Début août, des dizaines de milliers d’Egyptiens ont réinvesti les rues du Caire et de la célèbre place Tahrir. Cette mobilisation, la plus importante depuis la chute de Moubarak, marquait une nouvelle étape du processus révolutionnaire.
Le 11 février dernier, le soulèvement du peuple égyptien mettait fin à 30 ans de dictature d’Hosni Moubarak. Le début d’une grève générale a porté le coup de grâce au régime. Lors de ces mouvements de masse, l’état-major de l’armée a décidé de rester neutre, de peur de provoquer une scission au sein des troupes. Puis il a pris le parti des manifestants, pour les mêmes raisons. L’armée en est sortie glorifiée aux yeux des Egyptiens. Le Conseil Suprême de l’Armée Egyptienne a pris la direction du pays.
Moubarak n’était qu’une pièce de tout un système qui opprimait – et opprime encore – le peuple égyptien. La direction de l’armée y jouait un rôle prépondérant. Or les masses se sont battues pour changer le système, et non pour remplacer une dictature par une autre. Début mars, sous la pression du peuple, le Conseil Suprême a dû limoger le premier ministre Ahmed Shafiq, nommé par Moubarak en janvier. Essam Sharaf a pris sa succession. Ministre des Transports de 2004 à 2005, Essam Sharaf était présent place Tahrir dès le début des manifestations, ce qui faisait de lui la figure idéale pour apaiser la colère des masses.
Mais depuis février dernier, les conditions de vie des jeunes et des travailleurs égyptiens ne se sont pas améliorées. Les revendications du peuple – pour un salaire minimum, des emplois, plus de démocratie – se heurtent aux positions de l’état-major, qui a montré son véritable visage contre-révolutionnaire. En mars, dans tout le pays, des manifestants ont tenté d’investir les locaux de la Police Politique. Dans un premier temps, l’armée a protégé la vieille institution policière. Mais face à la pression du peuple, elle a fini par la démanteler officiellement. Dans la foulée, cependant, plusieurs rassemblements ont été violemment réprimés et dispersés par l’armée, aidée par des éléments déclassés et des criminels. Des manifestants ont été torturés, violés… La lutte des classes faisant toujours rage, l’armée a fini par proposer un décret-loi qui interdit les grèves, les manifestations et les sit-in. Sous la direction du général Tantawi (ministre de la Défense sous Moubarak, pendant 20 ans), l’armée a révélé aux yeux de tous ses objectifs réactionnaires : stabiliser le régime capitaliste.
On peut lire parfois que la contre-révolution a gagné en Egypte. Il n’en est rien. La contre-révolution est effectivement passée à l’offensive, mais le peuple égyptien est décidé à résister. Ainsi, concernant le décret-loi antigrève, Ali Fotouh, un travailleur des transports cité par Al Ahram, explique : « L’Egypte est maintenant un pays libre, aucune loi ne nous réprimera. Cette loi sera rejetée, cette fois pas dans un parlement truqué, mais place Tahrir. Ils doivent comprendre que c’est là que nous avons notre légitimité ». Le jour même où la loi fut proposée, des centaines d’employés ont annoncé la formation d’un syndicat indépendant des travailleurs des transports. De même, en trois jours de grèves, les travailleurs de l’industrie pétrolière ont fait céder le gouvernement sur toutes leurs revendications, y compris le limogeage du ministre du Pétrole.
Les médias capitalistes insistent sur les revendications démocratiques du peuple égyptien. Il est évident qu’après des décennies de dictature, le peuple exige plus de démocratie, la fin de la corruption, la suppression des tribunaux militaires, le jugement des responsables de la répression, le droit de faire grève, de manifester et de se syndiquer. Ces revendications démocratiques – parmi d’autres – occupent une place importante dans la lutte. Mais elles n’ont pas de signification indépendante des revendications économiques et sociales. Par exemple, le droit de grève est avant tout un moyen de lutter pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail. Lors de grandes manifestations au Caire, la récente Fédération des syndicats indépendants réclamait un salaire minimum de 1200 livres égyptiennes et l’indexation des salaires sur les prix.
Moubarak est parti, mais l’ancien régime est toujours là. Les revendications démocratiques, sociales et économiques ne pourront pas être satisfaites par des changements superficiels. Le sentiment d’unité et d’euphorie – qui caractérise toujours les premières étapes d’une révolution – fait place à une différenciation interne entre ceux qui veulent se limiter à des changements de façade et ceux qui veulent une profonde transformation de la société. Ce combat ne fait que commencer. « Thawra hatta’l nasr ! » – « La révolution jusqu’à la victoire ! »
Romain Kosellek (PCF Paris 18e)