La direction du PCF a publié, sous forme de petite brochure, un Cahier Citoyen qui a été largement diffusé par les militants du parti. Il s’intitule Ce que la gauche devra faire. L’ensemble des propositions qui figurent dans les différentes sections de cette brochure constitue une présentation générale du programme actuel du parti. En même temps, le Cahier Citoyen se présente comme une tentative de recueillir les idées et opinions du grand public, qui pourrait ainsi contribuer à enrichir et « construire » ce programme.
La brochure s’ouvre par une attaque contre la politique de Sarkozy et du MEDEF. Elle s’en prend au gouvernement, qui méprise les attentes populaires, traite la jeunesse en ennemi et « n’a qu’un objectif, servir les puissances de l’argent. » L’expérience du gouvernement Sarkozy, depuis 2007, prouve la vérité de cette affirmation. La mobilisation contre la réforme des retraites – et le soutien massif de cette mobilisation, dans l’opinion – montre qu’il existe dans le pays un profond sentiment d’injustice. Non seulement chez les militants syndicaux, mais aussi dans la masse jusqu’alors politiquement inerte de la population, il y a une prise de conscience de la régression sociale que le capitalisme impose, dans tous les domaines.
Le texte proclame la nécessité d’ouvrir une « nouvelle ère », qu’elle définit comme « démocratique et écologique », et invite les citoyens à se prononcer sur le contenu d’un programme « populaire et partagé » qui permettrait à la gauche de rompre réellement avec les logiques libérales que prônent le MEDEF, la Commission Européenne et le FMI. S’ensuit une série de points programmatiques, reprenant les revendications et objectifs qui forment l’ossature du programme de la direction nationale du PCF.
Le programme et les citoyens
La démarche consistant à créer l’impression que ce sont « les citoyens » qui élaborent le programme du parti n’est pas nouvelle. Nous disons « créer l’impression » car, dans les faits, le programme de notre parti n’est pas et ne sera jamais déterminé par le grand public. Il reflète les idées des instances dirigeantes du PCF, bien qu’il n’ait jamais été formellement adopté par le parti dans son ensemble. D’expérience, les militants communistes peuvent difficilement imposer des modifications du programme auxquelles la direction du parti s’oppose. Il est donc peu probable que des « citoyens », en dehors des structures du parti, y parviennent.
Même si la direction du parti s’engageait sérieusement dans cette démarche de « co-élaboration » du programme avec « les citoyens », celle-ci n’en serait pas moins erronée. Bien évidemment, le parti doit chercher à établir un dialogue avec les jeunes et les travailleurs. Il doit s’intéresser de près à leurs idées et humeurs politiques. Cependant, on ne peut pas fonder un programme sur l’opinion publique. Ce n’est pas parce qu’une idée est très répandue, dans l’opinion, qu’elle est correcte. Notre programme ne doit pas être déterminé par ce que les gens pensent être des mesures viables et efficaces. Il doit être fondé sur une analyse sérieuse des causes réelles des problèmes sociaux et économiques, et présenter de vraies solutions à ces problèmes. Et si les communistes doivent s’intéresser aux courants de pensée qui traversent la société, c’est notamment pour mieux combattre les illusions réformistes et les idées confuses – voire réactionnaires – qui constituent « l’opinion publique », pour mieux convaincre les travailleurs de notre programme communiste. Un mauvais programme, aussi « populaire et partagé » soit-il, ne sert à rien. Regardons donc de plus près le contenu du programme que la direction du PCF dit « mettre en débat » par le biais du Cahier Citoyen.
Les capitalistes et l’intérêt général
La première partie du Cahier, consacrée aux droits sociaux, dénonce la précarité de l’emploi et le chômage de masse. Elle rappelle que le gouvernement prétend qu’il n’a pas d’argent, alors qu’il a trouvé 300 milliards pour renflouer les banques. Elle constate que les entreprises du CAC 40 font d’énormes profits. Tout ceci est vrai, et le PCF a raison de le dire haut et fort. Le programme affirme ensuite que « l’intérêt général doit primer sur la volonté des actionnaires ». Pratiquement tout le monde – en dehors des milieux capitalistes – serait d’accord avec cette idée. Mais ce que le parti doit expliquer, c’est non seulement que la « volonté des actionnaires » passe avant l’intérêt général, mais surtout qu’il n’en sera jamais autrement tant que les capitalistes auront le contrôle de l’économie. Tant que le la propriété privée des moyens de production n’aura pas été abolie, l’idée qu’un jour l’intérêt général pourrait primer sur les intérêts des capitalistes n’est qu’un vœux pieux. Or, justement, le programme actuel du parti ne contient aucune mesure portant atteinte à la propriété capitaliste. Il ne propose pratiquement aucune mesure d’expropriation (ou de nationalisation, si on préfère), que ce soit dans le secteur bancaire, le secteur industriel ou le secteur commercial. D’un bout à l’autre, le programme du parti constitue une tentative de résoudre les problèmes engendrés par le capitalisme sans toucher aux fondements de ce système, à savoir la propriété capitaliste. En conséquence, l’intérêt général est sacrifié à la « volonté des actionnaires », non seulement par le capitalisme, mais aussi dans notre propre programme !
Le Cahier dit qu’il faut favoriser la création d’emplois, augmenter les salaires et améliorer la protection sociale. Il exige la revalorisation des retraites et des salaires, notamment en portant le SMIC à 1600 euros. Ces revendications sont évidemment tout à fait justes. Partant de l’idée – correcte, en l’occurrence – que des licenciements ont pour objectif d’augmenter les profits des capitalistes et les valeurs boursières, le Cahier réclame l’interdiction des « licenciements boursiers ». Cette revendication pose un certain nombre de problèmes. Premièrement, elle semble faire une distinction entre licenciements « boursiers » et « non boursiers ». Or, qu’elles soient ou non cotées en bourse, les entreprises licencient généralement pour le même motif : augmenter leur rentabilité. Il n’y a donc aucune raison de faire une distinction entre les deux cas. Deuxièmement, dans l’hypothèse où un futur gouvernement imposerait l’interdiction des licenciements motivés par des considérations de rentabilité (c’est-à-dire pratiquement tous les licenciements), que se passerait-il ? Privés de la possibilité d’améliorer la rentabilité par des licenciements, les capitalistes auront toujours la possibilité de fermer l’entreprise. Allons-nous donc aussi interdire les fermetures ? Le programme du parti ne le propose pas. Mais même si c’était le cas, il faudrait tenir compte des réalités du capitalisme. Les capitalistes constituent une classe très faible, numériquement, mais économiquement très puissante. Ils se serviraient de leur pouvoir pour se défendre et diraient que cette législation est beaucoup trop contraignante, qu’elle nuit à leurs affaires. Ils lanceraient une « grève d’investissement », comme ils l’ont fait en 1981, face aux lois Auroux et autres réformes du gouvernement Mauroy. Telles sont les réalités du système capitaliste. Et la seule façon de désarmer les capitalistes, de les priver de la possibilité de saborder l’économie de cette façon, ce serait de les exproprier. Mais on passerait alors une ligne que la direction actuelle du PCF s’interdit de franchir. Voilà le cœur du problème. Un programme qui se limite à des mesures qui nuisent à la rentabilité du capital, mais sans toucher au système dans lequel cette rentabilité constitue la seule et unique justification de l’existence d’une entreprise – un tel programme n’est pas viable.
La « sécurisation de l’emploi et de la formation »
Une autre revendication qui figure dans cette section du Cahier évoque la mise en place d’une « sécurisation de l’emploi et de la formation ». Ce projet figure de longue date dans la plateforme politique du parti. Il s’agit d’instaurer un programme massif de formation continue à l’intention de tous les sans-emploi, avec « maintien du salaire » ou, au minimum, payée au SMIC. Selon les termes de ce projet, les quatre à cinq millions de travailleurs que le système capitaliste prive d’emploi seraient pris en main, aux frais de l’Etat, et bénéficieraient d’une formation ou d’une série de formations de qualité, jusqu’à ce qu’ils trouvent un travail. Le chômage serait ainsi aboli et ce, encore une fois, sans toucher à la propriété capitaliste. Or, naturellement, la première question que tout le monde se pose, à propos de ce projet, c’est combien il coûterait et comment il serait financé.
Faisons abstraction du « maintien du salaire ». Supposons qu’il y a aujourd’hui, en France, 4 millions de chômeurs, et qu’on les rémunère tous au SMIC. Cela impliquerait, en salaires et en cotisations sociales, une masse salariale d’environ 6 milliards d’euros par mois, au minimum (si le SMIC était porté à 1600 euros, comme le demande notre programme, la masse salariale passerait à 8 milliards). A ce budget de 72 milliards par an, il faudrait rajouter encore 25 milliards, puisqu’il faut non seulement payer un salaire à 4 millions de personnes, mais aussi leur fournir une formation de qualité. En tenant compte du fait que les allocations versées aux chômeurs (35 milliards en 2008) et le RSA contribueraient à financer les salaires, on peut donc raisonnablement situer le budget nécessaire à ce projet aux alentours de 70 milliards d’euros par an. Or, si l’Etat disposait d’une telle somme, faudrait-il vraiment la dépenser de cette manière ? Karl Marx disait que la masse des chômeurs constitue « une armée de réserve » de main d’œuvre pour les capitalistes. Est-ce qu’on doit se proposer de leur fournir l’armée de réserve la plus qualifiée du monde ? Au lieu de payer des salaires aux millions de personnes dont les capitalistes ne trouvent aucune utilité rentable et de leur fournir des formations à une échelle aussi massive, ne serait-il pas mieux d’utiliser cet argent pour les embaucher directement, pour leur donner de vrais emplois – assortis de formations, si nécessaire – dans le secteur public ?
Mais même si l’on accepte qu’il faudrait dépenser 70 milliards par an pour « occuper » les chômeurs plutôt que de les embaucher, l’argent nécessaire ne pourrait venir que de deux sources : soit une augmentation massive de la fiscalité, soit une augmentation tout aussi massive de la dette publique. Actuellement, la dette publique française s’élève à plus de 1600 milliards d’euros, soit environ 84 % du PIB. Le paiement des seuls intérêts sur cette dette, en 2010, aura coûté aux alentours de 45 milliards d’euros. Le déficit annuel des dépenses publiques est de l’ordre de 180 milliards par an. Sarkozy a mis en place une politique de restrictions budgétaires draconiennes, qui sont en train d’étrangler l’éducation nationale, la santé publique et l’ensemble des services publics et administrations. Ces « économies », faites sur le dos de la population, visent à réduire le déficit annuel d’environ 40 milliards, ce qui fait que la dette publique continuera tout de même de s’aggraver massivement d’année en année. Cela ne peut pas continuer indéfiniment. La Grèce et l’Irlande sont déjà dans les griffes du Fonds Monétaire International. L’Espagne et l’Italie sont au bord du gouffre. En France, les restrictions budgétaires se traduisent par un appauvrissement de l’ensemble de la population – à l’exception des capitalistes. Mais elles n’empêcheront pas la France, à terme, de se retrouver dans la même situation financière que la Grèce et l’Irlande.
L’impasse du capitalisme
Revenons donc aux 70 milliards que nous devons trouver pour financer la formation rémunérée de tous les chômeurs. Clairement, sans un apport massif de nouvelles recettes fiscales, ou sans une sérieuse aggravation de l’endettement public, le projet de la « sécurité de l’emploi et de la formation » ne pourrait pas être financé. Or, alourdir à ce point l’endettement de l’Etat le rapprocherait rapidement de la faillite. Il faudrait donc augmenter la fiscalité – mais au détriment de qui ? Le Cahier propose d’imposer une cotisation sur les « revenus financiers des entreprises et des banques », à hauteur de 30 milliards. Il propose aussi de supprimer les exonérations des « cotisations sociales patronales », ce qui rapporterait 55 milliards. Ces mesures seraient positives en soi, mais les capitalistes y riposteraient immédiatement et de la façon la plus implacable, de la même façon que pour « l’interdiction des licenciements ». Nous sommes dans une situation où les capitalistes ne veulent pas payer plus d’impôts. D’un autre côté, taxer les travailleurs davantage reviendrait à réduire la demande et aggraver la crise économique. En conséquence, sur la base du capitalisme, aucune réforme fiscale ne pourra résoudre ce problème. L’endettement progressif de l’Etat est le prix de l’incapacité des capitalistes de développer l’économie et de leur refus de contribuer aux finances publiques. Ce sont les capitalistes qui ont le pouvoir. Ce sont eux qui commandent. Ils mènent le pays à la ruine, mais ils commandent tout de même. Voilà ce qu’il faut changer, si nous voulons utiliser les ressources des capitalistes pour satisfaire les besoins sociaux. Il faut s’attaquer à la source du problème : à la propriété capitaliste.
Dans la section intitulée « Argent », le Cahier affirme que « les grands actionnaires n’ont qu’une seule obsession : la rentabilité maximum ». C’est tout à fait exact. Et il n’en sera jamais autrement, tant que la Bourse et le grand actionnariat existeront. Les auteurs du Cahier dénoncent également le fait que les licenciements rapportent plus de profits aux capitalistes, ou encore les cadeaux fiscaux dont ces derniers bénéficient. Ils déclarent également que « dans notre pays, l’argent existe. Sarkozy a su trouver 300 milliards pour sauver les banques. » C’est vrai, mais cela appelle tout de même quelques précisions. L’argent existe : c’est indiscutable. Le problème, c’est qu’il est sous le contrôle des capitalistes, qui en font ce qu’ils veulent, en fonction de leurs propres intérêts égoïstes. Mais en ce qui concerne les ressources de l’Etat, elles sont, d’un point de vue comptable, inexistantes. Pour palier aux déficiences du capitalisme, enrichir davantage les riches, soutenir artificiellement la demande dans les différents secteurs de l’économie, payer des allocations chômages, etc., l’Etat dépense plus qu’il ne gagne. Pour combler ce déficit, il emprunte, s’endette, au point que les seuls intérêts sur la dette publique dépassent la totalité de la recette de l’impôt sur le revenu. Par conséquent, quand on dit que Sarkozy « a su trouver 300 milliards », il ne faut pas comprendre qu’il les a trouvés dans les caisses de L’Etat. Cet argent a été « trouvé » au prix d’un endettement supplémentaire (et massif) de l’Etat.
Ces précisions placent sous un autre jour la revendication pour « une autre utilisation de l’argent ». C’est une chose de faire une « autre utilisation » de l’argent qui se trouve dans les caisses du Trésor Public. C’en est une autre lorsque l’Etat est techniquement en faillite. Lorsque, dans la même section, on lit que les banques devraient contribuer au développement économique et à l’emploi, ceci n’a pas beaucoup de sens. Pour reprendre ce que le Cahier dit des actionnaires, les banques capitalistes, au même titre que les entreprises capitalistes, « n’ont qu’une seule obsession : la rentabilité maximum ». Le but des banques, comme celui des entreprises, n’est pas de créer des emplois. Dans tous leurs investissements, le but des capitalistes est d’embaucher le moins possible. Dire qu’ils ne devraient pas agir ainsi, qu’ils devraient agir contre leurs propres intérêts, est totalement irréaliste.
Parmi les revendications qui figurent dans cette section, on trouve la restriction de la liberté de circulation des capitaux, la suppression du bouclier fiscal et la remise en cause de parachutes dorés et stock-options. Tous les communistes sont d’accord avec ces mesures. Cependant, comme avec la taxation des revenus financiers et la suppression des exonérations de charges, il ne faut pas perdre de vue que des mesures de ce genre tendront à rendre la France moins attrayante pour les capitalistes, moins intéressante pour tous ceux qui « n’ont qu’une seule obsession » – et que, par conséquent, si on laisse le pouvoir économique des capitalistes intact, ils pourront se défendre au moyen d’une politique de sabotage économique.
« Pôle public bancaire » et « crédits sélectifs »
Les auteurs du Cahier nous demandent : « Suffit-il d’appeler à la moralisation du capitalisme ? Suffit-il, même, de taxer les transactions financières ? ». Ce qu’il faut, nous explique le texte, c’est un « véritable contrôle citoyen sur les banques » et « changer les critères d’utilisation de l’argent. » Or, le tout premier pas vers la mise en place d’un « contrôle citoyen » des banques serait leur nationalisation. A plusieurs reprises, Marie-George Buffet s’est prononcée en faveur de cette mesure. Mais elle n’a pratiquement pas été suivie par le reste de la direction du parti. La nationalisation des banques ne figure pas dans le programme du parti. Dès lors, l’idée d’un « véritable contrôle citoyen » des banques est trompeuse et illusoire.
La nationalisation n’étant apparemment pas en phase avec le communisme « moderne », l’essentiel du secteur bancaire est laissé entre les mains des capitalistes. Le programme des dirigeants du parti se limite à la mise en place de ce qu’ils appellent un « pôle public bancaire ». La substance de cette proposition n’est pas très claire. Il semblerait qu’il s’agisse d’une forme d’alliance entre la Caisse des Dépôts, la Caisse d’Epargne, Oseo (un organisme de soutien financier aux PME) et la Banque Postale. Le but de cette alliance serait de promouvoir « l’emploi et l’investissement utile » au moyen d’une politique de crédits sélectifs. On prétend que ce dispositif permettrait de « pénaliser lourdement » des opérations capitalistes socialement rétrogrades, comme par exemple celles visant à réduire l’emploi. Le mécanisme n’est pas très explicite, dans le Cahier, mais les lecteurs réguliers de L’Humanité en connaissent les contours. Les intérêts sur les emprunts contractés par les capitalistes seraient pris en charge – partiellement ou totalement – par l’Etat, à condition que ces emprunts servent à des investissements jugés utiles, à la formation, à la recherche ou à la création des emplois. Des taux préférentiels, allant jusqu’à 0 %, seraient donc accordés aux capitalistes qui ont besoin d’embaucher. Soulignons que des intérêts seraient effectivement payés, mais qu’ils seraient payés par la collectivité. A l’inverse, les taux d’intérêt proposés aux capitalistes seraient plus élevés pour des emprunts ne répondant pas à ces critères.
Selon ce dispositif de « bonus-malus », les capitalistes qui sont (comme tous les autres) à la recherche du « profit maximum », mais dont les circonstances du moment les obligent à embaucher, seront ainsi récompensés. Le fait d’être exonérés d’intérêts va tout à fait dans le sens du « profit maximum ». Ils seront donc satisfaits. Les contribuables, par contre, risquent d’être moins satisfaits, puisque ce sont eux qui payeront la note à la place des capitalistes, à moins qu’il s’agisse d’enfoncer l’Etat encore plus profondément dans la dette. Dans les articles de L’Humanité consacrés à ce projet, le budget prévu pour financer de telles subventions serait de l’ordre de 27 milliards d’euros. Quant aux capitalistes dont la quête de « profit maximum » les amène à restructurer leurs entreprises au détriment de l’emploi, ils seront informés que le « pôle public » prévoit de les « pénaliser lourdement » en leur proposant des taux punitifs. Mais puisque l’essentiel du système bancaire sera directement sous le contrôle des capitalistes, la punition n’aura jamais lieu. Les capitalistes en question iront voir ailleurs, tout simplement ! Ils emprunteront à d’autres banques. Que deviennent, dans ces conditions, les « lourdes sanctions » contre les spéculateurs ? Ce n’est que poudre aux yeux.
Il faut également se demander pourquoi les travailleurs, comme contribuables, devraient payer les intérêts sur les emprunts des capitalistes. C’est donc cela, la « justice sociale » ? Ce dispositif ne contribuera pas à la lutte contre le chômage ou à la relance de l’économie. Des subventions de ce type existent depuis longtemps, sous différentes formes, et n’ont jamais donné aucun résultat tangible. Les capitalistes embauchent toujours le moins possible. Si des subventions sont proposées, ils les prendront. Mais quelles que soient les subventions offertes, les capitalistes n’embauchent pas des salariés dont ils n’ont pas besoin. Ils embauchent pour le profit, et rien d’autre.
« Maîtriser le marché » – ou exproprier les capitalistes ?
Le Cahier se prononce pour une « maîtrise démocratique et sociale du marché ». Cette phrase résume la réalité du programme général du PCF, aujourd’hui. Les dirigeants du parti croient – ou font semblant de croire – qu’il est possible de satisfaire les besoins sociaux, de réaliser « l’égalité réelle dans tous domaines » et de développer l’économie tout en laissant les banques, les organismes de crédit, l’industrie et la distribution entre les mains des capitalistes. Leur ralliement à « l’économie de marché » a trouvé son expression la plus limpide lorsque, sous le gouvernement Jospin, non seulement les ministres communistes, mais l’ensemble de la direction du parti ont cautionné des privatisations massives. La privatisation de ces actifs a d’ailleurs grandement contribué à accélérer la descente de l’Etat dans l’abîme déficitaire où il se trouve actuellement.
S’il ne s’agit pas d’en rester au stade des phrases creuses, il faudrait nous expliquer comment on pourrait maîtriser « socialement et démocratiquement » le marché capitaliste. Prenons l’industrie de l’automobile. Elle est en surcapacité massive, non seulement en France, mais à l’échelle mondiale. Les capitalistes présents sur ce marché procèdent à la destruction des capacités productives : ils ferment des usines, réduisent les effectifs, abandonnent complètement certaines productions. Quand la demande est trop restreinte pour absorber la capacité existante, les capitalistes ne peuvent augmenter leur parts de marché qu’en étant plus compétitifs, ce qui veut dire réduire les coûts de la production, augmenter la productivité de chaque heure travaillée, réduire la masse salariale et, de manière générale, augmenter le taux d’exploitation des salariés. Selon les mécanismes de l’économie capitaliste, le fabriquant d’automobiles qui ne prend pas cette voie mettra son entreprise en danger. Et ce qui vaut pour l’automobile vaut pour tous les autres secteurs de l’économie. Le « marché » capitaliste fonctionne ainsi. Il n’a rien de « maîtrisé », ni de « social ». Il n’a rien de démocratique, non plus. C’est la loi du plus fort. Comment cette concurrence féroce et destructrice, qui s’opère inévitablement au détriment des salariés, pourrait-elle être maîtrisée « démocratiquement » ? Et comment pourrait-il y avoir « égalité réelle » entre capitalistes et salariés, entre exploiteurs et exploités ?
Le Cahier réclame une VIe République. Toute réforme qui limiterait les instruments institutionnels à la disposition de la classe dirigeante serait évidemment bienvenue. Par exemple, la direction du parti devrait réclamer la suppression du Sénat (ce qu’elle ne fait pas). Ceci dit, il ne servirait à rien de remplacer la Ve République par une VIe République dans laquelle les capitalistes possèderaient toujours les banques et l’industrie. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une République socialiste. Malgré la grande diversité des Constitutions qui existent, en Europe, tous les pays – sans exception – connaissent la régression sociale, le chômage de masse, l’aggravation des conditions de vie, la chute des investissements, la désindustrialisation, les délocalisations, et ainsi de suite. Sous le capitalisme, même les Constitutions les plus « démocratiques » ne sont jamais et ne peuvent jamais être autre chose que le masque de la domination du capital.
Le capitalisme a ruiné l’Etat. Au nom du profit, la production et le commerce stagnent. Les entreprises sont abandonnées ou délocalisés. Des millions de travailleurs sont condamnés à l’indigence et à la misère. Les services publics sont menacés, minés, appauvris. Les conditions de travail se dégradent partout. La précarité de l’emploi devient la norme. Ce n’est certainement pas maintenant qu’il faut mettre le Parti Communiste et le programme communiste en arrière plan.
Ce qui est nécessaire, c’est un programme dont la mise en application règlerait le problème fondamental, celui dont tous les autres découlent, à savoir le pouvoir économique – et donc politique – de la classe capitaliste. La tâche principale du PCF, c’est de convaincre la masse de la population, à commencer par les éléments les conscients et combatifs du mouvement ouvrier, de la nécessité impérieuse et incontournable de l’expropriation des capitalistes. C’est une chose de demander aux « citoyens » ce qu’ils pensent, mais il faut avant tout qu’ils sachent ce que le PCF veut, et pourquoi il le veut. Le parti doit batailler, non pas pour « sonder l’opinion », mais pour convaincre les victimes du capitalisme de la pertinence des idées du communisme. Si nous voulons une économie « maîtrisée socialement et démocratiquement », alors il est indispensable d’instaurer le contrôle et la gestion démocratique – sans les capitalistes, sans la Bourse – de toutes les branches essentielles de la production et de la distribution, ainsi que la totalité du système bancaire. Ce n’est qu’à partir de là que l’économie pourra répondre à « l’intérêt général ». Les ressources gigantesques et les richesses énormes que génère l’économie ne serviront plus à assouvir l’avarice de la minorité capitaliste. Elles pourront enfin servir à élever les conditions matérielles et culturelles de la masse de la population.
Greg Oxley (PCF Paris 10e)