Candidat aux élections qui désigneront le nouveau dirigeant du Parti Travailliste, le député Jeremy Corbyn (Islington North, Londres), s’oppose à la politique pro-austérité de l’ancienne direction et de la majorité des parlementaires du parti. C’est une élection sans précédent dans le mouvement ouvrier britannique, car le nouveau mode de scrutin permettra à non moins de 610 000 adhérents et sympathisants d’y participer directement. Plus de 150 000 nouveaux inscrits témoignent de la mobilisation massive de la base du mouvement syndical et des sympathisants du parti. L’écrasante majorité des nouveaux inscrits sont favorables à Corbyn, qui pourrait bien être élu. Les réunions publiques autour de Corbyn, organisées dans les quatre coins du pays, ont attiré des dizaines de milliers de personnes. On n’a jamais rien vu de comparable depuis les années 1930. Les bureaux de vote sont déjà ouverts et le résultat du scrutin sera connu le 12 septembre 2015.
L’ancien dirigeant du parti, Ed Miliband, a démissionné dans la foulée de la défaite des Travaillistes aux dernières élections législatives. Sous sa direction, comme sous celle de Blair, la politique du parti était pratiquement la même que celle des Conservateurs. L’absence d’une alternative politique a permis au parti de David Cameron de rester au pouvoir, ouvrant la voie à une régression sociale encore plus draconienne que celle du gouvernement précédent. Le fait que la direction du Parti Travailliste était acquise au capitalisme constituait un avantage colossal pour la classe capitaliste. La candidature de Jeremy Corbyn exprime la volonté de l’aile gauche du parti travailliste et de sa base syndicale d’en finir avec des décennies de soumission aux intérêts capitalistes et de réarmer le parti avec une politique dans l’intérêt des travailleurs.
L’émergence d’une opposition de gauche dans le parti a de quoi inquiéter la classe dirigeante britannique. Corbyn est soutenu par des organisations syndicales massives telles que UNITE (1,49 millions d’adhérents), UNISON, qui organise les salariés des services publics avec 1,3 million d’adhérents, ou encore le syndicat des cheminots et des marins, le RMT, avec 80 000 adhérents, le CWU des communications (199 000 adhérents) et le FBU des pompiers (70 000 adhérents).
Toute la machine politico-médiatique a été mobilisée pour discréditer Corbyn et appuyer les candidats dits « modérés » que sont Andy Burnham, Yvette Cooper et Liz Kendall. Sous prétexte de son opposition aux guerres impérialistes en Irak ou en Afghanistan et de sa dénonciation des méthodes criminelles employées par l’armée britannique en Irlande du Nord, Corbyn a même été accusé d’indulgence envers le terrorisme. Mais loin d’avoir affaibli la mobilisation autour de sa candidature, l’acharnement médiatique a eu l’effet inverse. L’intervention hostile de Tony Blair, en particulier, a fait beaucoup de bien à Corbyn. Blair est le représentant par excellence des politiciens « travaillistes » ouvertement pro-capitalistes, menteurs (armes de destruction massive en Irak), véreux et hypocrites qui ont dominé le parti depuis des décennies. La base du mouvement ouvrier et du Parti Travailliste ne veut plus de ceux-là. Elle veut un Parti Travailliste d’opposition et de lutte, un parti qui, s’il se trouve au pouvoir, gouvernera dans l’intérêt des travailleurs.
Il y a de quoi faire. Depuis des décennies, gouvernement après gouvernement, les acquis sociaux durement arrachés par le mouvement syndical et travailliste dans le passé ont été rongés et détruits. Le service de santé nationale (NHS) – ou ce qu’il en reste – est dans un état lamentable. L’éducation publique manque cruellement de moyens. Les droits des travailleurs dans tous les secteurs ont été constamment remis en cause. Il y a, par exemple, le scandale des « contrats à zéro heure », où les employeurs ne donnent aucun engagement concernant les horaires des salariés, qui doivent pouvoir se rendre au travail à n’importe quel moment de la journée et qui ne sont rémunérés que pour les heures effectivement travaillées. S’il n’y a pas de travail, ou très peu, dans une semaine donnée, les travailleurs sous ce type de contrat n’ont pourtant pas le droit de travailler ailleurs. Ils doivent se tenir à la disposition du patron, qu’il ait besoin d’eux ou pas. Près de 700 000 travailleurs sont concernés par ces « contrats à zéro heure ».
Parmi les points clés du programme défendu par Jeremy Corbyn, il y la construction massive de logements sociaux, l’expropriation des terrains et bâtiments tenus et laissés inoccupés par des spéculateurs, le contrôle et la supervision des loyers et de nouvelles lois pour protéger les locataires du secteur privé, l’abolition des frais universitaires pour que l’université redevienne entièrement gratuite, la création d’un service public de formation continue, ouvert aux salariés tout au long de leur vie et financé par une augmentation des taxes sur les capitalistes et des charges patronales. Il s’engage également sur la renationalisation sans indemnisation (ou presque) des chemins de fer et l’introduction d’une gestion plus démocratique et contrôlée du secteur ferroviaire. A la fin des franchises accordées aux compagnies privées du secteur, les dispositifs concernés reviendront automatiquement à l’Etat. L’imposition des grandes fortunes à hauteur de 50% sera rétablie. Des mesures sont aussi envisagées en faveur des femmes pour réduire les inégalités en termes de rémunération et de conditions de travail. Corbyn refusera de siéger au Privy Council de la Reine, et publiera les rapports indiquant le montage de mensonges utilisés par l’Etat britannique sous Tony Blair afin de justifier l’invasion de l’Irak. Concernant les statuts du Parti Travailliste, la référence à l’objectif du socialisme et d’une économie nationalisée et sous contrôle démocratique sera remise à l’ordre du jour.
L’émergence d’une puissante aile gauche dans le Parti Travailliste souligne l’importance de perspectives en politique, et notamment en ce qui concerne les organisations traditionnelles de la classe ouvrière. Ce développement montre que malgré l’évolution nettement droitière de sa direction depuis longtemps – depuis, en fait, la défaite de la grève des mineurs en 1985 – le Parti Travailliste est loin d’être politiquement « mort », contrairement à ce que nous avons l’habitude d’entendre de la part de divers groupements ultragauchistes. Malgré toutes les dérives et capitulations de ses dirigeants, le Parti Travailliste a conservé ses liens avec les syndicats. Les travailleurs britanniques ne disposent d’aucune autre organisation politique pour représenter leurs intérêts. La seule voie qui leur est ouverte est donc celle de la reprise en main du Parti Travailliste. C’est une chose pour un petit groupe de quelques dizaines de « révolutionnaires » de proclamer la mort du Parti Travailliste et des syndicats, mais les travailleurs ne peuvent pas se permettre ce genre de caprice.
Certes, Jeremy Corbyn ne défend pas une politique révolutionnaire telle que nous l’entendons. De notre point de vue, la lutte contre les conséquences du capitalisme – l’austérité, la guerre – ne peut aboutir que si elle s’inscrit dans un programme visant à mettre fin à la source même du pouvoir capitaliste, à savoir la propriété privée des banques, de l’industrie et de l’ensemble des grands moyens de production et d’échange. Corbyn ne va pas aussi loin. Mais ses prises de position représentent un grand pas en avant par rapport au blairisme qui prédominait jusqu’à présent. C’est un développement que nous devons soutenir et encourager. Il faut balayer les Conservateurs à la première occasion qui se présentera. Et la seule force capable de remplacer la droite au pouvoir est celle que constituent le Parti Travailliste et les organisations syndicales qui sont liées à ce parti. Le mot d’ordre Labour to power on a Socialist programme ! [Les Travaillistes au pouvoir sur un programme socialiste !] devrait donc former l’axe central du combat du mouvement ouvrier dans la période à venir. La lutte contre le capitalisme britannique implique un engagement sérieux dans les nombreuses luttes syndicales qui se déroulent actuellement en Grande-Bretagne, en luttant par la même occasion pour défendre les véritables idées du socialisme (ou du communisme – car c’est la même chose sous un autre nom) dans les structures locales des syndicats et du Parti Travailliste. Le mouvement ouvrier britannique commence enfin à renouer avec les grandes traditions militantes qui marquent son histoire. Nous ne pouvons que l’y encourager.
Greg Oxley, PCF Paris 10