Depuis le milieu des années 70, pour lutter contre le chômage, les gouvernements successifs multiplient les contrats aidés. Pour ces contrats, l’employeur bénéficie d’aides, qui peuvent prendre la forme de subventions à l’embauche, d’exonérations de cotisations sociales, etc. En 2014, nous en sommes à 400 000 emplois aidés pour un budget de 11 milliards d’euros.
Correspondant moi-même à la catégorie des personnes rencontrant des difficultés d’insertion professionnelle, j’ai pu expérimenter ce dispositif de mars à septembre 2014. Voici le « deal » de départ : on me propose un mi-temps de 20h, un contrat de 6 mois reconductible jusqu’à 2 ans « si je fais l’affaire » et on me prévient qu’à titre exceptionnel je pourrais travailler un samedi, voire un dimanche de temps en temps, car dans le monde agricole on est tributaire de la météo… Je n’y vois aucun problème, trop content de trouver un boulot et je signe le contrat.
Je découvre rapidement la face cachée de ce contrat. D’abord, je n’ai pas d’horaires de travail à proprement parler ; je dois venir quand on a besoin de moi (en invoquant toujours la spécificité du monde agricole). Payé pour 20 heures de travail hebdomadaires, je peux donc être présent sur mon lieu de travail chaque jour de la semaine. Je dois faire face, en conséquence, à des dépenses de transport disproportionnées. Dans un second temps, je découvre que les heures de travail sont « annualisées », ce qui veut dire que je peux alterner des semaines de 54 heures de travail avec des semaines d’inactivité presque totale. Les heures supplémentaires n’existent plus dans ces conditions.
Mais ce n’est pas tout. Dans les faits, je me retrouve dans une situation de travail en astreinte. Parfois mon patron n’est pas capable de me dire si je dois venir le lendemain ou les jours qui suivent (spécificités agricoles, météo, etc.). Je dois donc être dans la capacité de me rendre sur mon lieu de travail dans l’heure sur un simple coup de téléphone. Bien entendu, je n’ai aucune compensation financière pour ces astreintes qui n’en sont pas.
Et ce n’est toujours pas tout. On rechigne lorsque je souhaite prendre mes congés. Le patron négocie, il souhaite que je reste « disponible » au moins pendant mes deux premiers jours de congés. Dans l’idéal – son idéal – il voudrait que mes jours de congés correspondent aux jours où je n’ai pas pu venir travailler à cause des … spécificités agricoles ! Il va même très loin lorsqu’il demande à sa secrétaire de m’expliquer que, puisque je travaille à mi-temps, une journée de mes congés correspond à une demi-journée de congé « normal » (c’est-à-dire d’un contrat 35 heures). En clair, il essaye de diviser mes congés par deux.
Je fais l’impasse sur les conditions de travail. J’ai eu l’opportunité de retrouver un meilleur contrat ailleurs et je n’ai pas souhaité poursuivre. C’est alors que je découvre la dernière surprise de ce contrat. Puisque je pars, mon collègue me confie que mon patron n’a jamais eu l’intention de reconduire le contrat, qu’il ne l’a jamais fait et qu’il ne le fera jamais… parce qu’au bout de 6 mois de travail, il doit obligatoirement m’inscrire à une formation d’un coût de 600€ pour que je puisse continuer à manipuler des produits phytosanitaires. Il est plus intéressant pour lui de trouver un nouveau CAE.
Mon collègue, expérimentateur agricole, me confie que lui aussi souffre de ce travail malgré son CDI, car il devra de nouveau former une nouvelle personne et subir de fortes pressions et responsabilités, et qu’il préférerait avoir un collègue en CDI pour pouvoir se décharger de ces moments de formation qui alourdissent son travail.
En conclusion, cette expérience professionnelle ne m’a rien apporté. Elle m’a coûté de l’argent (frais de transport et de repas). Elle ne m’a pas donné une expérience assez significative pour continuer à travailler dans le domaine agricole. De plus, je n’ai désormais plus le droit de signer un CAE dans ce domaine alors que mon patron peut, lui, recruter des CAE à loisir. Cet emploi m’a juste permis de ne plus culpabiliser en touchant mon RSA…
Quel est le sens de ces 11 milliards d’euros consacrés aux contrats aidés ? Dans la pratique, les patrons qui peuvent bénéficier de ces aides ne s’en priveront pas. Ces 400 000 précaires sont une source de « flexibilité » et de main d’œuvre à moindre frais. Pire, le spectre du chômage et la peur de la stigmatisation que crée le RSA servent de pompe pour alimenter cette manne pour les patrons. Alors, même si on peut avoir l’impression que ces contrats peuvent servir de tremplin ou au pire dépanner un temps, il est nécessaire que les travailleurs se battent pour que ce type de contrat disparaisse.