La révolution vénézuélienne traverse une étape cruciale de son développement. Face à la récession mondiale qui frappe de plein fouet le pays, la révolution se trouve confrontée à des choix vitaux pour son avenir. L’économie vénézuélienne est encore largement entre les mains des capitalistes, et dépend toujours en grande partie de ses exportations pétrolières.
Depuis 2007, le Venezuela connaît une grave crise alimentaire. Divers produits comme le café (deuxième production nationale), le sucre, le lait, l’huile et le riz viennent à manquer sur les étals des marchés et supermarchés. A Caracas, les prix ont augmenté de 50% en un an. Par exemple, le prix d’un kilo d’oignons frôle les 4 euros. C’est encore plus cher qu’aux Etats-Unis ou en Europe.
Cette situation intolérable provoque un fort mécontentement et a largement contribué à la défaite du référendum sur la réforme constitutionnelle, en décembre 2007. Près de 3 millions d’électeurs chavistes se sont alors abstenus. C’est à la suite de ce revers que Chavez a lancé une campagne de lutte contre le sabotage économique. La Garde Nationale vénézuélienne a été mobilisée et a mis la main sur des stocks importants de produits alimentaires qui allaient être détournés vers la Colombie, où les prix des produits alimentaires ne sont pas régulés.
Les autorités ont multiplié les contrôles et découvert de nombreuses irrégularités. Ainsi, l’usine de riz de Guarrico, propriété de la grande entreprise agro-alimentaire POLAR, ne produisait qu’à 50% de ses capacités. En outre, pour contourner la loi sur la régulation des prix, cette usine produisait 90% de riz parfumé (dont le prix n’est pas régulé), contre à peine 10% de riz nature (prix régulé). La majorité des usines de riz du pays ont recours à ce subterfuge pour maintenir des prix élevés. Or le riz est l’aliment de base des Vénézuéliens.
En réaction, le 28 février dernier, Chavez a ordonné l’intervention de l’Etat dans cette usine. Cette annonce a été accueillie avec enthousiasme par les travailleurs de POLAR. Immédiatement, des mesures ont été prises pour que l’usine tourne à plein régime et produise 100 % de riz nature.
De même, le 6 mars dernier, une usine de la multinationale américaine Cargill a été expropriée. Là encore, Cargill ne produisait que du riz aromatisé afin d’échapper au système de prix régulés. 18 000 tonnes de riz attendaient ainsi d’être transformées. Ces nationalisations ont l’appui des masses vénézuéliennes, mais suscitent la panique dans les rangs des capitalistes. Chavez a publiquement prévenu que « si le sabotage continue, nous exproprierons toutes les usines et nous les transformerons en propriété sociale ». Nous soutenons ces déclarations. Mais elles doivent se traduire dans la réalité.
La crise alimentaire, au Venezuela, est une conséquence des contradictions de la politique du gouvernement. D’un côté, le gouvernement impose une régulation des prix d’un certain nombre de biens de première nécessité. Mais de l’autre, il laisse la plupart des entreprises entre les mains de l’oligarchie et des impérialistes. Cela crée une situation particulière, puisque le capitalisme ne peut plus fonctionner de manière « normale ». La régulation des prix est un obstacle à la recherche du profit maximum. En conséquence, il y a une baisse dramatique des investissements privés dans l’appareil productif, ouvrant la voie à la spéculation et au marché noir, source d’une plus grande rentabilité, pour les capitalistes.
Des nationalisations partielles ne permettront pas de régler les problèmes des masses vénézueliennes. L’ensemble de la grande industrie et du secteur bancaire doit être nationalisé, sous le contrôle démocratique des salariés.
Le plan « anti-crise »
Du fait de la chute des cours du pétrole (70% du PNB), le gouvernement vénézuélien s’attend à une baisse de 40% de ses recettes fiscales, en 2009 – de 50 milliards à 31 milliards de dollars. Or, c’est PDVSA – la compagnie nationale de production de pétrole – qui finance la plupart des programmes sociaux. Cette situation met donc en péril toutes les avancées de la révolution, en termes de réformes sociales. Dans ce contexte, Chavez vient de présenter un plan en plusieurs points.
Première mesure : le relèvement de la TVA de 9% à 12%. Même si cette mesure ne s’applique pas aux produits de première nécessité, qui sont dispensés de TVA, cet impôt injuste pèsera surtout sur le pouvoir d’achat des ménages les plus pauvres. Il aurait été plus juste d’augmenter les taxes sur les grandes fortunes et de supprimer la TVA.
Deuxième mesure de ce plan : l’augmentation de 20% – en deux temps – du salaire minimum, qui atteindra 968 Bolivars Fuerte, soit environ 320 euros. Dans le même temps, Ali Rodriguez, le Ministre de l’économie, annonce que l’inflation sera contenue en dessous de 20%, en 2009. En d’autres termes, cela équivaudrait à maintenir le pouvoir d’achat des travailleurs les plus pauvres. Cependant, les Vénézuéliens accueillent avec scepticisme cette annonce. En effet, ils se souviennent que l’ancien Ministre de l’économie, Rafael Izea, avait annoncé qu’en 2008 l’inflation serait contenue à 11% – alors que, dans les faits, elle a bondi à 31,5%.
Nos camarades du Courant Marxiste Révolutionnaire, au sein du PSUV, militent pour l’indexation directe des salaires sur l’inflation, c’est-à-dire pour l’échelle mobile des salaires. C’est une mesure indispensable pour maintenir le pouvoir d’achat des travailleurs.
Autre mesure phare de ce plan : la réduction des frais de fonctionnement de l’Etat, et notamment l’engagement de baisser les hauts salaires de la fonction publique vénézuélienne. C’est une bonne intention : encore faut-il, là encore, qu’elle soit suivie d’effet. Car alors qu’ils appellent le peuple à faire des sacrifices, de nombreux bureaucrates touchent des salaires indécents. Par exemple, Germain Yépez, du Conseil National Electoral, gagne 8000 euros par mois. Rafael Ramirez, le PDG de PDVSA, gagne quant à lui 20 000 euros par mois, soit 68 fois le salaire minimum vénézuélien. A quoi s’ajoutent les primes et bonus, qui peuvent aller de 5 à 8 fois leur salaire mensuel. On pourrait multiplier les exemples. Cette situation mine la confiance des travailleurs dans ces prétendus « camarades révolutionnaires ».
Dans la lutte contre la bureaucratie, la révolution vénézuélienne doit s’inspirer des règles mises en place par les Communards de 1871 : aucun fonctionnaire ne doit recevoir un salaire supérieur à celui d’un ouvrier qualifié. Par ailleurs, tout fonctionnaire doit être élu et révocable à tout moment, et ce à tous les échelons de l’appareil d’Etat. Sans de telles mesures, il ne sera pas possible de vaincre le cancer bureaucratique qui mine la révolution bolivarienne de l’intérieur.
A de nombreuses reprises, Chavez a répété que son gouvernement travaillait pour le peuple, et qu’il n’appliquerait pas de politique d’austérité à l’encontre des travailleurs et des masses pauvres du Venezuela. Si la réaction était au pouvoir, au Venezuela, elle aurait tôt fait de placer le poids de la crise sur les épaules des travailleurs, des paysans et des pauvres. Même imparfaites, les mesures « anti-crise » du gouvernement actuel constituent une tentative de protéger les Vénézuéliens les plus modestes des effets de la crise économique. Cependant, la révolution est arrivée à un stade où le maintien de ses conquêtes entre en contradiction absolue avec les intérêts des capitalistes.
Il s’avèrera impossible de conjurer la spéculation et la pénurie sans prendre en main les rênes de toute l’industrie agro-alimentaire. De même, seule la nationalisation de l’ensemble du secteur financier permettra d’accorder des crédits avantageux aux paysans, ou encore de lancer un programme ambitieux de construction de logements sociaux. Plus le gouvernement bolivarien retarde ces mesures indispensables, plus il court le risque que le soutien des masses s’effrite. La réaction se tient en embuscade : elle attend son heure.
C’est de la survie de la révolution dont il s’agit. Plus que jamais, il est temps de lutter sérieusement contre la bureaucratie et le réformisme. Les travailleurs et les paysans vénézuéliens veulent des résultats tangibles. C’est maintenant l’heure de vérité !
Bruno. A