L’ annonce, mi-décembre 2014, du rétablissement des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Cuba aurait donné lieu à des « scènes de liesse » sur l’île et en Floride.
Mais que signifient, pour l’avenir de Cuba, les accords secrètement négociés entre les deux gouvernements et dont nous découvrons peu à peu le contenu ? Et que nous apprennent-ils sur l’évolution du régime cubain au cours de la dernière période ?
Depuis 1961, au moyen d’interventions armées, d’attentats terroristes, de tentatives d’assassinat, d’un embargo économique et de tout ce qu’il a pu trouver à sa disposition, l’impérialisme américain a cherché à affaiblir et déstabiliser le régime cubain. Il n’a jamais pardonné au peuple cubain d’avoir renversé le capitalisme, nationalisant les moyens de production et les ressources naturelles du pays, détenus précédemment à 75% par les capitalistes américains.
Pendant trois décennies, les avantages de l’économie planifiée ont été démontrés sans appel.
Il suffit de comparer les avancées dans les domaines de l’éducation, de la santé, des conditions de logement, le développement des infrastructures économiques et culturelles à Cuba avec la situation désastreuse faite aux peuples des pays voisins comme la Jamaïque ou Haïti, restés, eux, sous la domination impérialiste. Si l’île de Cuba a pu faire face aux pressions et menaces qui pesaient sur elle pendant toute cette période – et malgré la proximité du plus puissant des pays impérialistes au monde -, c’est grâce à la planification économique et à l’éradication de la rapacité capitaliste sur le plan intérieur d’une part, et, d’autre part, à la coopération économique, fondée sur des échanges qui lui étaient très favorables, avec l’URSS et le « bloc de l’Est ».
Mais l’effondrement de l’URSS, où la bureaucratie « communiste » a rétabli le capitalisme au profit d’elle-même, transformant ainsi les représentants dirigeants du PCUS en une classe capitaliste mafieuse, a exposé l’économie cubaine aux pressions implacables du marché mondial capitaliste et, en particulier, des visées contre-révolutionnaires de son puissant voisin. On pouvait s’attendre à ce que le capitalisme revienne à Cuba, mais, malgré toutes les difficultés, les générations de l’époque se souvenaient de la réalité cubaine d’avant la révolution – faite de dictatures, d’oppressions et de misère – et n’avaient aucune envie d’y revenir. Un autre facteur était que la bureaucratie cubaine était consciente qu’une restauration capitaliste ne profiterait pas essentiellement à elle-même, comme cela a été le cas en URSS et en Chine, mais aux puissants intérêts capitalistes des Etats-Unis et aux « exilés » contre-révolutionnaires en Floride etc. L’économie a tout de même souffert énormément. Le niveau de vie des Cubains également. Les révolutions qui ont éclaté en Amérique latine continentale, notamment au Venezuela et en Bolivie, ont été une bouée de sauvetage pour l’économie cubaine. Nous savions, nous qui avons suivi et soutenu ardemment le processus révolutionnaire au Venezuela et en Bolivie, que le sort de Cuba ne pouvait se décider à partir des seules ressources de l’île, mais qu’il serait tranché par l’aboutissement – ou non – des révolutions continentales. Si ces révolutions avaient été menées à terme, aboutissant à l’expropriation de la classe capitaliste, la révolution cubaine aurait été sauvée. Par contre, le maintien d’une économie planifiée entourée de pays capitalistes n’est pas possible indéfiniment.
En plus des dangers extérieurs, la révolution est menacée de l’intérieur.
A Cuba, dès le début, la classe ouvrière n’a jamais eu le pouvoir de diriger consciemment et collectivement les affaires du pays. Le pouvoir politique et militaire est entre les mains d’une caste d’officiels qui ne sont pas élus et qui, s’ils répondent de leurs actes à qui que ce soit, ne répondent qu’aux officiels encore plus haut placés dans l’appareil de l’Etat. Cela a laissé la porte ouverte à toutes les formes de corruption et de trafic d’influence qui ont gangrené la société et démoralisé la jeunesse cubaine depuis longtemps. Il y a clairement des tendances favorables à la restauration du capitalisme – prudemment dénommé « économie de marché » dans les textes officiels – au sein du régime. Les accords ouvrant davantage l’économie aux investisseurs privés indiquent que c’est cette tendance qui prend le dessus dans les échelons supérieurs de l’Etat.
La question de l’extension de la révolution est toujours la clé de l’avenir de Cuba. Seulement, les révolutions au Venezuela et en Bolivie marquent le pas. Le capitalisme est encore debout dans ces pays et s’emploie, de surcroît, à corrompre et dénaturer progressivement les gouvernements « révolutionnaires » sur place. Le danger d’une contre-révolution est désormais une perspective à court terme, à Cuba. Le secteur capitaliste se développe insidieusement depuis des années, mais l’ouverture des relations économiques avec les Etats-Unis permettront, selon les termes des accords, aux grands groupes industriels, commerciaux et bancaires américains d’investir dans l’économie cubaine. La tactique américaine change, mais l’objectif reste le même. Les accords prévoient l’embauche et l’exploitation de salariés par les entreprises cubaines et aussi étrangères, sur des bases capitalistes. Ceci va énormément accélérer l’installation des rapports sociaux et économiques capitalistes. A terme, avec leurs dollars, leurs « affaires », leurs marchandises sophistiquées et bon marché, les capitalistes finiront par rétablir le capitalisme – et donc la domination impérialiste – à Cuba. Ceci signifierait la destruction progressive des acquis de la révolution.
Greg Oxley
PCF Paris 10