Le 14 novembre dernier, l’Evening Standard a publié un court article qui commence par une surprenante affirmation : « Il y a de la révolution dans l’air à la prestigieuse école catholique Sainte Bénédicte ».
L’école Sainte Bénédicte a été fondée en 1902 et dépend de l’abbaye d’Ealing. C’est la seule école de jour bénédictine en Angleterre. Mais sa notoriété a d’autres sources. Elle s’est rendue célèbre pour son implication dans un scandale de pédophilie vieux de 60 ans. Les moines étaient impliqués jusqu’à la tonsure dans des actes de viol et de torture sexuelle sur des enfants. L’affaire avait été honteusement étouffée par les autorités de l’école et l’Eglise catholique romaine.
Aussi les moines de Sainte Bénédicte ont-ils accepté de changer les noms de ses bâtiments qui rendaient hommage à des violeurs présumés. Mais de telles mesures ne suffisent pas à effacer la mémoire des abus sexuels et à chasser les fantômes répugnants qui hantent chaque recoin de cette « prestigieuse école ». Ainsi, le Standard nous informe que « les braves types font ce qu’ils peuvent pour restaurer l’honneur de leur alma mater ». Et quelles mesures supplémentaires ces « braves types » ont-ils proposé pour nettoyer les écuries d’Augias de leur vieille école ? Le Standard explique : « une campagne est en cours pour donner à l’un des bâtiments le nom de l’homme qui a tué Che Guevara ».
Oui, vous avez bien lu. Cet épicentre de la morale chrétienne et de l’excellence académique est fier d’avoir compté parmi ses élèves celui qui, plus tard, allait assassiner un homme captif et sans défense.« Je souhaite qu’on change le nom du bâtiment pour celui du lieutenant-colonel qui a capturé Che Guevara, avant de le tuer sur ordre de La Paz », affirme le « Vieux Priorian » John Burke. « Il lui faudrait au moins une plaque. Il s’agit de Gary Prado Salmon, qui était notre élève en 1953, lorsque son père était attaché militaire en Bolivie ».
N’est-ce pas incroyable ? L’hypocrisie de ces moralistes religieux est sans limite. Dans le monde entier, le nom de Che Guevara inspire un profond respect. Voilà un homme qui, né dans une famille petite-bourgeoise d’Argentine, a consacré toute sa vie à la lutte pour défendre les pauvres et les opprimés. Il a toujours fait preuve d’un énorme courage personnel. Dans les derniers mois de sa vie, il a subi de terribles privations dans la jungle bolivienne, où il tentait – en vain – de renverser l’oligarchie qui écrasait les travailleurs et les paysans.
Les forces de la réaction, organisées, armées et financées par la CIA, ont décidé de détruire ce petit groupe de révolutionnaires. Epuisés, affamés, largement dominés en nombre et en moyens militaires, ils ont été pourchassés comme des bêtes sauvages et massacrés sans pitié.
Che Guevara n’a pas été tué au combat. Gravement blessé, il a été fait prisonnier. Ils n’ont pas osé lui donner l’opportunité d’un procès. Ils craignaient la réaction du peuple bolivien et des travailleurs du monde entier. Le Che a été froidement exécuté par les hommes de main de l’oligarchie.
En accomplissant leur sale besogne, ces mercenaires ne prenaient aucun risque. Il ne faut pas beaucoup de courage pour fusiller un homme dont les mains sont attachées dans le dos. Et pourtant, on présente ces monstres comme des héros dont les noms doivent être honorés dans une « école prestigieuse » dirigée par des moines.
Naturellement, M. Burke précise qu’il n’a jamais été lui-même le témoin de comportements déviants à l’école, laquelle ne s’est toujours pas remise du scandale. « Personne n’a été au courant de quoi que ce soit de plus grave que des bastonnades excessives » sur les élèves, assure-t-il au Standard. Or, dans la mesure où les « bastonnades excessives » ne sont pas expressement interdites par les Dix Commandements, il faut en conclure qu’elles sont parfaitement conformes à la doctrine chrétienne. Et il ne faut pas s’étonner du fait qu’un homme considérant l’assassinat d’un révolutionnaire comme un acte digne d’éloge n’ait jamais remarqué quoi que ce soit de fâcheux dans sa vieille école. Tout ceci éclaire d’un jour nouveau les mots célèbres : « Souffrez, petits enfants… »
Qu’est-il advenu de l’homme qui a capturé Che Guevara ? Personne ne se soucie du sort de ce misérable individu. Il n’est qu’une note en bas de page de l’histoire. Seul M. Burke est assez aimable pour nous informer : « Prado dirigeait la patrouille andine en 1966, puis il a tenté un coup d’Etat. Ayant échoué, il a été mis dans un avion pour Miami. Il est ensuite revenu pour prendre le titre de général, avant de devenir ministre du plan – ce qu’il était lorsque je l’ai revu en 1979 ».
M. Burke fait preuve d’une touchante sympathie à l’égard du pauvre bougre qui, pour avoir commis le délit mineur de tenter un coup d’Etat contre son gouvernement, a été mis dans un avion pour Miami – où il a sans doute mené grand train en compagnie de tous les autres mafieux et coupeurs de gorges qui, pour défendre la Liberté en Amérique centrale et latine, renversaient des gouvernements sur injonction de la CIA.
Mais tout est bien qui finit bien. Le héros M. Burke a terminé sa carrière comme ambassadeur de Bolivie à Londres, où il a sans doute épaté son monde en racontant, lors de soirées cocktails, comment il a – tout seul – « liquidé » le grand Che Guevara.
Nous ne savons pas si les Saints Pères de Sainte Bénédicte sont d’accord avec la pieuse proposition de M. Burke. Mais une chose est sûre. Longtemps après que le lieutenant-colonel Prado sera mort et oublié de tous, la mémoire d’Ernesto Che Guevara restera une source d’inspiration pour les nouvelles générations luttant pour la transformation radicale de cette société oppressive, corrompue et capable d’engendrer des monstres tels que Gary Prado Salmon.
Alan Woods