Le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse était un événement politique important.
La classe dirigeante britannique envisageait avec horreur la possibilité d’une rupture de l’union avec l’Angleterre, organisée il y a plus de trois siècles par un accord entre les aristocrates des deux côtés de l’ancienne frontière. Par contre, le vote favorable à la sécession était particulièrement élevé dans les quartiers populaires. Clairement, la perspective d’une Ecosse indépendante a enthousiasmé et mobilisé une partie importante de la classe ouvrière écossaise. Le vote indépendantiste (45% des voix exprimées, avec seulement 15% d’abstention) recouvre, bien évidemment, des motivations diverses.
Mais il est clair que des centaines de milliers de travailleurs écossais considéraient la lutte pour le « oui » comme une lutte contre l’ordre établi, une lutte d’émancipation sociale et nationale.
L’Ecosse, comme l’ensemble de la Grande-Bretagne, a été très durement touchée par la crise économique de ces dernières années. Le chômage a massivement augmenté. Et ces mêmes années ont été émaillées d’événements mettant clairement en évidence le rôle destructeur et parasitaire des grands groupes bancaires et industriels, ainsi que tous les échelons de l’Establishment britannique, y compris la famille royale. Les travailleurs cherchent une issue. Ils aspirent à un changement. Mais ils n’en trouvent pas dans le comportement passif des dirigeants de la TUC (confédération nationale des syndicats) et de sa branche écossaise, la STUC. Quant au Parti Travailliste, sa direction est composée d’éléments qui sont acquis corps et âme au système capitaliste.
Ainsi, en votant « oui » à l’indépendance, les travailleurs écossais ont saisi le seul espoir de « changement » qui se présentait.
Selon leur vision des choses, le vote pour l’indépendance était un vote contre la régression sociale et la misère, un vote dirigé contre les « grands et puissants », contre les intérêts de la classe dominante, contre la monarchie, et contre les bilans désastreux de tous les gouvernements – de droite ou de « gauche » – qui ont siégé à Westminster depuis des décennies. Depuis l’époque de Thatcher, le Parti Conservateur a pratiquement cessé d’exister en Ecosse. Le Parti Travailliste dominait la vie politique du pays. Mais l’orientation droitière du Parti Travailliste sous la direction de Tony Blair et de ses successeurs a largement discrédité le parti aux yeux des travailleurs écossais.
Le ressentiment contre la classe dirigeante et contre les politiciens n’est pas limité à l’Ecosse, bien entendu. Le referendum écossais n’a fait que révéler l’esprit de révolte qui couve dans une fraction grandissante de la classe ouvrière et de la jeunesse britanniques. Le virage droitier des dirigeants du Parti Travailliste a préparé le terrain pour la tendance séparatiste qui s’est massivement exprimée chez les travailleurs dans le referendum, même si le « non » l’a finalement emporté lors du scrutin.
Le Parti Nationaliste Ecossais (SNP) est un parti de droite, dont la propagande cherche à détourner la colère des travailleurs vers le nationalisme réactionnaire. Comme si la cause de la crise économique n’était pas le capitalisme, mais le fait que le siège du gouvernement se trouve à Londres. Son nationalisme cherche à diviser les travailleurs selon qu’ils soient d’origine anglaise ou écossaise.
Le nationalisme est partout un poison pour la conscience des travailleurs. Il les divise entre eux et les rattachent à leur « propre » classe dirigeante.
Certes, il faut défendre le droit des Ecossais à l’autodétermination. Mais ceci ne nous oblige aucunement à militer pour la séparation, pas plus que la défense du droit au divorce ne nous oblige à prôner la séparation des couples mariés.
Une Ecosse capitaliste indépendante ne résoudrait absolument aucun des problèmes des travailleurs.
Son indépendance ne serait que nominale, de toute façon. Sans ou avec l’indépendance, les travailleurs écossais subiront la domination des grands groupes capitalistes – et la régression sociale qui va avec – jusqu’à ce que les travailleurs y mettent fin. Le fait que de nombreux groupements se qualifiant de « marxistes » aient cédé à la tentation nationaliste ne fait que démontrer qu’ils ne comprennent rien à la position de Marx ou de Lénine sur cette question. Tout en comprenant les aspirations sociales dont le vote séparatiste est une expression, il faut dire la vérité aux travailleurs : le séparatisme écossais est un leurre. L’économie du pays est inextricablement liée à celle du reste de la Grande-Bretagne et de l’Europe, et cela depuis très longtemps, au point qu’il n’existe aucune classe capitaliste « nationale » en Ecosse. Le SNP, par exemple, prône le maintien de l’Ecosse dans l’Union Européenne et son adhésion à l’OTAN.
Les travailleurs qui ont opté pour le « oui » lors du référendum ne sont pas pour autant des nationalistes. Ce courant existe chez les travailleurs, mais il est très minoritaire. Le travailleur écossais n’a aucune raison d’en vouloir au travailleur anglais ou gallois. Ils ont les mêmes intérêts de classe et, historiquement, ils se sont toujours battus ensemble pour les défendre. L’union de la classe ouvrière est primordiale, et nous sommes pour le maintien des organisations syndicales et politiques communes des travailleurs en Grande-Bretagne, indépendamment de leur nationalité, de leur langue ou de leur religion. Mais cela ne suffit pas. Même si les travailleurs sont « unis », du moins potentiellement, dans des organisations communes, le problème du programme et des idées que défendent ces organisations demeure intact. A notre époque, le capitalisme signifie la régression sociale permanente, que ce soit en Ecosse, en Angleterre, ou ici en France. Par conséquent, une lutte contre cette régression ne peut être sérieusement engagée que sur la base d’un programme comprenant des mesures décisives pour briser l’emprise des capitalistes sur l’économie et sur l’Etat.
Notre tâche est de convaincre les militants du mouvement ouvrier et la jeunesse de la nécessité d’une rupture avec le système capitaliste. Les revendications sociales comme la défense de l’emploi et des salaires, des services publics, et aussi les revendications démocratiques – dont le droit à l’autodétermination nationale – doivent être liées à la nécessité d’en finir avec le capitalisme. Les luttes qui attendent les travailleurs écossais ne pourront que souligner l’importance cruciale de la solidarité et de l’action commune entre tous les travailleurs britanniques. Cette orientation internationaliste n’est pas fondée sur des considérations sentimentales ou abstraitement « fraternelles ». Elle découle des conditions réelles dans lesquelles se déroule la lutte des classes. La mise en place de nouvelles frontières et la division des pays en petits Etats n’avanceront en rien le combat contre les capitalistes. Le problème n’est pas de libérer les « Ecossais » de la domination « anglaise », mais de libérer l’ensemble des travailleurs de ce système rapace et destructeur que l’on appelle le capitalisme. L’abolition de la propriété privée des grands moyens de production et du système bancaire libérerait l’économie de la loi du profit et jetterait les fondements d’une coopération fraternelle, démocratique et mutuellement bénéfique entre les travailleurs de tous les pays.