L’usine FIAT Pomigliano d’Arco, dans la région de Naples, focalise l’attention de tous les militants syndicaux, en Italie. Les patrons de FIAT cherchent à imposer aux salariés de nouvelles conditions de travail draconiennes, « en échange » d’investissements massifs pour produire la Fiat Panda dans cette usine. Les patrons font miroiter 15 000 embauches. Ils ont menacé les travailleurs de fermer le site, si ce plan était refusé par les travailleurs. Parmi les mesures proposées par la direction figurent une diminution du nombre et des temps de pause, une intensification drastique des rythmes de travail et l’interdiction de facto de faire grève pendant toute une période.
Le 22 juin, la direction de l’usine a organisé un vote sur cet odieux chantage. Son résultat fut excellent pour les travailleurs, la gauche et le syndicalisme combatif. Certes, formellement, ce fut une défaite, puisqu’un peu plus de 60 % des travailleurs ont voté OUI. Mais ce résultat doit être mis dans le contexte de ce qui s’est passé dans l’usine. Marchionne, l’administrateur délégué de FIAT, misait sur une victoire écrasante du OUI, de l’ordre de 90 %. Il n’en a rien été, puisque près de 40 % des travailleurs – dont environ la moitié des travailleurs manuels – ont dit NON.
Tout le monde est conscient du fait que les patrons de FIAT pourraient décider de retirer leurs plans d’investissement pour Pomigliano. Les travailleurs en étaient bien conscients, eux aussi. Parmi les 60 % qui ont voté OUI, beaucoup sont furieux contre la direction de FIAT. Ils ont voté OUI par peur et, souvent, pour des raisons tactiques. De nombreux salariés pensaient : « on gagne d’abord du temps. Puis lorsque les patrons auront installé les lignes de production, on verra bien… ». Même cette couche de salariés n’a jamais été convaincue par la propagande des patrons de FIAT.
Marchionne était bien conscient de cet état d’esprit. Aussi a-t-il inclus, à la dernière minute, des clauses de « garanties » relatives à l’application de l’accord. Par ailleurs, non content d’avoir obtenu la signature des syndicats FIM, UILM, FISMIC et UGL, il voulait aussi la signature de la FIOM – la Fédération Italienne des Ouvriers de la Métallurgie, le syndicat le plus militant. Mais il n’a pas pu l’obtenir, en dépit des énormes pressions qui se sont exercées, à différents niveaux. Dès lors, la direction voulait absolument gagner le vote par « KO », de façon à anéantir l’autorité de la FIOM et réduire les travailleurs à des conditions d’esclavage.
Le 19 juin, trois jours avant le vote, les dirigeants de FIAT ont tenté d’organiser une manifestation des contremaîtres et de leurs familles, en faveur du OUI. Ce fut un échec complet. Il s’agissait d’une tentative sordide de réitérer la tristement célèbre « marche des 40 000 », en 1980, à Turin, qui avait été organisée pour briser une grève de cinq semaines des ouvriers de FIAT. A l’époque, les patrons de FIAT avaient appelé les contremaîtres, le management, les techniciens, etc., à manifester contre la grève. En réalité, les « 40 000 » n’étaient guère plus de 5000, dans les rues de Turin. Mais cela avait suffit pour que les médias présentent cette manifestation comme la preuve qu’une « masse » de travailleurs de FIAT voulaient reprendre le travail.
Aujourd’hui, les choses ne se passent pas ainsi. La classe ouvrière de Pomigliano a résisté. Après trois décennies marquées par de nombreuses défaites, sur le front industriel, cette lutte – qui n’est pas terminée – peut marquer le début d’un tournant dans la vie politique et syndicale italienne.
Ce qui est en jeu
Au sujet de cet accord, le ministre du Travail du gouvernement Berluscioni, le clown Sacconi, parle de « modernité ». En réalité, ce qu’ils veulent, c’est un retour aux conditions de travail du XIXe siècle. Ils ont eu leur réponse. Ce n’est pas seulement une question de « dignité », comme on l’a beaucoup entendu, à gauche. Ce à quoi nous assistons, à Pomigliano, c’est une modification rapide de la conscience de classe.
Les travailleurs de Pomigliano sentent la responsabilité qui pèse sur leurs épaules. A cette heure, ils représentent les intérêts de leur classe. Ils ont répondu aux travailleurs de l’usine FIAT de Tichy, en Pologne, où la Panda est actuellement produite. Ces derniers leur avaient écrit une lettre de soutien qui a circulé sur internet. Ils comprennent que si les patrons de FIAT Pomigliano réussissent leur coup, ils chercheront très vite à généraliser les reculs inscrits dans cet accord à toutes les usines du groupe FIAT.
Jusqu’alors, la souffrance au travail était déjà très lourde, chez FIAT. Avec les nouvelles cadences prévues dans l’accord, elles seraient bien pires. Les rythmes et les méthodes de production prévus sont si durs qu’ils ont même été condamnés par l’Union Européenne ! Nous aimerions bien voir messieurs Sacconi, Veltroni ou d’autres dirigeants du Parti Démocratique (PD), qui ont lancé un appel au « sens des responsabilités », essayer de travailler dans de telles conditions !
Pour toutes ces raisons, les travailleurs ont serré les rangs autour de la FIOM. Ce syndicat ne devait pas seulement résister aux pressions des patrons et à la logique de la concurrence mondiale. Il a dû également faire face aux pressions de la direction de la CGIL, la Confédération syndicale dont la FIOM est la branche métallurgie. En effet, le secrétaire général de la CGIL, Epifani, avait déclaré : « Je pense que les travailleurs vont aller voter et voter OUI ». En outre, le secrétaire régional de la CGIL – Michele Gravano – et le secrétaire provincial – Peppe Errico – se sont prononcés pour le OUI, lors du référendum organisé par les patrons.
La direction de FIAT a immédiatement photocopié leur communiqué et l’a distribué à tous les salariés de l’usine, pour leur faire savoir que « même la CGIL » – l’équivalent de notre CGT –les invitait à approuver l’accord. Le lendemain du scrutin, le quotidien de gauche Il Manifesto a publié une interview de Michele Gravano, de la CGIL, accusant la FIOM « d’infantilisme politique » et affirmant que le scrutin était « un acte de démocratie » qu’il fallait prendre au sérieux. Mais ce que Gravano aurait dû prendre plus au sérieux, c’est le contexte « démocratique » précis dans lequel ce vote a eu lieu.
Le scrutin a été organisé d’une façon militaire. De véritables « listes noires » ont été dressées dans le but d’isoler les syndicalistes les plus combatifs. Une atmosphère de terreur régnait dans l’usine. Il y avait des menaces de représailles individuelles. Tous les travailleurs ont reçu, chez eux, un DVD vantant l’accord – ainsi que des courriers menaçants. Des écrans géants ont été installés, dans l’usine, pour diffuser en permanence les discours des patrons de FIAT. Les travailleurs ont été appelés sur leur portable. Ils ont reçu des SMS. Des contremaîtres ont exercé une pression constante sur les travailleurs pour qu’ils votent OUI, en rappelant la menace de fermeture de l’usine. Bref, un scrutin décidément très « démocratique » !
Et pourtant, malgré cette pression monumentale, malgré la trahison de nombreux dirigeants syndicaux, malgré la position lamentable adoptée par le Parti Démocratique, malgré le barrage médiatique constant – malgré tout cela, 1673 travailleurs ont voté NON !
La FIOM
Le résultat du vote ouvre un nouveau scénario qui place la FIOM au centre de l’attention. Un nouveau conflit pourrait éclater à court terme et à un niveau qualitatif plus élevé. Jusqu’à présent, même si la FIOM a refusé de soutenir le plan de la direction de FIAT, sa stratégie n’a pas toujours été très claire. Par exemple elle a déclaré le scrutin du 22 juin illégal – tout en encourageant les travailleurs à voter, pour éviter des représailles, mais sans appeler franchement à voter NON. Cela rend le résultat du vote encore plus significatif.
Pendant des années, les dirigeants de la FIOM se sont plaints – non sans raison – de l’absence de soutien politique de la gauche. En l’absence d’un tel soutien, la FIOM s’est souvent trouvée dans la situation de lancer des luttes « envers et contre tous ». Cela peut expliquer certaines vacillations et hésitations. Mais cela ne peut pas les justifier.
En s’opposant à l’accord qu’on signé les autres syndicats, la FIOM a énormément renforcé son autorité. Mais elle a aussi, en conséquence, de lourdes responsabilités. A Pomigliano, on assiste à l’émergence de nouveaux militants qui quittent leur syndicat (signataire de l’accord) pour adhérer à la FIOM. A Melfi, une autre usine de FIAT, la FIOM a reconquis la première position lors des élections des délégués du personnel.
Tout ceci est extrêmement positif. Mais dans le même temps, cela intensifiera le conflit avec la direction de la CGIL. Les patrons de FIAT sont tout particulièrement inquiets. Ils passeront à l’offensive. Dans la période à venir, Machionne pourrait décider de provoquer la FIOM. Même s’il décide de maintenir la production à Pomigliano – ce qui nous semble absolument certain – , il ne peut pas se satisfaire du résultat du vote qu’il a organisé. Il pourrait tenter un coup de bluff et exiger la signature de la FIOM en échange du maintien de la production de la Panda à Pomigliano.
Dans un tel scénario, la FIOM ne pourra pas se contenter de dénoncer l’illégitimité du scrutin. Elle devra organiser des mobilisations et porter la lutte à un plus haut niveau, avec comme objectif de la généraliser. Il va sans dire que les dirigeants actuels de la CGIL ne soutiendraient pas une telle stratégie. Ils poseront la question en termes de « discipline » syndicale. Cela mènerait à un conflit ouvert entre la direction de la CGIL et sa fédération la plus militante : la FIOM.
Le Parti Démocratique (PD) – issu de la fusion de la Gauche démocratique (ex-Parti Communiste) et de plusieurs petits partis bourgeois – soutient l’accord proposé par la direction de FIAT. Par exemple, un groupe de députés du Parti Démocratique a récemment écrit à Zavoli, le président de la Commission de Contrôle de la TV publique, pour se plaindre que « dans ce conflit, la FIOM a bénéficié d’une trop large couverture médiatique, par rapport aux autres syndicats. »
Les dirigeants de la FIOM sont au pied du mur. S’ils adoptent une stratégie combative, ils seront accusés de courir le risque de voir la direction de FIAT renoncer aux investissements dans l’usine de Pomigliano. Mais s’ils signent l’accord de Machionne, qui détruit la convention collective et – de facto – le droit de grève, ils décevront gravement leur propre base.
Dans une telle situation, les dirigeants de la FIOM peuvent trouver une immense réserve de soutien dans le mouvement ouvrier lui-même. La colère et la frustration accumulées, dans la classe ouvrière, peuvent être organisées. Il ne faut pas trop espérer le soutien des sommets de la CGIL, à ce stade. Il faut travailler à la base.
Enfin, le Secrétaire général du Parti de la Refondation Communiste (PRC), Paolo Ferrero, doit clairement soutenir les salariés de Pomigliano – et l’aile gauche de la CGIL, désormais connue sous le nom : « La CGIL que nous voulons ». Les camarades de la section du PRC de l’usine de Pomigliano ont joué un rôle clé, dans cette lutte. Au cours des deux dernières années, ils ont inlassablement défendu une stratégie militante et combative. Ils en sortent renforcés. Le parti dans son ensemble doit suivre leur exemple.
Solidarité et humeur militante
Depuis le résultat du vote, la solidarité ouvrière n’a cessé de croître. Des actions sont en cours de préparation, dans d’autres usines du groupe FIAT : de celle de Mirafiori, à Turin, à celle de Melfi, dans le Sud, en passant par l’usine Ferrari de Val di Sangro, à Modena. Dans toute l’Italie, des centaines de résolutions de solidarité ont été votées par des comités de délégués syndicaux et des assemblées syndicales.
Une réunion nationale de la FIOM s’est tenue, le 1er juillet dernier. Elle a réuni tous les délégués syndicaux des usines FIAT et des principales usines du sud de l’Italie. Il y avait 800 travailleurs, une ambiance militante et une fierté palpable de faire partie de la FIOM.
Un délégué syndical de l’usine Ferrari et une déléguée syndicale l’usine de Melfi Lasme ont appelé à l’organisation d’une grève générale de tous les travailleurs de la métallurgie. Un autre délégué a souligné la nécessité de refuser en bloc tout nouveau recul en matière de droits et de conditions de travail des salariés. Malheureusement, aucune réponse n’est venue de la plate-forme où siégeaient les dirigeants de la FIOM. Ils n’ont pas repris ces appels à des actions de lutte concrètes. La lutte a été reportée au mois de septembre. En attendant, de simples sit-ins ont été évoqués.
Les patrons sont à l’offensive. Ils se sont habitués à des directions syndicales qui font accepter des accords pourris aux travailleurs. Mais la situation est en train de changer. Face aux attaques de plus en plus brutales du patronat, la colère grandit de jour en jour. Les provocations de la direction de FIAT ont poussé les travailleurs à la lutte. Par exemple, les manifestations du 25 juin étaient marquées par une humeur très militante.
A présent, il n’y a plus d’excuses pour retarder le combat. Les travailleurs ont montré leur détermination à se battre. Ce qu’il faut, c’est mettre ces forces en ordre de bataille de la meilleure manière possible. Toute hésitation ou toute faiblesse, de la part des dirigeants syndicaux, invitera le patronat à de nouvelles agressions.
Les travailleurs de Pomigliano ont indiqué la route qu’il faut prendre. C’est au tour de l’ensemble du mouvement syndical de suivre cette voie – jusqu’à la victoire.
Alessandro Giardiello (Direction nationale du PRC, en Italie)