En évoquant la possibilité de nationaliser temporairement le site ArcelorMittal de Florange, Arnaud Montebourg a fait bondir de rage la patronne des patrons, Mme Parisot, qui a qualifié cette idée de « purement scandaleuse ». Selon la présidente du Medef, « toute notre société est construite sur un principe essentiel, celui du droit de propriété […]. Ebranler ce principe, comme ça, à la va-vite, c’est très grave ». Ce qui est « très grave » à nos yeux, c’est plutôt la situation de milliers de travailleurs et de familles menacés de chômage, que ce soit chez ArcelorMittal, Pétroplus, PSA ou ailleurs – la liste s’allonge de semaine en semaine. Mais ceci n’émeut pas Mme Parisot, qui consacre sa vie à la cause du « droit de propriété », ou plus précisément du droit de propriété capitaliste, c’est-à-dire du droit d’accumuler d’énormes profits sur le dos des salariés et de les jeter à la rue du jour au lendemain.
Tous les travailleurs conscients le savent : lorsque Mme Parisot s’indigne de quelque chose, il y a de fortes chances pour que cette chose soit positive du point de vue de notre classe. Et c’est bien le cas ici. Ce qui a scandalisé la présidente du Medef, ce n’est pas tellement le sort des actionnaires d’ArcelorMittal, qui n’auraient pas beaucoup souffert de la nationalisation du site de Florange en elle-même, d’autant que Montebourg se montrait disposé à le racheter au prix fort. Non, ce qui a sonné l’alarme dans les locaux du Medef, c’est le fait qu’une nationalisation, même temporaire, même sous la forme d’un « rachat » rubis sur l’ongle, aurait créé un dangereux précédent du point de vue des intérêts de la classe dirigeante. Car si on nationalise le site de Florange, pourquoi ne pas nationaliser aussi PSA Aulnay, Pétroplus, les chantiers navals de Saint-Nazaire et tous les autres sites industriels qui sont – ou seront bientôt – menacés de plans sociaux ? Voilà ce qui, plus que tout le reste, a fait reculer un gouvernement « socialiste » très sensible aux pressions du patronat.
Cependant, pour Mme Parisot, le mal est fait. L’idée de « nationalisation », qui depuis 30 ans avait pratiquement disparu du vocabulaire des grands partis de gauche, a été avancée au plus haut niveau de l’Etat. Elle circule désormais dans les esprits, dans les organisations syndicales – et revient au sommet du PCF. La Riposte, qui a toujours défendu ce mot d’ordre, s’en félicite et appelle l’ensemble des organisations du mouvement ouvrier à ouvrir un grand débat sur ce thème, en le liant étroitement aux luttes en cours dans les différentes entreprises menacées de fermetures ou de plans sociaux.
Il faut faire la clarté sur un certain nombre d’aspects de cette question. Toutes les « nationalisations » ne se valent pas, de notre point de vue. Montebourg proposait de racheter le site de Florange, le temps de trouver un hypothétique « repreneur » capitaliste qui, naturellement, aurait posé toutes sortes d’exigences en termes d’effectifs, de salaires, de conditions de travail, etc. Cela aurait certes constitué un répit bienvenu pour les travailleurs de Florange, mais pas une solution à long terme. Subventionner le site avec de l’argent public, le temps de le céder à d’autres actionnaires tout aussi avides de profits que les précédents, et qui n’hésiteront pas à fermer le site le jour où ils le jugeront insuffisamment rentable, cela ne règle pas le problème. Une nationalisation temporaire revient à « socialiser les pertes et privatiser les profits ». Il faut se battre pour une nationalisation définitive du site de Florange.
Jean-Marc Ayrault affirmait par ailleurs, dans le JDD du 9 décembre, que la nationalisation du site de Florange « coûterait au moins un milliard d’euros ». Or, autant l’indemnisation des capitalistes n’est pas pour nous une question de principe, autant il n’y aurait dans ce cas précis aucune raison d’indemniser les grands actionnaires d’ArcelorMittal, qui se sont distribué 2,8 milliards d’euros de dividendes au cours de l’année 2011, dont plus de 900 millions d’euros pour la seule famille Mittal. En outre, le ministre Jérôme Cahuzac a reconnu que les patrons du groupe ont « transféré une grande partie des bénéfices hors de nos frontières, notamment au Luxembourg », de façon à payer un minimum d’impôts en France. A tout cela s’ajoutent les nombreuses subventions publiques dont ArcelorMittal a bénéficié depuis 2006. Les grands actionnaires ont très largement amorti leurs investissements dans le site de Florange. Ils doivent être expropriés, sans indemnisation.
Comment les patrons d’ArcelorMittal réagiraient à ce que nous proposons ? Très mal. De son côté, Mme Parisot en ferait probablement un ulcère principiel foudroyant. Quant à la réponse des patrons du groupe à une telle mesure, on peut s’en faire une idée dans les menaces à peine voilées que contient une récente « lettre aux salariés » du PDG Lakshmi Mittal : « Pour ce qui est de la nationalisation, nos étions confiants que le gouvernement déciderait finalement de ne pas prendre ce chemin, étant donné que celui-ci aurait été préjudiciable pour ArcelorMittal en France ». Traduction : « nous avons menacé le gouvernement de supprimer des emplois sur d’autres sites d’ArcelorMittal en France », ce qui eut été « préjudiciable » aux travailleurs concernés.
Le groupe emploie en effet 20 000 salariés dans le pays. Et bien sûr, ses patrons soumettent les différents sites à une concurrence permanente pour en extraire un maximum de profits. En expliquant que le site de Florange « n’est pas assez compétitif », le PDG d’ArcelorMittal envoie un message sans ambiguïté à tous les salariés : « soyez compétitifs – sinon… ». Et pour que les choses soient parfaitement claires, Lakshmi Mittal écrit, dans le même courrier aux salariés du groupe : « Le site de Florange ne fonctionne pas isolément – un tiers des brames produites à Dunkerque sont destinées à Florange. Par conséquent, si nous n’avions rien fait à Florange, nous aurions transféré ailleurs le déséquilibre de la demande » – étant entendu que « transfér[er] ailleurs le déséquilibre de la demande » signifie, en clair, licencier des travailleurs.
Que faire, face à ce monstrueux chantage ? Le gouvernement a immédiatement capitulé, se contentant d’un « accord » auquel personne ne croit, qui ne règle rien et dont le seul élément concret, à ce stade, consiste à supprimer des emplois sur le site de Basse-Indre, sous prétexte de les transférer à Florange [1]. La seule manière d’arracher à Lakshmi Mittal la possibilité d’exercer son chantage, ce serait de nationaliser non seulement le site de Florange, mais l’ensemble des sites du groupe en France – en les plaçant sous le contrôle démocratique des salariés. Et ce qui vaut pour ArcelorMittal vaut également pour PSA, Petroplus, les chantiers navals de Saint-Nazaire et tous les fleurons de l’industrie victimes de l’avarice capitaliste.
Mme Parisot a raison sur un point : « toute notre société est construite sur [le] principe essentiel » de la propriété capitaliste – qui d’ailleurs n’est pas seulement un « principe » : c’est une réalité matérielle et sociale omniprésente, le socle de l’ordre établi. Or si « notre société », la société capitaliste, convient parfaitement à Mme Parisot et à sa classe de parasites, elle mène la jeunesse et les travailleurs au désastre. La propriété privée des grands moyens de production est devenue un obstacle au progrès social. Il faut donc en finir avec ce « principe », c’est-à-dire exproprier les grands capitalistes et placer les principaux leviers de l’économie sous le contrôle des salariés, dans le cadre d’une planification rationnelle et démocratique de la production. Si le PCF, le Front de Gauche et le mouvement syndical – CGT en tête – menaient une grande campagne pour l’expliquer systématiquement, en s’appuyant sur des luttes des travailleurs menacés de fermetures ou de plans sociaux, cela rencontrerait un immense écho dans la masse de la population, à commencer par les travailleurs concernés.
La Riposte