« Beethoven fut l’ami et le contemporain de la Révolution française, et lui demeura fidèle même à l’époque de la dictature jacobine, lorsque des humanistes aux nerfs fragiles, du type de Schiller, lui tournaient le dos et préféraient détruire des tyrans sur des scènes de théâtres, au moyen d’épées en carton. Beethoven, ce génie plébéien, méprisait fièrement les empereurs, les princes et autres magnats – et c’est le Beethoven que nous aimons pour son optimisme inébranlable, sa tristesse virile, le pathos inspiré de sa lutte et cette volonté d’acier qui lui permettait de saisir le destin à la gorge. »
Ces quelques lignes du compositeur russe Igor Stravinsky constituent le fil conducteur d’un long article d’Alan Woods – en deux parties – que nous venons de publier sur notre site internet :Beethoven : l’homme, le compositeur, le révolutionnaire. Que l’on apprécie, ou non, la musique du célèbre compositeur allemand, cet article mérite d’être lu par tous ceux qui s’intéressent aux idées du marxisme, car c’est un brillant morceau de matérialisme historique (la conception marxiste de l’histoire). L’art est toujours le reflet de son époque. Alan nous montre comment l’art de Beethoven exprimait ce qu’il y avait de meilleur et de plus progressiste, en son temps.
« L’univers musical de Beethoven ne flatte pas l’oreille », écrit Alan. « On ne le siffle pas en tapotant du pied. C’est une musique accidentée, une explosion musicale, une révolution musicale qui traduit l’esprit de l’époque. Il n’y a pas seulement la variété, mais également le conflit. Beethoven utilise fréquemment la direction sforzando – qui signifie “attaque”. C’est une musique violente, pleine de mouvements, de soubresauts et de contradictions. […] Ce n’est pas de la musique pour distraire. Elle est faite pour émouvoir, choquer, pousser à l’action. C’est la voix de la révolte. »
La révolution musicale qu’accomplit Beethoven, à partir de sa Symphonie Héroïque, plonge ses racines en dehors de la musique elle-même : dans l’histoire et la société. L’œuvre de Beethoven était intimement liée non seulement à la Révolution française, mais aussi à la vague contre-révolutionnaire qui lui succéda et à laquelle il opposa une résistance musicale inflexible. La défaite des armées napoléoniennes et la réaction monarchiste, en Europe, marquèrent l’art de cette époque. En ces heures sombres de l’histoire, « la musique de Beethoven n’était pas du tout à la mode », explique Alan. L’Autriche, où vivait le compositeur, était l’un des principaux centres de la réaction. « Comme la vie politique, la vie culturelle suffoquait. La police secrète de l’Empereur veillait à chaque coin de rue. La censure traquait toute activité potentiellement subversive. Dans ce contexte, les respectables bourgeois viennois ne voulaient pas écouter de la musique appelant à la lutte pour un monde meilleur. Ils préféraient se chatouiller l’oreille avec les opéras comiques de Rossini – un compositeur à la mode. La magnifique Missa Solemnis de Beethoven n’eut aucun succès. »
Mais Beethoven, précisément, ne cherchait pas le succès à tout prix. Accablé par le pire des handicaps qui puisse frapper un musicien – la surdité –, en proie aux difficultés matérielles et à une terrible solitude, il ne se départit jamais de l’optimisme révolutionnaire qui imprégnait toute sa musique.« Comme les grands révolutionnaires français– Robespierre, Danton, Marat et Saint-Just –, Beethoven était persuadé qu’il travaillait pour la postérité. », écrit Alan, dans la conclusion de son article. « Il arrivait souvent que des musiciens se plaignent à Beethoven de la difficulté de sa musique. Il répondait alors : “Ne vous en faites pas, c’est de la musique pour le futur.” On peut dire la même chose des idées du socialisme. Elles représentent l’avenir, alors que les idées discréditées de la bourgeoisie représentent le passé. A ceux qui trouvent que c’est difficile à comprendre, nous répondons : ne vous en faites pas, l’avenir montrera qui a raison ! »