La grève des mineurs britanniques de 1984-1985 est l’un des plus grands épisodes de la lutte des classes au cours de ces dernières décennies.
Pendant douze mois d’un conflit âpre et implacable, les mineurs ont fait preuve d’une combativité exemplaire. Dans l’épreuve de force entre le gouvernement Thatcher et les mineurs, les enjeux des deux côtés étaient énormes. Les intérêts de classe se cachent ordinairement derrière la façade de « démocratie ». Mais ici, les rôles de la presse capitaliste, de la « justice », de la police et de toute la machinerie de l’Etat ont été exposés au grand jour dans toute leur brutalité. Plus de 10 000 mineurs ont été arrêtés. Deux ont été tués sur des piquets de grève, des centaines blessés. Pour le mouvement ouvrier et tous les travailleurs britanniques, les conséquences de la défaite des mineurs furent graves et durables.
Pour comprendre pourquoi la classe capitaliste et le gouvernement voulaient écraser les mineurs, il faut remonter au début des années 70. Les conservateurs étaient au pouvoir, à l’époque, avec Ted Heath comme Premier Ministre. Les attaques de ce gouvernement contre les travailleurs ont rapidement provoqué une vague de luttes qui a abouti à son renversement en 1974. Un mois seulement après l’installation de Heath à Downing Street, en 1970, il a dû décréter un « état d’urgence » – autorisant, entre autres, l’utilisation de l’armée contre la population – pour faire face à une grève massive des dockers. Peu de temps après, en septembre, 250 000 travailleurs municipaux se sont mis en grève. Ces grèves furent généralement victorieuses. Les électriciens se sont lancés à leur tour, arrachant une augmentation de salaire de 13 %. Ils ont même coupé le courant à Buckingham Palace.
« Piquets volants » et solidarité de classe
L’apogée de cette vague de luttes fut la grève des mineurs de 1972. La grève était tellement solide qu’aucun piquet de grève ne fut nécessaire dans l’industrie des charbonnages. Les grévistes pouvaient donc se concentrer sur le blocage des mouvements de stocks de charbon vers les centrales électriques et d’autres installations stratégiques. Ils ont développé la tactique des « piquets volants », mobilisant massivement pour bloquer l’accès aux sites ciblés. Inspirés par l’exemple des mineurs, d’autres secteurs se mirent en grève. 1 800 livreurs de voitures aux concessionnaires ont fait grève en solidarité avec les mineurs, qui ont finalement obtenu une augmentation de salaire de 20 % et bien d’autres concessions, infligeant une défaite humiliante au gouvernement et renforçant par la même occasion l’esprit de résistance et le moral de toute la classe ouvrière.
Le gouvernement n’était pas certain de la fiabilité de l’armée. Lorsqu’un parlementaire a demandé au Ministre de l’Intérieur, Reginald Maudling, pourquoi il n’avait pas envoyé l’armée contre les mineurs, celui-ci répondit qu’il « aurait fallu décider si les fusils des soldats allaient être chargés ou pas. Dans les deux cas, on allait vers une catastrophe. » C’est dans ce contexte que le gouvernement Heath a été acculé à la démission en 1974. Les Travaillistes ont gagné les élections. Heath a été remplacé par Thatcher à la tête du Parti Conservateur, qui est revenu au pouvoir en 1979. Thatcher était décidée à venger la défaite de 1972.
La nationalisation de l’industrie minière en 1947 avait été acclamée par les mineurs, qui se considéraient comme les gardiens de cet acquis. Cependant, ils ont vite compris que l’industrie était dirigée par des bureaucrates et qu’elle servait de « vache à lait » (du)au capitalisme. Avec Thatcher, ces bureaucrates voulaient définitivement briser le pouvoir du syndicat des mineurs, la NUM. Une véritable stratégie de guerre a été mise en place à cette fin. Le Rapport Ridley prévoyait une accumulation massive des stocks de charbon, le recrutement de chauffeurs non syndiqués pour le transport du charbon, la suppression des allocations sociales pour les grévistes, la transformation des centrales électriques (pour)par une alimentation en fioul et la formation d’une nouvelle branche de la police nationale sur des bases quasi-paramilitaires. Ian McGregor – un « casseur de syndicats » américain – a été nommé à la Direction des Charbonnages. Sur un total de 198 puits, 141 furent déclarés « économiquement non-viables ». Il fallait les fermer, et supprimer 100 000 emplois au passage.
Depuis 1981, le NUM était présidé par Arthur Scargill, qui s’était illustré comme l’un des dirigeants les plus combatifs de la grève 1972. Et maintenant que tous les préparatifs du gouvernement étaient en place, les mineurs commençaient à essuyer provocation sur provocation, avec une succession d’annonces de fermetures de puits : Lewis Merthyr au Pays de Galles, Polmaise en Ecosse, etc. McGregor haussait le ton, parlant de 20 puits et 20 000 emplois qui devaient disparaître à court terme.
Un vote national des mineurs a donné 61 % des voix contre une grève. De nombreux mineurs sentaient qu’un piège leur était tendu. Avant d’engager un combat, il fallait une vaste campagne d’explication, de mobilisation et de préparation. Une lutte était inévitable. Le gouvernement avait une stratégie et de puissants moyens. Les mineurs avaient besoin, eux aussi, d’une stratégie à la hauteur de la situation. Le 1er mars 1984, McGregor annonçait la fermeture de Cottonwood, dans le Yorkshire. Les mineurs du comté se mirent en grève. Des « piquets volants » furent envoyés aux quatre coins du pays. Les mineurs de l’Ecosse et du Pays de Galles rallièrent la grève. Le Kent et le Durham aussi. (Dans)En l’espace de quelques jours, 171 puits furent à l’arrêt.
Cependant, cette fois-ci, le syndicat n’avait pas organisé de vote. Ce fut une erreur. Scargill, le dirigeant de la NUM, craignait que l’échec d’un scrutin interne signifie la perte de l’industrie. La grève était déjà enclenchée en réaction aux provocations gouvernementales. Mais la majorité des mineurs du Nottinghamshire n’a pas débrayé, malgré les « piquets volants », et ce fait illustrait la nécessité d’un vote sur la base d’une explication des enjeux, et surtout d’une stratégie de généralisation du mouvement de grève vers d’autres secteurs de l’économie.
Le rôle des directions
Dans la conduite de n’importe quelle lutte ouvrière, le rôle des dirigeants est déterminant. Les dirigeants de la NUM de l’époque, comme Scargill lui-même, avaient de grandes qualités. Ils ont inspiré les mineurs, mobilisant (les familles des mineurs)leurs familles et des communautés minières toutes entières. Des collectes d’argent et de vivres ont été organisées à l’échelle nationale. Les grévistes ont tenu pendant plus d’un an, faisant d’énormes sacrifices et subissant des pressions terribles. Ils étaient sous un barrage constant de propagande hostile de la part des médias. Une nouvelle loi permettait la séquestration de tous les fonds de la NUM. Les mineurs ont affronté les forces de l’ordre avec un courage et une détermination inébranlables, comme lors de la fameuse bataille d’Orgreave, où près de 19 000 mineurs se sont battus contre plusieurs bataillons de police. Mais dans une guerre, le courage et la volonté de gagner ne suffisent pas. Et ce fut une guerre – une guerre de classe.
Les mineurs auraient pu gagner. Scargill a commis quelques erreurs, mais la responsabilité de la défaite réside essentiellement chez les dirigeants de la confédération syndicale nationale, la TUC. Il fallait transformer la sympathie et la solidarité active de la masse de la population en grèves de solidarité, et lier la lutte des mineurs aux revendications des travailleurs des autres secteurs clés de l’économie, dont notamment les ports (les dockers étaient, eux aussi, sérieusement menacés), les chemins de fer, l’électricité et l’industrie sidérurgique. Mais la TUC, dominée par des dirigeants « modérés », a laissé les mineurs se battre tous seuls. Neil Kinnock, le dirigeant du Parti Travailliste, a rajouté sa voix à celle des médias capitalistes et de Thatcher, en condamnant la « violence » des mineurs qui se défendaient contre la répression policière. Dans ces conditions, les mois passant, les mineurs sentaient que la possibilité d’une victoire reculait. A partir du début de l’année 1985, ils commençaient à retourner au travail, fiers de leurs efforts – ils ne pouvaient guère faire plus – mais, en même temps, remplis de haine et d’amertume.
La défaite des mineurs a eu un effet démoralisant sur l’ensemble de la classe ouvrière. Beaucoup de militants se disaient : « Si les mineurs ne pouvaient pas gagner, nous ne le pourrons pas, non plus ». Cette démoralisation a permis la consolidation de l’emprise de l’aile droite du Parti Travailliste, préparant la voie au « Blairisme ».
Souvenons-nous donc de cette lutte titanesque. Ils se sont battus. Ils ont connu des victoires, comme celle de 1972, et puis la défaite. Mais d’une part, il vaut toujours mieux se battre et perdre que de perdre sans lutter. Et d’autre part, l’expérience et les enseignements de leurs combats nous éclairent le chemin des luttes tout aussi colossales qui, à ne pas en douter, nous attendent, en Grande-Bretagne et ici en France.
Greg Oxley (PCF Paris)