Dès la signature de l’accord conclu le 11 janvier entre le Medef et les syndicats CFDT, CFTC et CFE/CGC, patronat et gouvernement l’ont présenté comme un « compromis historique » dont le patronat et les salariés sortiraient tous deux « gagnants ». Le gouvernement a repris intégralement le contenu de l’accord signé dans son projet de loi rendu public début février et souhaite le voir adopté dans une procédure « d’urgence » au parlement en mars. La CGT et FO ont de leur côté dénoncé les nombreux reculs sociaux contenus dans l’accord et ont appelé les salariés à se mobiliser afin d’obtenir des parlementaires de gauche qu’ils s’opposent à cette retranscription dans la loi.
Des « avancées » ?
L’accord est divisé en deux parties, l’une censée introduire de nouveaux droits favorables aux salariés, l’autre favorisant le patronat. Mais les « avancées sociales » composent en réalité un catalogue d’effets d’annonce à la portée très limitée. Une série de mesures sont en elles-mêmes positives. Par exemple, l’accord généralise la complémentaire santé, mais elle sera financée pour moitié par le salarié et ouvre, au passage, de juteux marchés pour les capitalistes au lieu d’étendre les prises en charge de la Sécurité sociale.
L’accord contient quelques mesures en faveur des droits à la formation ou encore des « droits rechargeables » à l’assurance chômage (dans des conditions non encore définies). L’accord introduit un nouveau droit de pouvoir « tester » un autre emploi dans une autre entreprise, puis de revenir sur son poste initial si le salarié le souhaite. Il crée aussi une obligation pour le capitaliste qui ferme une entreprise de rechercher un repreneur, ou encore le droit de siéger au conseil d’administration et d’émettre un avis sur la gestion de l’entreprise. Pourtant, si des entreprises ferment, ce n’est pas parce qu’on n’a pas recherché un « repreneur » mais parce qu’il n’y a pas de repreneur, à cause de la crise. Quant à l’avis sur le fonctionnement de l’entreprise, il finira dans la corbeille des conseils d’administration qui restent sous contrôle majoritaire des capitalistes. Le contenu de ces « avancées » est donc dérisoire au regard de la situation sociale.
Mais une deuxième série de mesures présentées comme des « avancées » va même jusqu’à introduire en réalité des reculs. Par exemple, sous couvert de donner un accès permanent aux représentants du personnel et aux délégués syndicaux à l’ensemble des informations que l’employeur doit transmettre lors des consultations obligatoires, l’accord autorise l’employeur à définir ce qui est selon lui confidentiel et donc non transmissible aux salariés. Il l’autorise aussi à négocier le contenu de ces informations avec les élus, de façon moins favorable que ce que prévoit le Code du travail. L’accord glisse un cadeau financier au patronat en mettant désormais 20 % des coûts des expertises comptables demandées par les représentants du personnel à la charge des comités d’entreprise, au lieu d’une prise en charge intégrale par le patronat jusqu’ici.
Deux mesures ont été présentées comme des progrès majeurs : la taxation des CDD et une durée minimale de travail pour les salariés à temps partiel. Rien de fondamental là encore puisque les CDD ne seront pas frappés d’une nouvelle taxe, mais d’une augmentation très relative du taux de la cotisation patronale à l’assurance chômage. Surtout, tous les CDD ne sont pas concernés, seulement ceux de moins de trois mois, et encore, à l’exception des CDD conclus pour remplacer un salarié absent et à l’exception de l’intérim ! Ainsi, la mesure est très facilement contournable. Le patronat n’a qu’à conclure des contrats d’intérim en lieu et place de CDD et la mesure sera sans aucun effet sur la précarité. D’autant que ces deux types de contrats peuvent servir dans les mêmes cas de recours. Pour le temps partiel, l’accord crée une durée minimale de travail de 24 heures par semaine, ce qui n’existait pas jusqu’ici. Mais, l’accord prévoit qu’il est possible de ne pas respecter cette durée minimale notamment par accord écrit du salarié. Il suffit pour le patron d’exercer un chantage : soit le salarié accepte de travailler pour moins que 24 heures, soit il recherche un remplaçant ou quelqu’un d’autre pour occuper le poste ! Plus grave encore, cette partie de l’accord profite de l’occasion pour introduire la possibilité pour le patron de faire varier la durée contractuelle de travail des salariés à temps partiel – pour ne pas avoir à majorer les heures complémentaires – jusqu’à huit fois par an ! C’était jusqu’ici interdit par la jurisprudence. A la lecture de cette première partie de l’accord, on ne sait plus trop s’il s’agit des avancées ou des reculs !
Le patronat seul gagnant
Et pourtant, le pire est à venir. Car en contrepartie de ces prétendues « concessions » patronales, les syndicats signataires ont accepté d’introduire plusieurs mesures de « flexibilité ». Si une entreprise est confrontée à des difficultés économiques, l’employeur pourra négocier un accord d’entreprise dit de « maintien dans l’emploi ». Concrètement, il s’agit d’accepter des destructions d’acquis sociaux, des refontes à la baisse des grilles de salaire, la perte de primes et avantages acquis, etc. En contrepartie, le patronat s’engage à ne pas licencier pour motif économique durant la période couverte par l’accord (maximum 2 ans). C’est une façon de « normaliser » les accords de chantage à l’emploi qu’ont connu par exemple les salariés de Goodyear et Continental ces dernières années. Une fois signé, chaque salarié se voit proposer un avenant à son contrat de travail. S’il le refuse, le patronat pourra déroger au Code du travail en le licenciant immédiatement sans avoir à lui rechercher un poste de reclassement. Et le salarié ne pourra plus contester le motif économique de son licenciement qui échappe au contrôle du juge puisque ce motif est présumé « attesté par l’accord ».
Autre nouveau dispositif : l’accord de « mobilité interne » qui permettra au patronat de proposer un changement d’affectation sur un autre poste et/ou une autre zone géographique (sans limitation) à un salarié. Si ce dernier s’y oppose, il sera licencié non pas pour motif économique, mais pour motif personnel (qui ouvre droit à des contreparties moins favorables pour le salarié). Le patronat pourra ainsi se saisir de ce dispositif pour contourner un « plan social ». C’est aussi un droit de modification forcée du contrat de travail pour le patronat, là où quelques limites existaient jusqu’ici, avec tous les abus que cela permettra.
Concernant les licenciements économiques, l’employeur pourra également conclure des accords d’entreprise sur le contenu des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) en dérogeant de façon moins favorable au Code du travail. S’il veut s’économiser le temps d’une négociation pénible avec les délégués syndicaux, il pourra même définir unilatéralement le contenu du PSE et le soumettra à l’homologation de l’administration du travail, déjà surchargée de travail et souffrant de manque d’effectif.
Le patronat pourra généraliser dans certains secteurs les contrats de travail intermittents, qui permettent d’alterner périodes de travail et périodes sans activité, avec une rémunération lissée sur l’année, ce qui augmentera le nombre des très petits salaires, par exemple dans les secteurs de la chocolaterie, des jouets, du tourisme, etc.
Et ce n’est pas tout : le contrôle du juge des prud’hommes est revu à la baisse. Le délai de contestation du licenciement économique tombe à douze mois. Les salariés ne pourront plus récupérer 5 années d’arriérés de salaire, mais seulement 3.
Cet accord, devenu projet de loi, concentre ainsi un grand nombre d’attaques contre le Code du travail. Plusieurs mesures renvoient vers la négociation avec le patron dans l’entreprise. Ceci signifie que le Code du travail cesse d’être un « bouclier », que le droit est « négociable ». Or, dans l’entreprise, le rapport de force est plus favorable au patronat. Pour conclure un accord, il lui suffit d’obtenir l’adhésion de syndicats ayant réuni 30 % des suffrages lors des élections des représentants du personnel. On sait qu’il peut s’appuyer pour cela sur des syndicats « dociles » ou achetés. Mais en instaurant toute une série d’accords censés préserver l’emploi, ces nouvelles dispositions visent aussi à exercer une pression sur les syndicats combatifs. Lorsque des licenciements économiques s’annonceront – ce qui dans la période actuelle peut frapper tout le monde – le patronat tentera de faire de la conclusion d’un accord de maintien dans l’emploi la voie normale à suivre (et donc d’imposer la casse des acquis). « Si la CGT refuse de signer, elle sera responsable de la fermeture de l’entreprise », fera valoir le patronat. L’objectif est de tenter de diviser les salariés en jouant sur la peur du chômage.
Le programme des capitalistes
Tout ceci ne tombe pas du ciel. Ces dispositifs de propagande (la pression sur les salariés pour accepter des renoncements), d’allègement des sanctions du juge contre les manquements au Code du travail, de modification forcée du contrat de travail, d’allègement des obligations de l’employeur en cas de licenciement économique, etc., sont autant d’épines de moins dans le pied des capitalistes. La crise menace leurs profits. Leur programme est celui du chantage permanent à l’emploi : soit les droits des travailleurs et leurs acquis sont revus constamment à la baisse, soit ils iront investir leur argent ailleurs, là où les salariés sont moins payés et disposent de moins de droits pour se défendre contre l’exploitation. Dans une récente interview à la télévision, le délégué CFDT d’Arcelor-Mittal à Florange, Edouard Martin, faisait face à un intervenant qui tentait d’opposer à ses revendications la réalité implacable suivante : « la production d’acier est moins chère en Chine, il faut se rendre à l’évidence et accepter des fermetures de site sans broncher » – disait-il en substance. « Mais tout est moins cher en Chine ! » lui répondit Edouard Martin. « Qu’est-ce qu’on fait alors ? On ferme tout ici pour tout envoyer en Chine ? ». Voilà qui résume parfaitement le programme des capitalistes ! Ces derniers n’accepteront d’investir en France et en Europe qu’au prix d’immenses sacrifices pour la population. De ce point de vue, il est vrai que les dispositions de cet accord pourront « sauver des emplois ». Mais au prix d’une violente régression sociale !
Puisque François Hollande ne remet pas en cause le fonctionnement capitaliste de l’économie, il est contraint d’obéir à ses règles. Voilà pourquoi il fait sien le programme des capitalistes et propose d’avaliser les violentes attaques contenues dans cet accord. Il se cache derrière le fait que cet accord a été signé par trois syndicats. Mais les millions de travailleurs, de jeunes et de retraités qui l’ont porté au pouvoir ne l’ont pas fait pour qu’il poursuive la politique de casse sociale menée par Sarkozy.
Les syndicats
La CFDT est le principal syndicat signataire de l’accord. En portant sa signature sur ce torchon, sa direction a trahi les intérêts des salariés. Elle se comporte en agent conscient de la classe capitaliste et accepte la régression sociale. Cette signature s’ajoute à une longue série de renoncements, ces dernières années, de la part de cette centrale syndicale. Une crise interne à la CFDT surviendra tôt ou tard. Car on imagine mal les militants CFDT de Florange, par exemple, accepter le contenu de cet accord qui aura des conséquences dramatiques pour eux lorsque les nouveaux dispositifs entreront en vigueur.
Si la direction de la CGT dénonce très clairement le contenu de l’accord signé et le projet de loi, elle n’est pas non plus exempte de toute critique. En allant négocier « à froid », sans mobilisation des salariés, un projet d’accord préparé par le Medef, il était écrit que nous courrions au désastre. Nous avons perdu beaucoup de temps dans la bataille de propagande et d’explications qu’il faut livrer sur le terrain et la mobilisation en souffre. La journée d’action du 5 mars ne suffira pas. Le gouvernement est déterminé à faire adopter dès le mois de mars le contenu de l’accord par le Parlement. A dix jours de cette mobilisation, la direction confédérale n’a fait connaître aucun plan de bataille concret au-delà du 5 mars. Pourtant, chaque jour va compter. Au manque d’anticipation dont a fait preuve la direction confédérale de la CGT avant la conclusion de cet accord vient s’ajouter son absence de conduite sérieuse d’une lutte déterminée destinée à s’y opposer. Il y a pourtant urgence.
Pierre Villeret (CGT SNTEFP 93)