massivement rejeté la politique d’austérité voulue par Merkel et la Troïka. Mais Tsipras a fait exactement l’inverse. Il a signé un accord désastreux pour le peuple grec. Les ministres hostiles à ce revirement ont été sortis du gouvernement. Les premières mesures de régression sociale présentées par son gouvernement ont été votées en s’appuyant sur les députés de droite, contre son propre camp. Il était élu pour lutter contre l’austérité. Désormais il luttait – en alliance avec ses ennemis d’hier – pour l’imposer. A partir de ce moment-là, soutenir Tsipras – de façon « critique » ou pas – n’avait plus du tout la même signification qu’avant. Cela n’avait plus aucun sens du point de vue des intérêts des travailleurs grecs et européens.
Cependant, malgré la volte-face de Tsipras, la direction du PCF a réaffirmé sa solidarité avec lui et a tenté de justifier sa nouvelle politique. Faisant allusion à l’opposition du Comité Central de Syriza aux choix du gouvernement, le communiqué du CN du PCF déclare que « Nous devons être très vigilants à ne pas nous immiscer dans les débats internes de Syriza. » Mais non ! Les questions qui divisaient Syriza et qui, peu de temps après, ont fini par scinder l’organisation en deux, sont d’une importance fondamentale pour la lutte contre le capitalisme en Grèce et dans toute l’Europe. Elles nous concernent directement. Nous avons non seulement le droit mais aussi le devoir de nous exprimer sur ces questions. Et puis, se rendre en Grèce, comme l’a fait Pierre Laurent, et déclarer son soutien à la politique de Tsipras, malgré l’opposition de son parti, n’était-ce pas déjà prendre parti et donc « s’immiscer dans les débats internes de Syriza » de la façon la plus flagrante ?
Le point de vue de Pierre Laurent a été donné dans une interview de Marianne, le 25 juillet dernier. Il dit que les « solutions apportées par Tsipras étaient totalement viables » et place la responsabilité du revirement de Tsipras « entièrement sur les épaules des dirigeants européens ». Il dit que Tsipras devait choisir entre la sortie de l’UE et l’austérité, et que Tsipras a fait « le choix d’éviter la faillite bancaire » et précise que pour lui [Pierre Laurent], « il n’y avait pas d’autres alternatives ». Comme pour Tsipras, la mobilisation des travailleurs contre les capitalistes en Grèce n’est manifestement pas une option. Il ajoute que cette situation « n’est pas acceptable dans la durée » et défend la nécessité d’un changement de la politique au niveau européen pour « permettre des politiques de relance et d’investissement », car « il n’y a pas de solution avec le maintien des politiques actuelles. » L’idée de Pierre Laurent, c’est qu’il faudrait que deux ou trois pays prennent position dans ce sens pour « retrouver des marges de manœuvre sur les pouvoirs financiers » et que surtout si un pays aussi important que la France s’y engageait, le rapport de force en Europe serait modifié. En attendant, Tsipras ne peut qu’accepter la politique qui lui a été imposée. Tant que les grandes orientations de l’UE restent ce qu’elles sont – et qui, au juste, pourrait les changer, par quel procédé et dans combien de temps ? – l’austérité est apparemment la seule « alternative » possible !
Nous l’avons déjà dit : nous ne pensons pas qu’il n’y avait pas d’alternative pour la Grèce. Il y a l’alternative d’une lutte contre le pouvoir capitaliste qui signifierait, en effet, sortir de l’Union Européenne. Considérer que la sortie de l’Union Européenne est nécessairement une catastrophe et que, pour le privilège d’y rester, il faut accepter les dictats de Merkel est une position tout à fait inacceptable. Pierre Laurent a raison quand il dit, dans la même interview, que la sortie de l’Union Européenne ne libèrerait pas la Grèce de la pression des marchés financiers. Les lecteurs réguliers de La Riposte sauront que c’est un argument que nous avons opposé aux « souverainistes » dans le parti et ailleurs, pour qui la sortie de l’UE sur la base du capitalisme résoudrait les problèmes de la Grèce ou de la France. Mais rester dans l’Union Européenne n’est pas une solution non plus. N’importe quel pays où les travailleurs ou un gouvernement agissent pour s’émanciper de l’emprise des « pouvoirs financiers » – c’est-à-dire de la classe capitaliste – se mettrait en opposition frontale avec l’Union Européenne, qui n’existe que pour défendre ces pouvoirs. L’Union Européenne ne peut pas être réformée. Elle est entièrement sous le contrôle des capitalistes et au service de leurs intérêts. L’émancipation des travailleurs, ou même une avancée sérieuse sur la voie de cette émancipation, dans un pays périphérique comme la Grèce, signifierait d’emblée une rupture avec l’Union Européenne. S’il s’agit d’un pays comme la France, ce serait tout simplement la fin de l’UE, puisqu’elle ne pourrait pas exister sans la France.
Même maintenant, après la démission de Tsipras et la convocation de nouvelles élections qui, espère-t-il, lui donneront une majorité parlementaire favorable à la politique d’austérité ordonnée par Merkel, la direction du parti continue à saluer son « courage ». Dans la réplique donnée à Laurent Joffrin (dont nous ne partageons pas, bien évidemment, les idées) dans Libération (17 août), Pierre Laurent qualifie d’« imaginaire » le ralliement de Tsipras à une politique d’austérité. Mais il n’y a rien d’imaginaire dans ce ralliement. Les travailleurs grecs le sentent (et vont le sentir plus fortement encore) de façon très concrète. Tsipras a rallié l’austérité parce que, pour lui, l’alternative d’une lutte contre la propriété capitaliste n’est pas une option. Si la direction du PCF le suit aussi aveuglement dans son évolution, c’est peut-être que ce n’est pas une option pour elle, non plus ! Quoiqu’il en soit, si Tsipras forme le prochain gouvernement en Grèce, en alliance avec le PASOK et la droite, contre Union Populaire (issue de l’aile gauche de Syriza) et le KKE, s’il applique la politique exigée par Merkel, s’il envoie la police contre les grévistes et les manifestants, comme il l’a déjà fait avec les mineurs de Skouriès, et si, ici en France, les dirigeants de notre parti continuent à justifier sa politique, cela ne pourrait que porter gravement préjudice à la crédibilité du PCF et à son combat contre l’austérité ici en France.
Greg Oxley. PCF Paris 10.
Tout à fait d’accord avec votre analyse, il est sur que Pierre Laurent et les économistes du PCF sont en train de soutenir A.Tsipras alors que celui est en train de vendre tous les biens public de la Grèce ce qui m’a amener à démissionner du PCF car pour moi on est plus dans une démarche communiste.